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Ruth, sentiments et tourments

8/09/2017 | Livres | 0 commentaires

Ruth, Sentiments et tourments.        
Pierre Robert     
Vérone Editions (2016)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

  Image ruth.jpg  Ruth, Sentiments et tourments de Pierre Robert se déroule dans la bourgeoisie sud africaine aisée. Cet ouvrage qui tricote présent et passé navigue dans l’espace de l’inconscient et  de l’intimité. Il relève du récit introspectif psychologico-psychanalytique dans lequel se glissent progressivement de l’action et du suspens. Le lecteur suit les méandres des pensées, des émotions, des désirs, des fantasmes  (« () elle s’imaginait qu’Enzo l’avait prise sur le piano cette soirée-là, ou encore sur une machine à laver en plein essorage, ou enfin dans une rivière avec des fleurs »),  des joies et des souffrances, des rêves liés au passé proche  des deux personnages principaux blessés par la vie. Ruth, femme mariée séduisante,  belle,  intelligente, d’apparence forte, mais fragile intérieurement, a subi, enfant, un traumatisme d’origine sexuelle. Lors d’une consultation médicale, elle tombe sous le charme du bel Enzo, élevé tout petit par une Africaine qui s’est sacrifiée pour sauver sa famille en 1960  lors d’émeutes  au Congo belge contre les colons. Enzo,  médecin chaleureux, ouvert, à l’écoute de ses patients, est  profondément amoureux du continent immense et multiple qu’est l’Afrique.

     A la faveur de l’amour d’Enzo pour l’Afrique, de sa solidarité en faveur des clandestins, des immigrés (« Ce sont deux immigrés vivant en Afrique du Sud, dont mon père s’est plus ou moins occupé depuis leur arrivée à Cape Town », « «  (ce) sont des clandestins Congolais plus ou moins sans papiers (…) mon père les a même cachés dans la cabane de Cape Point (« ),  Pierre Robert emporte le lecteur dans la beauté des paysages contrastés de l’Afrique, allant des déserts arides et poussiéreux aux forêts luxuriantes,  endroits magiques, véritable éden : (« (…) ils découvrirent  avec stupeur une véritable oasis au milieu d’un désert de rocaille. Dans le fond d’une vaste vallée, un fleuve serpentait lentement à distance des  massifs montagneux. Une bande de verdure dense et touffue longeait son cours de part et d’autre, comme une ceinture végétale qui contrastait avec  le jaune et le beige du sol désertique des alentours. Des palmiers, des bambous et des baobabs serrés les uns contre les autres semblaient jaillir des eaux fécondes (….) ». Le narrateur joue avec les couleurs, la lumière, donnant à voir des paysages oniriques, verdoyants, des levers et des couchers de soleil  roses (« Les premières lueurs de l’aube teintaient la campagne d’une couleur rosée très pâle »).  Les décors  lumineux aux éclatantes couleurs  du Congo  («  (le) soleil fuyant qui disparaissait déjà derrière l’horizon en teintant le ciel d’un magnifique dégradé de pourpre ») entraînent le lecteur dans un univers de rêve. Il le guide  à la rencontre de peuplades pauvres, chaleureuses et accueillantes, peignant avec précision et réalisme les costumes, les coiffures, les coutumes des autochtones : « Une jeune femme portait la coiffure traditionnelle, le tissu roulé en travers du front ressemblait à une paire de cornes. Sur son visage, une poudre ocre rouge avait été appliquée selon la tradition, en signe de respect des coutumes. Une couverture rouge et noire protégeait ses épaules du soleil de l’après-midi ». Le quotidien de l’Afrique s’impose avec ses saveurs, ses parfums,  « ses volées de gamins »   entourant les visiteurs dans l’attente d’une menue friandise.

    Dans un ouvrage construit essentiellement sur les récits et les points de vue de Ruth et d’Enzo, où présent et passé se tissent suivant le fil des pensées et du ressenti des personnages, de leur relation amoureuse mouvementée et souvent imaginée,  le narrateur use constamment d’un vocabulaire psychanalytique renvoyant le lecteur à Jung, à Lacan (« Car s’aimer dans la crainte d’être découvert (…) rejoignait les propos de Jacques Lacan : ‘Aimer c’est promettre à l’autre ce que l’on n’a pas, et attendre de lui ce qu’il n’a pas non plus !’ »). Il introduit son lectorat dans l’intimité profonde, complexe, secrète, troublée et trouble  de l’être humain en racontant une histoire d’amour compliquée et impossible dont l’Afrique sert de toile de fond.

    Le roman Ruth, Sentiments et tourments n’est-il pas une mise en abyme du manuscrit rédigé par Enzo, déposé quelque temps avant sa mort chez son notaire ? En effet ce qu’il écrit dans sa lettre à Ruth datée quatre ans auparavant  résume le roman de Pierre Robert : « J’ai tenté de rendre vie à ton personnage en puisant dans mes souvenirs, j’ai essayé de transcrire tes sentiments, de traduire tes attentes, d’exprimer tes souffrances. ». L’ouvrage de Pierre Robert ne peut que séduire les amateurs de voyages, de psychologie et d’histoires d’amour.

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