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Une longue histoire

12/06/2012 | Livres | 0 commentaires

 

Une longue histoire   
Katherine L. Battaiellie      
Gaspard Nocturne (2006)

 

 

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

 

 

 image battaiellie.jpg   Une longue histoire de Katherine L. Battaiellie est paradoxalement une miniature : deux petits textes, « Elle » et « Le lieu »,  sans véritable histoire, pour le plaisir d’écrire, pour l’amour des mots : « j’aime toujours les mots rares rencontrés dans les lectures, le dictionnaire, comme des secrets délectables », mais aussi, dans le premier,  pour dénoncer l’intense souffrance d’une écolière face à une institutrice toute puissante, méprisante, au comportement discriminatoire qui ne reconnaît pas et même nie la myopie de son élève.  La souffrance, l’émotion de la  fillette, ses souvenirs enfouis dans la mémoire sont   donnés comme un long cri de détresse dans un souffle ininterrompu,  mis en valeur par l’absence de toute ponctuation, de toute majuscule, véritable   écriture  terroriste pour une institutrice. La vengeance, action méprisable, devient revanche, œuvre d’art sublime par la puissance vengeresse des mots, échos de la pensée de la fillette.      
    Cette écriture du fragment parle au premier abord aux yeux par toute une poésie de la mise en page, puis aux émotions du lecteur. Un fond d’agressivité terrible surgit d’emblée chez la narratrice dans des rythmes ternaires lyriques dotés de mots aux connotations violentes porteuses de créativité : « lui arracher un ongle », « des petits pincements tiraillements tarabustements dont je serais l’origine ignorée elle s’irriterait s’inquiéterait son cœur commencerait à lui battre aussi vite qu’il me bat depuis l’enfance ». Après le silence trop longtemps contenu, éclate la vérité : « aujourd’hui il faut que cela sorte de ma gorge de moi de ma maison ». L’élève sacrifiée, dépossédée de son être,  devenue adulte, se reconstruit en détruisant verbalement celle qui l’a persécutée : « je veux que tu lises ce texte avant de mourir on ne saccage pas impunément les enfants », en lui prouvant son talent. Elle cherche à travers l’écriture à nouer l’impossible dialogue avant qu’il ne soit trop tard : « il me faut régler notre petite affaire tenue secrète qu’avant notre mort à toutes deux les choses soient dites inscrites exposées à tous » et clamer haut et fort le secret trop longtemps contenu en rédigeant un livre total, « bref et parfait »,  devenant la porte parole des  sans voix et des victimes : « être la voix des muettes réparer les malchances sans cesse tirer les victimes (…) »

 

    Dans la seconde partie du dyptique, le vécu se renverse. A la blessure, s’oppose le sentiment d’existence, de bonheur. Véritable éden, le jardin,  « quintessence de toute forêt »,  lieu protecteur et esthétique, façon d’échapper au réel, donnait et donne toujours des rêves. Dans le jardin, paysage en demies teintes, en clair obscur,  la fillette est envahie par un faisceau de sensations agréables et multiples. Tous ses sens sont en éveil : odeurs, saveurs, bruits se mêlent : «  les trouées de la forêt, les cours suspendues ombreuses et fraîches, (…) le clair obscur (…) le froid et le chaud (…) le clapotis infime des canaux (…) la douceur souple, moelleuse, des allées de sable (…) ». La narratrice ressent par la sensation le retentissement  des choses, la pulsation de la vie, de rares  instants d’intense bonheur : « Très rarement s’offrent à nous, dans notre vie, des moments d’accalmie complète, absolument sereins, des moments en suspens, et certains paysages seulement leur correspondent, qui plaisent du fond du cœur (…) ». Et c’est dans ce jardin aux lumières tendres et tamisées, à la géographie floue et colorée que s’est formée la sensibilité exacerbée de la petite fille myope.

 

    Dans Une longue histoire de Katherine L. Battaiellie,  la nature, à la beauté sublimée et  médiatisée, favorise l’oubli des souvenirs négatifs de la fillette timide et gauche qui n’arrivait pas à formuler ses pensées pour donner naissance à une véritable prose poétique  esthétique. 

 

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