Lise
Jean-Marie Quéré
Les Découvertes de la Luciole (2023)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Une absente intensément présente
Dès l’incipit de l’ouvrage Lise de Jean-Marie Quéré, le ton et le genre sont d’emblée donnés. Il s’agit d’une autobiographie lyrique et tragique n’embrassant pas une vie entière, mais des fragments d’existence circonscrits autour de la sœur aînée du narrateur, Lise, décédée d’une leucémie à vingt-deux ans. Cinquante ans après ce malheur, le narrateur met des mots sur le vécu, l’agonie et la mort de cette absente intensément présente («Comment conjuguer son absence, cruelle, à sa présence, éternelle ?»), être unique au propre et au figuré, «Nous avions une sœur. Nous avons une sœur. Une seule. L’aînée», comme le souligne la répétition de l’article indéfini «une» et la présence de l’adjectif «seule» nominalisé, mis en valeur dans une courte phrase. Le récit donné au présent, présent éternel des souvenirs toujours vivants, se concentre sur les quatre dernières années de la jeune malade, avec des allers-retours sur des moments passés cruciaux gravés de façon indélébile dans la mémoire. Les souvenirs affluent par touches dans un ouvrage à la configuration circulaire ne progressant pas de façon linéaire, le narrateur les approfondissant, s’interrogeant sur leur sens : «Que cachent les souvenirs ? ». Aident-ils à apaiser, à mieux vivre, à mieux se comprendre ? Constituent-ils un mausolée à l’état latent, élevé en l’honneur de la personne aimée, matérialisé enfin sous la forme d’un livre ?
Une écriture lyrique
L’auteur dit comment ses parents, sa sœur et lui ont traversé la tragédie de la maladie et de la mort, quelles étaient leurs relations, leurs personnalités avant et pendant la maladie. Lise est celle qui l’a écouté et lui a parlé dans une famille mutique, rigide : «A toi qui me parlais. Surtout qui me parlais, dans cette famille où personne ne semblait savoir ce que cela voulait dire». Jetant un regard lucide sur le passé, il dit avec discrétion et pudeur sa tristesse, analyse son vécu, dévoilant son âme et celle de sa sœur, «double de (lui)-même», qui l’a révélé. Il «enfreint la règle de plomb. Ne pas dire ce qui touche au coeur». Lui, il a dit et il écrit désormais. Avec une intense émotion, avec force, les mots, les images suggèrent les liens profonds indestructibles et l’amour sincère unissant les deux êtres : «Ainsi s’inscrit, au fer rouge de la douleur et du deuil, en une myriade d’instants fondateurs, tables de mon existence, l’empreinte inaltérable de notre relation».
D’emblée le lecteur est sensible au lyrisme de l’ouvrage. En effet, l’auteur privilégie tout ce qui concerne la jeune femme trop tôt partie, les événements permettant de l’approcher, de la comprendre et de se comprendre lui-même. Avec des élans lyriques, il s’adresse à cette jeune fille tant aimée : «A toi qui m’as vu naître, qui m’as vu grandir et sortir des bras de notre mère». Il interpelle cette sœur protectrice, («égide de mon existence»), tendre, compréhensive, consolatrice : «Et je garde, comme un trésor, le souvenir de Lise, attentionnée, venir m’embrasser le soir dans mon lit». L’écriture concrétise les mouvements émotionnels animant le narrateur avec un registre lyrique qui circule dans tout l’ouvrage, multipliant les répétitions, pathétiques reprises litaniques, «plus jamais je n’entendrai la voix de Lise. Plus jamais, son timbre, son rythme, ses accentuations, sa prosodie, définitivement tombés dans l’oubli. Perdus à tout jamais dans un délaissement froid et glacé», créatrices d’un tempo lancinant. Le lexique négatif dit la froideur, la vacuité, l’absence («arraché à l’enfance», «halo d’ombre», «délaissement froid et glacé», «je suis défait», «manque douloureux», «nuit froide et lourde de silence (…) nuit sans lune». Il s’oppose aux mots connotant la joie, la lumière liés à Lise («Son visage (…) ne reflète plus la lumière chaude de l’été», «la joie que tu m’as laissée en héritage», «aveuglante lumière». La mort de Lise constitue une fracture insupportable, insurmontable, dans l’existence du narrateur («En perdant Lise j’ai tout perdu») opposant deux mondes, celui de la chaleur, de la lumière de la vie à celui de la froideur et de l’ombre évocatrices de la mort. L’ouvrage, confidence du narrateur, réflexion sur sa sœur et sur lui-même, est empreint de toute une émotion née de sa sincérité exprimée avec simplicité, sans emphase. Le passé perçu avec le recul du temps se tisse au présent et l’éclaire : Lise, «sentinelle de (s)es jours, vigile de (s)es nuits», a laissé à l’auteur la joie en héritage et les mots pour s’exprimer.
Lise éternelle
Lise est l’absente omniprésente dans les souvenirs, les pensées, le cœur de l’auteur, dans chaque page de l’ouvrage auquel elle donne son nom. Lise dont le prénom en constitue l’ouverture et la clôture, écho sonore infini. Lise, vivante et rayonnante sur la photographie de la première de couverture, sur laquelle elle semble s’envoler joyeusement dans la quête d’un ailleurs. Lise symboliquement immortelle comme l’Isle, la nature éternelle, le lieu privilégié de l’enfance, le «lieu de mémoire», dont le nom constitue l’anagramme du prénom de la jeune femme. La permutation des lettres : la représentation de l’arbitraire des signes et de l’arbitraire de l’existence. Lise inoubliée et inoubliable, présente dans chaque parcelle de Vie.
Lise de Jean-Marie Quéré, travail de mémoire, hommage à une sœur inoubliable, est un ouvrage qui dépasse le tragique pour le transmuer en un passé accepté et un présent apaisé.
Un autre ouvrage de Jean-Marie Quéré :
L’Isle ou la mémoire de sable
Remarquablement écrit, cet ouvrage intime pourrait aider par la justesse des mots, toutes les familles confrontées à la perte d’un des leurs touché en pleine jeunesse par une maladie mortelle.
LISE que j’ai eu l’honneur de connaître fut une véritable héroïne résistante face à cette guerre contre la maladie.
Sa vie, si courte fut exceptionnelle et je remercie son frère tout aussi talentueux de nous l’avoir fait partager.