Les Tourterelles sacrées
100 poèmes – 100 femmes
Nouria Rabeh
Les Cahiers de l’Egaré (2020)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Les Tourterelles sacrées. 100 poèmes – 100 femmes : un recueil poétique lié à la vie, aux rencontres, aux amitiés et à l’humanisme proche de la nature de la poétesse Nouria Rabeh. Un fascicule révélateur de la beauté de son regard et de son moi.
L’essence de chaque femme
Les Tourterelles sacrées. 100 poèmes – 100 femmes. Cent femmes de tous les coins du monde : le Maroc, l’Algérie, la France, l’Afrique australe, le Japon…Cent prénoms : Aïcha, Zineb, Sophia, Françoise, Anne, Laurie, Samia… , prénom proclamé à l’ouverture de chaque poème. Titre, concrétion essentielle des textes. L’intitulé nomme chacune des femmes, être unique, ancrée dans le temps et l’espace. La poétesse arrive à elles par des détours, capte des moments insaisissables que l’oeil inattentif laisse échapper, menus moments importants de leur vie, de leur personnalité, de leur vécu, de leur engagement. Des portraits-non portraits, plutôt l’essence de chacune, son intimité fondamentale, consacrées par une écriture naissant d’une connaissance de détails ténus de l’être donné à voir et à entendre. Des poèmes écrits à la suite d’une parole, d’une sensation, d’une image, d’un visage, d’une mimique (« A ton sourire qui éclôt / En une fleur de lilas / D’où s’échappe un parfum / De douceur de vivre »), d’une gestuelle, (« Volupté du corps / Qui se déhanche / Au gré de mes pas »). Cent voix de femmes souvent rapportées à la première personne du singulier. La femme s’exprime, « Je pense à l’enfance / Comme un appel / Ou une retrouvaille / Qui me donne l’élan / D’une réflexion / Sur le sens de la vie ». Elle évoque ses espérances, « J’aspire à la zénitude / D’une philosophie d’Orient / Aux bouddhas florissants / Sans doute une étape / Vers la sérénité (…) » son engagement, – le « je » devenant le « nous » de la solidarité et de la complicité -, « Nous refaisions le monde / Rue de l’esplanade de la Paix / Au bar des facs », son ressenti, son passé et son présent : « Le temps d’une trêve / Je revins aux sources / De ma ville natale / Et je regarde autrement / Au-delà du temps passé / Ma nouvelle réalité (…) ». Parfois, la femme s’adresse à elle-même : « Tu pousses les battants / De la porte du printemps : Et tu laisses derrnière toi / Les rigueurs de l’hiver ». Ou bien la poétesse s’adresse-t-elle à elle ? La visualisant, entrant en osmose avec elle, rendant encore plus sensible sa présence, mêlant présent et passé, concret et abstrait comme dans l’exemple doté d’une métaphore annonciatrice du passage des saisons et du temps.
La nature et le temps tissent un lien entre toutes ces femmes d’horizons divers. Nouria Rabeh ne fait pas seulement surgir des femmes, réelles, vivantes, mais aussi des lieux, des souvenirs. Elle recueille avec la beauté des mots les vibrations de la vie, de la nature, des sensations, des émotions.
Un passé parfois douloureux
Les images disent parfois un passé douloureux, (« Si pleurer dans la nuit / entrecoupée de tristesse / Des larmes de lune / Effleurent ta douleur / Puissance de vie / Enfouie sous la terre / D’une enfance usurpée / Injuste destin (…) »), la souffrance née des dictatures (« Labyrinthe inextricable / D’une violence sans nom / Tourbillon de vent / Aux orages ravageurs / D’une dignité bafouée / Par endroits, la terre / N’en peut plus de saigner »), des génocides (« Entre les bras nus du désert / Le fleuve Senqu s’endort / Dans la nuit profonde / Du silence absolu / Tranquille flot / Au regard du passé / Des massacres et des génocides (…) »), de la colonisation, (« Souvenir d’une source claire / Aux abords du village paternel / D’un marabout ombragé / Peuplé de femmes et d’enfants / Au destin tragique / Dont les cris muselés / S’étouffaient en prières »), de la Shoah (« Et parfois je verse une larme / En souvenir des poètes disparues / Happées par le tourbillon du déni et de la haine »), de la féminité muselée (« Génération sacrifiée / Au coeur du marasme / Des cultures d’autrefois / Un destin de femme / Pris dans la tourmente / Des contradictions »). Mais toujours, le sourire sèche les larmes.
