UNE SOMME DE SOUVENIRS
Thomas Scotto
Illustrations d’Annaviola Faresin
Editions Notari (2018)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
L’album de littérature jeunesse de Thomas Scotto, UNE SOMME DE SOUVENIRS, illustré de façon réaliste et esthétique par Annaviola Faresin, offre aux lecteurs un conte philosophique merveilleux (1). Il narre une tranche de vie de monsieur Wilson et interroge sur les mystères des souvenirs.
Monsieur Wilson est veuf. Le chagrin et la solitude l’ont poussé à empiler des « trésors de bazar » dans sa grande maison. En effet, « chagrin et propreté ne font pas bon ménage ». Le syndrome de Diogène semble l’avoir atteint. Les objets encombrent et les souvenirs quant à eux peuvent être douloureux : « A quoi bon les conserver si trop de souvenirs vous empêchent de dormir ». C’est pourquoi, le jour de la grande braderie de son village d’Angleterre, monsieur Wilson a une idée charmante et originale : il décide de vendre ses souvenirs, « des amalgames de particules vaporeuses et imagées », avatars d’origami, clin d’oeil du narrateur à la citation mise en exergue en tête de l’ouvrage. Ces souvenirs légers, précieux, savoureux de toute une vie sont extraordinaires comme le prouvent les comparaisons poétiques de la description : « c’était mouvant, presque vivant, coloré comme une vitrine de pâtisseries, comme une brassée de saisons interminables ». Comme tous les souvenirs, ils n’ont pas de prix. La « femme au parfum poivré » en échange un contre une conséquente somme d’argent, « dix billets tout neufs » « pour son morceau de tango ». Les souvenirs constituent la personne, ils n’appartiennent qu’à elle. Ils sont son passé, son vécu, son ressenti, ses expériences. En vendant ses souvenirs, en les partageant avec les autres, monsieur Wilson les fait émerger. Dotés d’une netteté extraordinaire, ils ne sont pas vains. Ils attirent, intéressent, plaisent. Chacun se les approprie en fonction de son âge, de sa personnalité. La nuit de guerre devient, pour un groupe de jeunes, un jeu vidéo. Mais l’être le plus important à qui le vieil homme va offrir ses souvenirs est Amy, sa petite fille. En effet, elle va « grandir avec ». Monsieur Wilson comprend la nécessité, l’utilité , l’immense valeur de ses souvenirs : « il comprit combien la somme de souvenirs qu’il possédait était immense, qu’ils pouvaient être utiles à beaucoup d’autres et que pour rien au monde il ne voulait en priver sa petite-fille. Elle grandirait avec. Les bons comme les plus douloureux. Elle en ferait des pavés pour ses routes, des terrains vagues pour ses questions, des barricades de révolutions, peut-être (…) ». Il en saisit le sens : il existe différentes façons de transmettre le passé, par les objets ou en racontant. Alors que les objets sont témoins de ce passé, les souvenirs sont constitutifs de la filiation. Non seulement ils resserrent les liens entre le grand-père et la petite fille mais ils aideront aussi la fillette à vivre et à se construire.
Dans UNE SOMME DE SOUVENIRS, la réalité donnée par l’intermédiaire du merveilleux (monsieur Wilson extrait de son oreille gauche ses souvenirs) procure à chaque souvenir un sens encore plus profond. Le passé retentit dans toute la vie de chaque personne et il fait écho dans la vie de ses descendants. Ces derniers en sont les héritiers. Grâce à eux, ils peuvent connaître les êtres chers disparus, se situer dans l’histoire familiale dont ils sont le produit et se comprendre dans cet héritage. Il est donc important et primordiale de les transmettre. Avec une écriture poétique émouvante, tendre, sensible, Thomas Scotto redonne vie au jeune homme qu’était monsieur Wilson et à la belle histoire d’amour vécue avec celle qui deviendra son épouse : « On aperçoit les frissons partagés d’un couple d’adolescents avant de monter dans une nacelle bleue, puis leurs bras enlacés pendant des tours et des tours, puis leurs lèvres jointes jusqu’à l’arrêt complet, puis, au moment de partir, deux traces dans la neige… l’empreinte de leur amour tout chaud sur le manège ». Les souvenirs immortalisent des moments éphémères comme une empreinte sur la neige. Mais ils ne s’effacent jamais.
Les attrayantes illustrations réalistes d’Annaviola Faresin, à l’aquarelle et au crayon, avec leurs personnages aux visages expressifs, accentuent l’émotion procurée par le texte. Le jeu entre le noir et le blanc des maisons, les personnages et les souvenirs en couleur transforment l’ouvrage en véritable objet esthétique. Les touches de couleur rouges (symbolisant dans le livre le tango et l’amour) et vertes réchauffent les teintes douces et surannées. Texte et images se conjuguent harmonieusement permettant une agréable visualisation de la narration en invitant les lecteurs à la réflexion et au rêve. Une somme de souvenirs est un magnifique ouvrage philosophique, pertinent, littéraire, poétique, picturale sur la transmission. Une fois de plus, les Editions Notari se démarquent des autres maisons d’Edition par leur mise en page très soignée, leur originalité, leur beauté et leur richesse en proposant un ouvrage destiné aussi bien aux petits qu’aux grands.
- Le merveilleux s’exprime dans un univers factice et incroyable. Les événements surnaturels interviennent et sont acceptés comme tels.
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