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Quand l’humour l’emporte

22/11/2005 | Livres | 0 commentaires

Rue du Faubourg Saint-Denis
Louis-Philippe Dalembert
Editions du Rocher, 2005

(par Annie Forest-Abou Mansour)

louis.JPGLe style truculent, familier et coloré de Louis-Philippe Dalembert introduit le lecteur dans l’univers mental de Jean, un jeune noir qui regarde « le journal de TG1 » ou de « Gaule 2 », écoute « Gaule Inter » et dont le copain Djibril lit Le Globe Diplo …Cette langue d’adolescent, avec son style oral, son lexique argotique (« les keums », « la meuf ») ou phonétique, (monsieur Kahn, par exemple, « c’est un nanar »), ses constructions syntaxiques audacieuses (« Elles tirent la tronche et ont pas envie de tchatcher gratos avec un préado ») donnent un tempo très rythmé et dynamique au texte. La langue du narrateur, proche de celle de Louis-Ferdinand Céline, crée un lyrisme d’un genre nouveau soucieux de décrire un réel parfois sordide et souvent difficile à vivre pour les plus démunis : ceux qui sont étrangers (« Djibril qu’a des diplômes en veux-tu en voilà, ingénieur, doctorat et tout le toutim, mais c’est pâtissier algérien qu’il fait ») isolés ou simplement âgés.

 Malgré une triste histoire , la prise de conscience de la mort par un enfant avec la fin solitaire de « Ma’ame Bouchereau », l’humour l’emporte toujours avec les nombreux clins d’œil au lecteur ; littéraires :« Vous hypocrite lecteur. Je ne sais plus où j’ai chopé ça. Faut pas croire que je visionne seulement les films à la téloche. A force de me refiler leurs bouquins, ils m’ont changé accro aussi à la lecture… Y a aussi le Polonais rital. Qui c’est ? Le poilu celui qui s’est ramassé un obus sur le crâne et qu’a la tête bandée sur la photo. A cause de lui, une fois j’ai gazé jusqu’au pont Mirabeau…» ; religieux « Comme ce type de la Bible qu’a bazardé son droit d’aînesse pour une assiette de lentilles » ou politiques lorsque Jean évoque le « borgne ».

Le lecteur, partagé entre le sourire et l’émotion, suit avec gourmandise le rythme alerte des pensées de Jean. L’oral pénètre l’écrit à tel point qu’il croit voir le texte s’écrire sous ses yeux. Pourtant en même temps, il goûte un discours très construit et très travaillé.

Un livre à lire pour le plaisir mais aussi pour réfléchir dans une France où la démocratie, en ce moment, telle une vieille femme, devient frileuse et s’essouffle.

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