Un hymne à la vie, à la nature, à la fraternité
L’espoir, l’amitié, la fraternité, la paix l’emportent dans des vers rayonnant de chaleur et de douce lumière. La poèsie triomphe sur la douleur érosive. La fin des poèmes de Nouria Rabeh transmet un rêve d’humanité pacifiée, « Et je rêve depuis toujours / D’une humanité pacifiée / Où le verbe à fleur de peau / Est la seule arme possible ». C’est un hymne à la joie, à la vie, à la paix, à la solidarité entre les êtres humains et la nature.
La vie féminine s’entrelace, dans un rapport intense, à la nature et à son rythme. Une osmose s’instaure entre la femme et la nature : « Mon corps devient arbre », entre elle et le vivant, entre elle et la plénitude de la vie, (« Célébration de la vie / Nourrie par la sève / D’une re-naissance / Qui m’englobe dans le vivant » ). Il y a toute une analogie entre la femme et les paysages, intuition d’un paysage à la fois intérieur et extérieur : « Je regarde enfin en moi / Comme une fenêtre / Qui s’ouvre sur l’horizon / Mon jardin intérieur/ Peuplé d’ombres et de lumière / Palpitations ». La nature symbole de régénération, vivace, rassurante, apaisante, énergisante, consolatrice (« Seule la nature me console ») dit la beauté de la vie offerte par le roucoulement des oiseaux, le « chant des vents / sur les feuilles automnales », « le bruissement / Des vagues rafraîchissantes », la pureté mélodieuse de l’eau personnifiée, (« Et l’eau de la fontaine / En blancheur cristalline jaillit en chantant »), le grésillement du feu solaire : « J’entends le soleil / Crépiter sur les feuilles »). La nature se manifeste par les couleurs, les parfums, les sons, univers synesthésique concrétisant une harmonie vitale intrinséque, la force de la paix et de l’amour : « Terre d’accueil / Où les arbres tissent / Des liens d’amour et de paix ». La Nature, sein maternel, force universelle, rappellant l’hymne à la Terre-Mère de Colette dans Sido.
Dans Les Tourterelles sacrées, la narratrice emmène le lecteur dans un ailleurs souvent méditerranéen, coloré et parfumé, élaboré à travers le circuit de la mémoire, où dominent « le grenadier », les « orangers en fleur », « le bougainvillier », « le laurier », « les oliviers ». Faïza et Guislaine chantent avec un accent camusien leur amour pour l’Algérie : « Le ciel de mon Algérie », « L’Algérie, ma terre / Qui a fait naître mes racines / Aux fleurs d’orangers / dont les senteurs fleurissent / Entre mes seins ». Les envolées lyriques de la poétesse vibrent aux souvenirs de son Maroc natal, lui en restituant toute la saveur, (« Périple à bord d’une théière / Au goût de menthe sauvage / Qui me transporte / Dans l’univers onirique / Des nuits marocaines / A l’orée du désert »), faisant accéder le lecteur au coeur de la Beauté et de l’Amour, dans un monde féminin ouvrant sur l’éternité, portant en germe la solidarité, la fraternité entre tous les Humains salvateurs de la planète : « Et si l’on se donnait la main / Pour sauver notre planète / Retrouver le sens profond / D’un sourire authentique / Participer au tissage / De liens ininterrompus / D’une fresque humaine ». Le titre du recueil poètique, Les Tourterelles sacrées, est tout à la fois symbolique et métaphorique : les tourterelles, réminiscences du passé de la poétesse, lien entre les poèmes, la réalité et le rêve, symbolisent la pureté et la légèreté, l’émerveillement devant la beauté de la vie que seul le poète sait voir. Otant le voile du réel, permettant l’accès à l’Essence, les tourterelles ouvrent la route d’un monde nouveau à l’image de toutes les femmes du recueil dont Nouria Rabeh a recueilli la voix.
Du même auteur :
Roses des sables
http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2007/12/21/roses-des-sables-5823678.html
Le Ballet du temps
http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2020/02/17/le-ballet-du-temps-6213544.html
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