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L’éveil d’une génération : Jean-Yves Debreuille

1/07/2020 | Livres | 0 commentaires

L’éveil d’une génération : Jean-Yves Debreuille
Nouria Rabeh
Les Cahiers de l’Egaré (2020)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

Un recueil multiple

image éveil d'une génération.jpgL’éveil d’une génération : Jean-Yves Debreuille de la poétesse et écrivaine Nouria Rabeh : une biographie, une autobiographie, un essai poétique, une approche philosophique de la vie, une histoire de filiation et d’héritage culturel, un hommage à un professeur admiré, à des parents aimants et ouverts, un recueil au propre et au figuré. Dans ce dense ouvrage, Nouria Rabeh évoque sa rencontre avec Jean-Yves Debreuille, son professeur de littérature contemporaine à l’université Lyon II, et par là même celle avec les poètes de l’Ecole de Rochefort. La narratrice rassemble, recueille, des faits marquants de sa vie liés à la Poésie qui l’a toujours habitée et à Jean-Yves Debreuille. Elle cite des extraits de poèmes des membres de l’Ecole de Rochefort : Jean Bouhier, Pierre Reverdy, Luc Bérimont, René Guy Cadou… Elle raconte la genèse de son écriture, enregistrant tout ce qui l’a profondément marquée, contribuant à ce qu’elle est devenue, à la conscience qu’elle en a.

Jean-Yves Debreuille : un catalyseur de la Poésie

C’est Jean-Yves Debreuille, qui, par sa personnalité et son enseignement novateur, ouvre Nouria Rabeh à une façon nouvelle et originale de concevoir et de vivre la poésie : « Tout au long de ces années, il m’a permis de comprendre à travers mon propre cheminement l’intérêt que je porte également à la Poésie comme un mode de vie et un moyen de perfectionnement de soi ». Cette rencontre avec son professeur est décisive pour elle. Elle lui permet d’accéder véritablement au mode d’expression poétique qui vibrait déjà en elle depuis son enfance.

« Habiter poétiquement le monde »

Après mai 68, l’université autorise les travaux de recherche sur les poètes vivants. Une opportunité pour Jean-Yves Debreuille, jeune agrégé de Lettre classiques passionné par la poésie contemporaine. Découvrant lors de ses investigations universitaires l’Ecole de Rochefort, puis fréquentant ses membres, il apporte un véritable éclairage sur cette période post-surréaliste, « tournant décisif qui a marqué les années 40 » et sur sa façon novatrice et humaniste d’appréhender la poésie. Pour ce groupe de poètes, « animés par le désir de faire avancer l’humanité vers ce qu’elle a de plus précieux, la Vie elle-même », la poésie n’est plus conçue « comme une échappatoire ou un moyen d’évasion mais comme un tremplin permettant d’accéder directement à une harmonie avec le monde. La poésie n’est plus un genre littéraire, elle devient un chemin d’existence capable d’aider l’homme à s’accomplir dans ce qu’il a de plus essentiel et peut-être de plus difficile à exprimer ». Pour eux, elle n’est pas seulement une écriture, c’est aussi une façon de vivre, de concevoir la vie. C’est une poésie qui choisit la Vie lors des sombres années de la guerre mais aussi ultérieurement. La vie poétique est une vie où l’homme et le monde entrent en relation de façon authentique, harmonieuse, paisible. La poésie favorise la célébration de chaque parcelle d’existence et la méditation sur cette existence. Elle permet d’appréhender l’essence de chaque instant, de chaque émotion, de chaque sensation, d’en saisir la fugacité. Elle permet de coexister avec la nature et les autres en toute harmonie : « Ecrire ou vivre en poète nous mènera vers un éveil et un engagement envers la vie elle-même, et nous permettra de nous relier à un vaste réseau ouvert et infini, à une approche du vivant reposant sur la diversité et la coexistence avec la nature ». Elle donne un sens à la vie. Grâce aux poètes de Rochefort, elle se démocratise, loin des conformismes, des salons du faubourg Saint-Germain, en s’ouvrant au quotidien avec l’organisation de lectures poétiques dans les écoles, les ciné-clubs, les festivals, « en habitant le monde autrement »  : « L’insurrection poétique de Rochefort a déblayé la voie du futur vers l’émergence d’un mouvement humaniste dont l’esprit permet de mieux comprendre les problématiques de notre temps ». La poésie est alors une façon de vivre généreuse et solidaire impliquant, entre autre, l’urgence de sauver la Terre, d’aller à l’essentiel : être et non avoir.

Un cheminement poétique

Sa rencontre avec Jean-Yves Debreuille est pour Nouria Rabeh une véritable aventure poétique : un parcours poétique et un parcours de vie, où des destins se croisent et se tissent. Il existe toute une affinité d’âme et d’écriture entre les poètes de Rochefort et elle, être profondément humaniste, ayant développé l’intelligence du coeur et de la compassion grâce, entre autres, à la philosophie bouddhiste  cultivée depuis l’adolescence : « Le versant lumineux, celui qui a toujours coulé en moi fut celui de la Poésie et de la Philosophie du Bouddhisme, destinée fondée sur plus d’authenticité et de bienveillance, de tolérance aussi ». Après avoir poursuivi une longue quête difficile, (« Oujda, Casablanca, Caen, Paris, Beauvais, Lyon, autant de villes que j’ai parcourues dans ma recherche interminable dont la trajectoire a suivi un besoin de comprendre mes souffrances, mes blessures, mes frustrations mais aussi d’essayer de vivre mes rêves, ma soif de connaître, mes espérances »), faite parfois d’intenses souffrances l’ouvrant aux blessures des autres, à celles des martyrs de la Shoah, la poésie lui permet de se construire, d’accéder à une espèce de plénitude émerveillée, à un apaisement l’entraînant dans l’engagement et la solidarité, par le biais d’ateliers d’écriture où elle dénonce les violences faites aux femmes, l’injustice, par l’organisation d’un voyage scolaire en Algérie pour aller « sur les pas de Foucault », ouverture au dialogue interreligieux.

Imprégnée par la culture des poètes de Rochefort, Nouria Rabeh se construit par et avec la poésie, approfondissant grâce à elle la découverte de sa vérité de poète et d’être. Son recueil, qui tricote les genres, permet au lecteur d’entrer dans son intimité, de la comprendre, de comprendre son œuvre, de connaître son professeur Jean-Yves Debreuille , et surtout d’appréhender une Ecole littéraire nous éclairant sur la poésie contemporaine  : « on ne peut comprendre les enjeux de la poésie contemporaine sans reconnaître l’existence des poètes de Rochefort ».

Les autres ouvrages de Nouria Rabeh :

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