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Sous l’ombrière du vieux port

23/12/2017 | Livres | 1 commentaire

Sous l’ombrière du Vieux-Port
Jacques Koskas
Editions Vivaces (2017)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

   Image sous l'ombrière.jpg Dans Sous l’ombrière du Vieux-Port de Jacques Koskas, l’enquête policière et  l’enquête personnelle, le présent précipitant les protagonistes dans un retour sur le passé, se tricotent,  émaillés de coïncidences surprenantes.

     L’enquête du commandant Martial Merlin et de ses collaborateurs, le capitaine Léa Modestine et le lieutenant Romain Pigal se poursuit sur cinq journées du jeudi 11 août 2016 à 8h45 au mardi 16 août à 11h12. L’angoissant mystère de la disparition circule dans tout l’ouvrage et touche plusieurs personnages avec son lot de questions, de tristesse, d’incompréhension. L’enquête  donnée dans un récit pris sur le vif au présent permet toujours  une remontée dans le passé des protagonistes en accompagnant le déroulement de leurs pensées et de leurs souvenirs qui se recoupent parfois. Le lecteur assiste à des investigations en direct : les chapitres se succèdent donnant à lire  les faits vécus au même moment par les différents personnages. Le jeudi 11 août à 14 h30, le lecteur se retrouve dans une chambre d’hôpital en compagnie d’ Apollon Donnadieu et de Dédé, puis dans le chapitre suivant, il vogue  à la même heure « vers le château d’If » avec le commandant Merlin avant de se retrouver attablé « à l’unique restaurant de l’ile (en compagnie d’) une femme, les yeux à l’ombre d’un chapeau blanc à larges bords ». Ce parallélisme, cette simultanéité créent tout un rythme dynamique  en plaçant le lecteur dans le quotidien de tous les personnages  et en lui permettant d’assister à chaque minute de l’enquête dans différents lieux à la fois.

    Le passé de chaque personnage se mêle au présent. Le commandant Merlin pressent des rapports entre les différentes enquêtes, il suit ses intuitions et vit en même temps ses problèmes de cœur au propre et au figuré. Alors  qu’il effectue plusieurs investigations, le commandant Merlin recherche son père disparu de manière incompréhensible quand il avait dix ans et dont les souvenirs le poursuivent depuis quelque temps : « En tête de ses préoccupations, la disparition de son père qui vient de refaire surface depuis qu’il a retrouvé, il y a quelques jours, des objets lui ayant appartenu, entassés dans un carton, au fond d’une armoire ». Alors qu’elle essaie de vaincre ses fantômes et  son agressivité intérieure, Léa Modestine subit toujours le traumatisme causé par son père décédé depuis plusieurs années : « L’image de son père vient se superposer aux traits du pêcheur. Visage fantomatique qui hante ses cauchemars ». Romain Pigal, « largué par sa compagne qui a refusé d’épouser un handicapé » est dévoré par  son souvenir. Il recherche avec fébrilité le commanditaire de ses agresseurs qui ont brisé son couple et sa vie de policier dynamique : « Deux ans se sont écoulés depuis qu’une moto folle lui a cassé les reins alors qu’il planquait sur un trottoir ». La belle  et élégante Mireille Renoir, sans nouvelles depuis quatre jours de sa fille Annabelle, essaie de savoir ce qui a pu arriver à cette dernière. Apollon Donnadieu dont la mère vient de mourir est hanté par le décès accidentel de son père alors qu’il était encore un enfant. Clara Carmina, quant à elle,  recherche étrangement une poupée. Au fil des pages, le lecteur découvre que des liens existent entre les différents personnages tous fortement typés, dotés de relief. Leurs portraits sont tracés avec précision. Leurs tics, – Merlin tire toujours sur ses bretelles, les dreadlocks de Léa « dansent » toujours  « autour de son visage à chacun de ses mouvements » – ,  leur caractère sont sans cesse notés. Les portraits, toujours bien campés, bien caractérisés, créent des personnages plus vrais que nature.

