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Le Ballet du Temps

17/02/2020 | Livres | 0 commentaires

Le Ballet du Temps
Nouria Rabeh
Les Cahiers de l’Egaré (2019)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

image le ballet.jpgDepuis l’Antiquité, le temps, notion insaisissable et abstraite liée à l’Existence, hante l’imaginaire poétique de façon souvent sombre et pessimiste. Or, dans son recueil de poèmes, au titre esthétique, concrétion de ses textes, Le Ballet du Temps, la poétesse Nouria Rabeh, emporte le lecteur dans une chorégraphie en perpétuel mouvement ascensionnel vers la lumière que le commun des mortels ne remarque plus : « Pourquoi faut-il que cet habitant / rongé par une vision limitée / Ne s’émerveille plus ? ».

Une écriture de l’intime

Avec une écriture de l’intime, le négatif se résorbe dans la poésie, dans l’observation de la beauté de tous les éléments de la Vie. Nouria Rabeh part du quotidien, du vécu, du ressenti, de l’observation pour arriver au monde idéal de la poésie dans des poèmes où la rime et la ponctuation ont été abandonnées, où alternent vers courts et vers longs au rythme fluide et chantant, souffle de la vie, murmure du coeur. Nouria Rabeh reçoit le monde dans sa nudité, puis, émerveillée, elle en retient des instants fugaces, éphémères, les ciselant et les couchant sur le papier. Elle dépeint des états d’âme, des fragments de temps dans une poésie curatrice, purificatrice (« La poésie est un surgissement / Etat d’extase illimité / Qui draine les impuretés »), salvatrice, ouvrant à la joie et à la Vie : « Et faire éclore des poèmes-fleurs / Un choeur de joies ! ». Et elle clame l’allégresse étonnée et légère de créer : « Au réveil du premier rayon / Danse enfin / Les mots s’étonnent / Et sautillent dans le vent ! » : les mots personnifiés semblables à des oisillons folâtres se déplaçant par petits bonds espiègles.

L’osmose avec la nature, le monde urbain et le monde des oiseaux

La poétesse entre en osmose avec la nature : « Alchimie des sens me reliant / Au soleil, à la lune, aux étoiles / Au moindre grain de sable » ou « Il neige ce matin / Mon cyprès si discret / Dans ce jardin public / Planté à la dérobée / Retrouve une âme / Des forêts lointaines / Aux odeurs de fougères / Et d’herbes folles ». Des métaphores empruntées à l’univers montrent l’existence de correspondances entre elle et la vie cosmique : « Au-delà de la conscience / La porte d’un ciel méconnu / Un monde éclairé de mille feux // Concert des étoiles / Pour maintenir l’équilibre de cet univers imprévu ». Dans la nature et aussi en ville , les oiseaux, intermédiaires entre le ciel et la terre, procurent une sensation de liberté, participant à la guérison de la narratrice prisonnière de sa chambre d’hôpital  : « Par l’épuration complexe / De mes résidus négatifs/ Qui obstruent le canal du lien. // Tout en les utilisant, / Je sens les battements / De l’oiseau en plein vol » ». Ils apportent la joie, leurs chants ravissant le coeur dans les espaces bétonnés, artificiels et gris  de la cité : « Alors qu’en ville, le matin / est pris d’assaut / Par la polyphonie des sons / D’oiseaux qui, sous nos toits gris / Enchantent les murs bétonnés ». L’oiseau devient même dessin figé dans le ciel, œuvre d’art immobilisée, abolition du temps dans « Promenade d’un jour » : « En levant mes yeux / Un dessin d’oiseau / Sur le bleu azur / A l’encre blanche / Les ailes déployées / Comme une offrande ». L’oiseau, don du Démiurge, évolue en image de l’oiseau, symbole de liberté, et en colombe, allégorie de la paix.

