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Radieuse. Une croisière en Adriatique

8/07/2016 | Livres | 0 commentaires

 

Radieuse
Une croisière en Adriatique.    

Claire Fourier    
Editions de la Différence  (2016)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

    image radieuse.jpg« Une croisière de grand luxe sur l’Adriatique » est  offerte à Claire, d’origine bretonne, femme douce, sensible  et mélancolique,  narratrice de Radieuse, Une croisière en Adriatique. Cette croisière l’emporte vers un ailleurs aux vertus transformatrices. Une croisière  « en guise de récompense » pour la parution d’un de ses livres couronné de succès. Devenue écrivain voyageur, Claire prend des notes afin de raconter au lecteur son vécu, de rendre compte de  son  expérience. Découvrant des lieux  inconnus, elle  les retranscrit. Et cette expérience la fait revenir autre.

    Dans un carnet de voyage, daté du jeudi 15 août au vendredi 23 août, Claire partage son expérience avec le lecteur. Elle décrit les étapes de son voyage avec précision lui permettant de vivre avec elle des moments intenses, de découvrir des lieux, des monuments, des personnes. Alors qu’elle observe et prend des notes pour décrire ce qu’elle voit, restituer un ensemble de sensations, effectuant des promenades artistiques, plus ou moins philosophiques, analysant, méditant sur l’ailleurs,  sur le bonheur,  sur son moi, Pierre, son mari, « prend des photos ». Ni l’un ni l’autre ne se mêlent  aux visites guidées, aux touristes, troupes errantes qui se contentent de regarder  pour oublier : « (…) des touristes se traînent, complaisants à l’égard du collectif. Ils ne cherchent pas à comprendre, ils sont venus en voyage pour renoncer à comprendre, même pour oublier qu’il y a quelque chose à comprendre ».  Claire et Pierre  se séparent même le temps des visites, pour aller à leur rythme,  jouir de l’instant présent, s’initier véritablement aux lieux parcourus, pénétrer l’intimité de leur géographie, de leur histoire, de leur langue, de la vie des autochtones. Trouver l’Autre et se trouver soi-même.