   Des jeux de miroir se multiplient, concrétisation du titre de l’ouvrage. L’ombrière du Vieux-Port ancre le roman dans le réel marseillais et crée en même temps tout un jeu de mise en abyme. Comme les passants se dédoublent en flânant sous le plafond réfléchissant de l’ombrière créant tout une aura poétique, les multiples disparitions se renvoient en reflet les unes les autres, reflets  d’existences où le mensonge et la folie émergent. Le roman policier devient alors roman de caractères. Le narrateur ne se contente pas de chercher à élucider des énigmes (Pourquoi les quatre « fadas » ont-ils plongé dans la mer ? Que contenait le congélateur ?), il devient étude psychologique, tentant d’expliquer et de comprendre des comportements humains parfois fantasques et apparemment peu cohérents.

    Le récit donne à voir des êtres humains  complexes et mystérieux. Leur personnalité comporte des facettes multiples, cachées, secrètes, ignorées même de leurs proches. Cette richesse psychologique sourd dans tout l’ouvrage avec souvent beaucoup  d’humour. En effet, de nombreuses analyses  psychologiques  effectuées par  Martial Merlin sont souvent tournées en dérision par ses collègues : « Encore votre psychologie à deux balles, commandant, plaisante Léa. Vous auriez dû être psy, plutôt que flic ». Le narrateur joue avec ses héros romanesques conjuguant les thèmes du  roman classique et du  roman policier : la psychologie, l’angoisse, le suspens, la recherche des causes des actes de délinquance, la mort…

    La mort, thème habituel du roman policier,   est dans le roman de Jacques Koskas  détournée de son rôle habituel.  Elle est mise en scène, théâtralisée avec l’intervention de la thanatopraxie, mêlant le tragique, le morbide et l’humour. Le farfelu et le réalisme se côtoient. Le narrateur transmet l’authenticité de la vie avec des êtres communs, médiocres même, loin du milieu du crime, qui peuvent devenir un jour ou l’autre volontairement ou involontairement criminels ou tricher avec la justice  alors que rien ne le laissait présager. Un incident, un fait, comme la jalousie, un handicap, vécu par soi-même ou par un tiers peuvent changer un être. L’humain est complexe et mystérieux. Sa personnalité comporte des facettes multiples, cachées, secrètes, ignorées même des plus proches. Pour ne pas spolier l’histoire, nous n’en dirons pas davantage.

   Dans l’ouvrage original et captivant,  Sous l’ombrière du Vieux-Port, Jacques Koskas  raconte une histoire aux multiples intrigues agréable et souvent surprenante  en tenant les lecteurs en haleine, en jouant avec le suspens, interrompant son récit au moment où une information importante va arriver,  finissant souvent un chapitre sur une question ou en rejetant à plus tard la réponse : « La scientifique vient de faire une découverte dans la camionnette. Pas de temps à perdre ! Je vous raconte la suite en chemin ».   Les nombreuses références psychologiques  serties d’humour,  des personnages paradoxalement tout à la fois communs et hors du commun, la tension narrative séduisent  et amusent tout à la fois en embarquant le lecteur loin des pactes de lecture habituels du roman policier.

 

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1 Commentaire

  1. Jacques KOSKAS

    Chère Annie,
    Quel joli cadeau.
    Merci de tout cœur.
    Encore une fois, vous décelez dans mes écrits des choses qui m’étaient invisibles.
    Initialement, le livre devait s’appeler La mariée du Vieux-Port.
    L’action se déroulant à Marseille, Sous l’ombrière s’est imposée comme un élément, aujourd’hui, incontournable de la ville.
    C’est en vous lisant que j’ai compris le lien inconscient qui s’était fait en moi.
    La surface miroitante de l’ombrière reflète bien les différents jeux de miroir où se projettent les histoires des protagonistes confrontés à la douleur de l’absence…
    Mais vous dites tout cela bien mieux que moi.
    Je vous souhaite une belle année remplie de bonheurs de lecture.
    Jacques KOSKAS
    jacques.koskas@gmail.com

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