La réalité urbaine

La poétesse emprunte non seulement ses images à la nature, mais aussi à la réalité urbaine, (« Au coeur de la ville / Le crayon de la Part-Dieu »), elle s’intéresse au réel le plus humble du quotidien, « Chaque matin / A la même heure / La benne à ordures / Dont le moteur agité / S’attarde un instant / En ronflant des rafales / De poussière et de fumée / Arpente les rues délaissées », les allitérations en « r » concrétisent les bruits matinaux de l’activité des éboueurs « emportant nos immondices / Et nos rêves de pureté ». Souhait de la narratrice d’accéder à une terre plus pure et aussi plus humaine : « Il y aurait encore / Beaucoup à faire / Pour ré-enchanter la terre » , « enchanter » du latin « incantare », renvoyant à une incantation, à la Gaïa des origines, à la terre encore vierge et innocente, baignée par les quatre éléments constitutifs du monde.

Le tissage du Temps

Sensible au mouvement de la Vie, de la lumière, de l’écoulement de l’eau, matérialisation du passage, Nouria Rabeh joue avec les saisons réelles et mentales qui s’imbriquent, avec le jour et la nuit, en un mot avec le Temps. Elle relie son passé personnel, inoublié et inoubliable, sa « maison natale », « les oranges / (qui). Brillent au matin », le passé historique violent et mortifère de la Shoah, au présent à savourer dans toute sa simplicité ( « La joie simple d’être / Là ») et au futur ouvert sur l’espoir et la confiance. Le temps s’écoule chez elle naturellement, sans peur, loin de tout sentiment tragique.

L’humanisme

Dans ses poèmes lyriques, la poétesse donne à lire son moi profond, se confie : après le silence, les trésors gisant au fond d’elle-même longtemps tus, (« Durant des décennies, on m’a fait croire / Que je devais me taire et me terrer »), elle chante sa vie recommencée, la célèbre, grâce à la poésie et à son Maître de l’existence qui a forgé l’humaniste qu’elle est désormais : « Depuis cette rencontre inouïe / Mon maître de l’existence / A veillé sur ma croissance / Sans jamais trahir sa pensée / Qui a fait naître en moi / La graine de l’humanisme / Et une aventure authentique ».

Ses poèmes, célébration du vivant sous toutes ses formes, – humaines, animales, minérales, végétales -, suivent le rythme des saisons et de la Vie : allant des « Pas chancelants de l’enfance » à la mort, une mort acceptée, apprivoisée, « Fin d’un cycle », « La marque d’un destin ». Ils sont chants fluides comme l’eau, élément fugitif, régénérateur, symbole de la vie et du passage, qui coule dans nombre d’entre eux : « Le flux et le reflux / Merveilleuse roue du temps / Autour des saisons ». Eau et musique dont les champs lexicaux abondent ( « pluie », « l’eau », « flot », « inonder », « source », « fleuve », « larme », « notes », « violon », « valse », « Musique du Temps », « tambours », « chant »….) se tricotent harmonieusement,  « Quelques notes / Légères et fluides / D’un Clair de Lune / Au bord de l’eau. Debussy a réussi / A me porter / Vers un paysage simple / Où l’on entend le vent / Et les vagues danser », concrétisation de la frénésie de vivre et de créer de cette poétesse prenant le temps de s’interroger sur elle-même , « Comment transformer mon destin / Si ce n’est en brisant les murs / De mon petit égo, trop fier de lui » pour surmonter les épreuves, s’accepter, renaître toujours meilleure , toujours plus légère : « Plus je me défais de mes pesanteurs / Plus je m’élève dans les airs / Plus je redescends solide et optimiste ». De son introspection et de son harmonie intérieure est né Le Ballet du Temps, un recueil poétique esthétique tourné vers la Beauté de l’Art, de la Nature, de la Vie. Le Ballet du Temps, œuvre de Lumière et de Paix, reliant les Hommes et le cosmos dans l’amour universel.

Pour information :

Un autre recueil poétique de Nouria Rabeh, paru en 2007, à lire, Roses des sables :

http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2007/12/21/roses-des-sables-5823678.html

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