Sélectionner une page

Flaques

1/02/2025 | Livres | 1 commentaire

Flaques
Nathalie Léger-Cresson
Edition des femmes Antoinette Fouque (2025)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

Flaques
Nathalie Léger-Cresson
Edition des femmes Antoinette Fouque (2025) Dans Flaques de Nathalie Léger-Cresson, la pensée scientifique et la rêverie poétique se tressent et déambulent sur la scène de l’imagination et de la fantaisie.

Entrelacs du rêve et de la réalité

Dans un récit à la première personne, suivant le cours de ses pensées, une flaque s’exprime, le « je » se conjuguant parfois au « nous »« Petite Flaque » et « Petite Flaque Aussi », arrivées par le hasard des vents sur les rivages de la Seine, disent leurs ressentis, leurs impressions, leurs différents points de vue sur les humains, les animaux, la nature, faisant accéder le lecteur à la vérité et à l’intimité du vivant. Tous les éléments, faune, flore, sont unis par l’eau, liquide universel, sang de la Terre. Petite Flaque et Petite Flaque Aussi sont « toute l’eau » :  parcelle d’eau et totalité, l’eau de la mer méditerranée, de l’Océan Pacifique, des chutes « du Niagara ou d’Iguazù », de la pluie, l’« eau des corps et des plantes »… L’eau dans tous ses états qui stagne, coule, s’infiltre, fuit, se déverse, rebondit, cascade,  joyeuse et paisible, observant son environnement, synthèse de tous les espaces géographiques. Mais il lui arrive aussi « de tout péter, engloutir, renverser, envahir, submerger, noyer ».  Une fois narrées, ces aventures se transforment en réflexions écologiques. L’eau vitale (« Et je vous rappelle, humblement, que sans nous pas de vie, pas de vous ! ») devient parfois mortifère. De l’histoire de deux flaques d’eau, sous la fantaisie apparente du récit, le lecteur accède à des vérités sur la nature et l’ensemble du vivant. Expérience onirique et réalité se tissent !

La flaque devient femme

Puis Petite Flaque et Petite Flaque Aussi se matérialisent, s’humanisent, se prénomment alors Bruche et Tiam, « mélange très abrégé des prénoms des personnes dont (elles ont) usurpé certains traits corporels », illustrant ainsi une osmose entre les eaux et les humains. L’élément liquide devient substance. La flaque devient femme. Elle s’introduit dans l’univers des « hums », se joint à eux, découvre l’amour et le plaisir, leurs rêves, leurs questionnements, le désespoir des plus conscients face aux désastres écologiques : « (…) une mine de nickel empoisonne peu à peu la rivière Icha, vitale pour les humains, les animaux et les plantes de cette forêt ». Par une approche originale et novatrice, glissant l’étrangeté derrière l’ordinaire, Nathalie Léger-Cresson invente une nouvelle forme d’écriture et réinvente notre perception d’un réel pas aussi familier qu’il n’y paraît.