    Triste et anxieuse  de tempérament, Claire n’avait guère envie de partir. Au début du voyage, sa tristesse se projette sur les lieux  parcourus : « De l’eau fendue par l’étrave, j’écoute monter des soupirs qui me fendent le cœur aussi » (…) A forcer de la contempler, la mer me paraît humaine – un vaste ramassis de larmes humaines ». Puis progressivement, elle s’adapte au luxe du bateau de croisière déconcertant pour elle qui appartient comme elle l’écrit « au menu fretin » :  « Ce luxe. Je suis déconcertée ».  Ensuite, bercée par l’immensité de la mer Adriatique, le  mouvement de l’eau, symbole maternel, purificateur,  son anxiété s’estompe : « (…) le rythme paisible du mouvement de l’eau est contagieux, il anesthésie l’anxiété ». Claire devient « radieuse »  à la faveur  de sa plongée dans la sérénité  des monastères (« La joie chaste du couvent »), la fraîcheur  paisible des musées, de sa remontée dans l’Antiquité, le passé, de sa rencontre avec Athéna, Dioclétien, Jésus, la Vierge Marie… Elle s’extasie devant la beauté de l’environnement, des ouvrages anciens aux minutieuses enluminures colorées, savoure la douceur  de la langue italienne (« Je note que l’absence de la lettre c attendrit les mots, et le z les fait fondre sous la langue »), l’esthétique de la langue croate adoucie par les sonorités finales mouillées : « Est-ce un diamantaire qui eut la bonne idée de placer sur certaines consonnes et la dernières des nom en jié, lié, vié, rié, un accent comme une petite aile pour adoucir les mots rocailleux et les aider à s’envoler de la gorge ? ». Les sonorités d’une langue révèlent l’être, sa personnalité, son tempérament. La douceur des paroles ensorcelle la narratrice. Leur rugosité l’irrite : « Je suis à Dubrovnik. / Un nom raboteux, malsonnant. Il vous met des cailloux dans la bouche, donc dans les manières. Je ne décèle aucune onctuosité dans les voix, dans les gestes. Rien de doux, ni d’avenant ». Amoureuse des sons, des mots, elle ne se contente pas de les écouter, elle joue aussi avec eux  dans son récit de façon humoristique : « On est tous dans la même galère… qui patine sur son erre », esthétique en mêlant les sensations  tactiles et olfactives : « C’est un baume, si ça embaume ». Elle multiplie les polyptotes,  « Split engorgé me prend à la gorge », « Le pays croate est osseux et la langue croate, un jeu d’osselets », glissant des pincées d’humour dans ses descriptions. Sa malice sourd au détour des phrases (« essayer un chapeau ne vous prend pas la tête », « La pucelle de Dieu aurait préféré concevoir son fils par les ‘voies naturelles’. Je la comprends. Contre mauvaise fortune, bon cœur : la Vierge consent »)  transformant la croisière en une évasion joyeuse propice à la découverte, à l’enrichissement culturel, chassant tout malaise et tout mal être. Le voyage mais surtout l’écriture la sauve de l’angoisse. Elle lui permet de concrétiser ses sensations, de leur donner vie et souffle : « Ecrire est mon lever d’ancre. Non que le seul voyage qui me plaise soit intérieur : le seul que je goûte est celui que je peux intérioriser ». Ce ne sont pas que les côtes dalmates que le lecteur hante mais l’univers intérieur de l’auteur, son atmosphère personnelle, intime. L’Ecrivain s’impose. Son écriture ne colle pas au réel objectif du reporter, elle ne porte pas un simple témoignage. Elle devient émotion, sensation. Claire Fourier  ne s’intéresse pas à la surface de l’Ailleurs. Elle ne survole pas les lieux comme les touristes, triste « zoo humain »,  tous uniformément semblables, ridicules « chaussés de tongs, bananes sur le ventre » dont elle se moque. Ces touristes qui ne pensent qu’à se gaver de nourriture, sans déguster  (« Ils engloutissent, n’en finissent pas de se resservir ».) Elle, elle  s’ouvre aux autres, à leur culture, à leur humaine condition,  elle les observe attentivement, les comprenant, comprenant dans le sens étymologique du terme (prendre avec) leur douleur :  « Seigneur Dieu, pourquoi m’avez-vous faite de telle sorte que je ne suis bonne qu’à ressentir la douleur humaine (…) ? ». Elle entre dans leur altérité, leur voue un amour profond, sincère : « Je me prends à pleurer d’amour pour ce flux humain dense et qui ondule ». Généreuse, humaniste ou simplement humaine, elle éprouve un intense besoin de connaître l’Autre : « A quoi bon vivre si j’ignore tout de mon prochain ? »
Ecrivain nourri de littérature,  les découvertes de la narratrice font surgir des réminiscences littéraires : Baudelaire, Aragon, Stendhal, Ionesco…., cinématographiques : Tati…Son écriture somptueuse fait vibrer la lumière, les couleurs avec finesse et délicatesse. Les  personnifications sensuelles  remplies de séduction, (« Le soir nuance la palette de couleurs sur la lagune. Déjà le bleu a verdi, s’est mâtiné de flamme. A bâbord, la basilique Saint-Marc  est une comtesse en dentelle, figure striée de rides, mais teint de pêche encore, à la joue de qui le rose est monté, car le soleil déclinant la courtise et l’a émue ce soir comme tous les soirs ») permettent au lecteur de pénétrer l’âme des monuments. L’écriture poétique esthétique de Claire Fourier, ses comparaisons originales « Le navire glisse, telle une boule d’ivoire sur un tapis de billard »,  nous donnent à ressentir le tournoiement  de la vie et  à voir « avec les yeux de l’âme ».

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