Des Fleurs pour Baptiste
Jacques Koskas
Editions Vivaces (2019)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Dans Des Fleurs pour Baptiste, première pièce de théâtre de l’écrivain Jacques Koskas (1), l’arrivée tant attendue d’un enfant qui aurait pu être un moment de partage, d’amour familial extraordinaire, magique et joyeux se transforme en tragédie. En effet, comme dans la vie quotidienne, quand une GPA se passe bien, aucune difficulté ne surgit. Les parents sont ravis de tenir enfin le bébé tant désiré dans les bras et la mère porteuse est valorisée pour sa générosité. Quand des problèmes se présentent, c’est un véritable cataclysme, un véritable malheur. La pièce de Jacques Koskas propose par le biais de dialogues théâtraux, de longs monologues, une réflexion sur la gestation pour autrui : important sujet de société, à la fois bioéthique, psychologique, philosophique et bien sûr humain. Jacques Koskas donne à voir, comme dans toute œuvre théâtrale authentique, une vision déchirée de l’Homme. Il confronte des caractères, des personnalités mais aussi des idées.
Avant le lever du rideau, le spectateur s’interroge sur le titre ambigu de la pièce, Des Fleurs pour Baptiste : les fleurs, cadeau esthétique et délicat lors d’une visite à un ami, pour une fête, un mariage, mais aussi signe de soutien, de réconfort lors d’un deuil. Les fleurs tricotent joie et tristesse. Et qui est Baptiste dont le prénom est absent de la distribution n’annonçant que trois personnages : « Estelle, la femme stérile. Nina, la mère d’Estelle, Julien, le compagnon d’Estelle » ? Trois personnages laissant présager une affaire familiale.
Le programme et la didascalie initiale introduisent le spectateur dans une chambre de nouveau-né, absent, dans laquelle toute la pièce se déroulera : « Chambre de bébé. Couleurs gaies. (…) Berceau, table à langer, peluches, jouets, mobile musical au dessus du berceau (…) ». Une femme, Estelle, va et vient, impatiente et nerveuse, dans ce huis clos chaleureux, tendre et ludique, que la présence d’un mobile musical, de peluches et de jouets procure. La fébrilité de l’attente s’impose d’emblée à l’assistance. Estelle attend sa mère, une femme présentée comme imprévisible, dépourvue du sens de la ponctualité : « Voiture ou pas, sa notion du temps ne ressemble en rien à celle des gens ordinaires ». Puis au fur et à mesure des répliques, le spectateur apprend qu’ Estelle est atteinte du syndrome Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser. Son compagnon et elle, désireux d’avoir un enfant bien à eux, ont décidé, en désespoir de cause, de faire appel à une mère porteuse. La génitrice d’Estelle, sans arrière pensée, s’est proposée de porter le bébé. Mais bizarrement, alors qu’elle s’était engagée à donner le nouveau-né aux parents, « au sixième mois de grossesse, bouleversée par l’échographie du deuxième trimestre, Nina disparaît ». Une fois le petit garçon né, elle le garde !
La pièce, mettant en scène une situation de vie porte sur les motifs de cet enlèvement. Des échanges violents et émouvants, des explications, des justifications, des révélations, des souffrances sont donnés à entendre, proposant une incontestable argumentation sur la GPA, soumettant les points de vue opposés de la gestatrice et de la donneuse d’ovocyte. Qui est la véritable mère ? Celle qui a porté pendant neuf mois un enfant, nouant avec lui des liens privilégiés comme l’explique Nina en usant d’ anaphores lyriques et incantatoires : « Un ovocyte contre neuf mois passés à loger mon bébé, le nourrir, le protéger. / Neuf mois vécus dans une fusion totale. / Neuf mois pendant lesquels il a poussé dans le nid le plus doux qui soit, à l’écoute de mon coeur, de mon souffle, de ma voix… », celle qui a souffert dans son corps pendant la grossesse, l’accouchement (« Quinze heures de contractions ! »), qui a communiqué avec cet enfant : « Et les chansons que je lui chantais…/ Et les caresses que je lui prodiguais… », celle qui comme le stipule le code civil « donne naissance à l’enfant » ? Ou bien, la mère est-ce celle qui a donné un ovocyte fécondé par le sperme paternel ? Celle qui a rêvé et vécu par procuration la grossesse « le nez plongé dans des bouquins de médecine, les yeux rivés à l’écran de son ordinateur, (suivant) les transformations de (son) bébé jour après jour », en présentant tous les symptômes, persuadée de porter un enfant dans ses entrailles: « Est-ce que je ta parle de mes nausées, des kilos que j’ai pris, de mes seins qui ont gonflés » ? Et l’intérêt de l’enfant est-il défendu dans une telle situation ? En effet, l’enfant n’est pas un objet, jouet des envies des adultes.
La pièce de théâtre dévoile progressivement des déchirements intérieurs, des désirs, des souffrances psychologiques : la douleur de la fillette non aimée par sa mère qui, une fois adulte, compense ses frustrations en volant, le deuil impossible… Les propos de Nina et d’Estelle révèlent le fond de leur personnalité, leur intimité, leurs secrets. Leurs relations conflictuelles éclatent au grand jour. Alors qu’en réalité, elles ne se connaissaient pas, qu’elles étaient deux étrangères, elles se découvrent. Mais l’isolement existentiel est absolu. Estelle ne sera jamais l’enfant aimé de Nina. Elle sera toujours la fillette née de père inconnu, celle pour laquelle sa mère-enfant de dix-sept ans, ne ressentait rien : « Ni émotion, ni amour, ni haine…Rien. C’était une étrangère ». L’ironie du sort s’impose. Comme dans les tragédies grecques, les dieux décident autrement que ce que veulent les hommes.
Jacques Koskas met en scène l’échec d’une discussion qui n’a servi qu’à révéler les problèmes et la tragédie de chacun. Estelle et Julien ont été plongés dans une attente vaine.
Le dramaturge s’adresse à la réflexion et au jugement du spectateur, l’incitant à se faire une idée personnelle de la gestation pour autrui. Dans cette pièce aux tons mélangés, de forts moments de tension et d’émotion sont cassés par des traits d’humour : « j’ai été pénétrée par un cathéter ! (…) Entre Julien et le cathéter, il n’y a pas photo… ». Un certain suspens attise la curiosité du spectateur. Pourquoi Nina est-elle bouleversée par l’échographie du deuxième trimestre ?
Des Fleurs pour Baptiste est une pièce de théâtre originale, dotée d’une grande densité psychologique, écrite avec beaucoup de sensibilité et de délicatesse. Malgré le thème peu facile à traiter de la GPA, elle est dépourvue d’esprit polémique. L’objectif est d’inciter le spectateur à réfléchir sur un sujet important de notre société en pesant, avec le plus d’objectivité possible, le pour et le contre. Le dramaturge ne prend pas position, il donne simplement à voir.
(1) Du même auteur :
- 18 rue du parc (2014)
- La liste de Fannet (2015)
- La fille sur le trapèze (2015)
- Sous l’ombriére du vieux port (2017)
- Des fleurs pour Baptiste (2018)
- Histoires noires autour d’une tasse de thé (2019)
- Mortel végétal (2020)
Merci Annie pour cette chronique tout à fait juste qui reflète bien l’esprit de la pièce. J’en profite pour lancer un appel aux compagnies de théâtre qui aimeraient s’emparer de la pièce et lui donner vie sur un plateau. Jacques Koskas. jacques.koskas@free.fr