La narration, métaphore filée de l’eau

Dans ce conte poétique et ludique, petit roman-poème et discours de connaissance, construit sous la forme d’une prosopopée, l’autrice met en scène  deux personnages originaux, Tiam et Bruche,  pour aborder la question de l’écologie. L’intertextualité triomphe, mais avec la discrétion d’un murmure et le sourire d’un esprit joueur. De nombreuses connaissances implicites, données avec subtilité, sourdent de la fiction.  Invitant à une lecture attentive et complice, l’autrice distille des références culturelles discrètes (« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », « c’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme » », « Une poète dont le nom ressemble à éponge », « Un autre, plus ancien et plus jeune, qui se disait voyant, a écrit de quelles couleurs il percevait les voyelles »…),  des allusions aux hommes préhistoriques et implicitement à son ouvrage A vous qui avant nous vivez (« Après des débuts à peu près semblables à tous les singes -salut amis singes ! – ils se sont mis à courir par monts et par vaux, très contents de laisser partout des empreintes de leurs mains »), à la fonte des glaces… Nathalie Léger-Cresson entraîne le lecteur dans l’enchantement des mots et la joie de créer. Elle use de néologismes (« l’imaginatoire », « néototénisme »), abrège certains termes (« hum », « ani »), s’amuse avec les sons (« Je pense ici aux zinsectes », « nouzy sommes »), les onomatopées (« Haha »…), joue avec les images.  Le champ lexical de l’eau, les métaphores aquatiques (« (…) les flux et détours de leurs paroles, marées de leurs images, brumes et ressacs de leurs pensées ») circulent dans tout l’ouvrage, flux incessant  (« C’est vrai, le flux, pardon ») auquel fait constamment référence Petite Flaque, souvent après ses phrases interrompues, incomplètes, en suspens,  arrêtées par un détour (« Nous sommes superficielles ou profondes, claires ou sombres, vives ou lentes, douces ou                                     » ),  une brèche : « Le flux ! Ah ! Ces brèches partout, où je me perds, pardon »…Il s’agit d’un flux narratif régulé par la coulée des images, le ruissellement des mots aux tempi variés comme l’eau qui coule, cascade, rebondit, ralentit. La narratrice dit l’évasion de la pensée par le biais de l’imagination : « Et soudain, je me sentis pleuvoir sur sa peau veloutée, glisser sur ses épaules, sa poitrine, son ventre, puis sur tout son corps entier en même temps ! Je cascadais, rebondissais, m’attardais, caressais ses reliefs de toutes mes tendres mains et langues, m’immisçais pour resurgir, descendre et remonter, enlacer son corps de mes mille bras, de mes mille jambes, quand je réalisais que …. j’imaginais ! J’iiiiiimaaaaagiiiiinais ! ». Les reliefs de l’anatomie humaine et implicitement de la croûte terrestre se tissent dans une métaphore filée de l’eau et du corps. La narration elle-même devient métaphore filée de l’eau.

La narratrice relate les couleurs de l’élément liquide, ses reflets, ses mouvements, son rythme,  ses sons, en un mot sa Beauté  et sa poésie : « Le soleil nous illuminait en bleu avec des reflets d’argent et les poissons scintillaient. Le silence laissait toute sa place à nos clapotis sur les rochers, à nos soupirs d’aise quand on s’effondrait, pas de très haut, sur la plage, puis glissions en arrière dans le sable et les cailloux qui voulaient nous retenir dans le gargouillis – mais non mais non – avant de recommencer ». La musique des mots glisse et trébuche en un va-et-vient visuel et sonore des vagues. La voix de l’eau se fait entendre au propre comme au figuré, dans la narration et l’histoire, à travers le verbe et les images : «Petite Flaque, riant aux éclats, c’était le fracas d’une vague qui s’abattait, puis refluait en entrechoquant des galets ». Les allitérations en « » et les assonances en « è » se répercutent, renforçant cette évocation sonore, concrétisant le fracas des vagues, métaphore du rire. Les sonorités suggestives, au pouvoir incantatoire, en une palpitation rythmique, irriguent le texte et lui insufflent la vie. La flaque, l’eau, toute forme d’eau :  le symbole de la féminité et de la Vie.

Dans Flaques de Nathalie Léger-Cresson, les mots et les figures de style établissent toute une correspondance entre le réel et l’imaginaire hydrique. L’écrivaine embarque le lecteur dans le plaisir de son écriture ciselée par le biais du rêve, de la tendresse et de l’humour.  Flaques  est un ouvrage original, novateur, qui requiert un lecteur attentif et curieux pour en révéler pleinement la richesse.

A lire aussi de Nathalie Léger-Cresson :

1 Commentaire

  1. Nathalie Léger-Cresson

    Merci mille fois, chère Annie, pour cette lecture attentive et l’élégance de votre compte-rendu. La joie de créer que vous percevez dans ce livre est aussi une aspiration au partage des découvertes que la poésie me révèle, chemin faisant.C’est un bonheur de constater que parfois le partage est réussi! Longue vie à votre site, et mille ans de plaisir par les livres!

    Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Commentaires récents