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Margot d’Anvers

23/09/2015 | Livres | 0 commentaires

Margot d’Anvers
Jean-Claude Van Rijckeghem
Pat Van Beirs
Mijade editions (2015)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

 

   Image Margot.jpg Margot d’Anvers de  Jean-Claude Van Rijckeghem  et de Pat Van Beirs tisse les milliers de fils qui constituent la trame complexe de destinées humaines à Anvers, « la perle du Nord, le carrefour de toutes les nations »,   dont les habitants pour la plupart calvinistes « haïssent le roi d’Espagne. Ses soldats occup (ant ) les sud des Pays-Bas » et à Séville, la « prospère » et « opulente » ville  catholique espagnole, « la vraie capitale de l’Espagne et du monde »..

     Le roman de Jean-Claude Van Rijckeghem et de Pat Van Beirs confronte le lecteur aux violentes luttes politico-religieuses qui sévirent au Pays-Bas dans les années 1580 : « on m’a enfermée dans un couvent à Anvers. Toutes les statues ont été volées ou brisées en morceaux par les protestants. » Il donne à voir une réalité historique, sociale, religieuse précise et surtout il permet de suivre le parcours de Margot, « un petit bout de chou » abandonné à cinq ans, déposé  au « foyer des innocentes »,  « un orphelinat pour filles », acheté à quatorze ans par Piet le Noir,  un apothicaire ambulant. Margot, jetée très tôt dans les bras d’une impitoyable existence connaît la misère (« Un soir, je n’eus pratiquement plus rien à mettre dans le chaudron, sinon le rat que Matthieu venait d’attraper dans la cave, et les quelques betteraves que Karel avait volées dans un jardin », « Le plancher du grenier était si rongé par les vers qu’en tapant du pied, on y faisait des trous. Le toit de chaume et de poix laissait filtrer l’eau en cas de gros orages. Lorsqu’il pleuvait des cordes, la paille devenait tellement glissante que les souris  tombaient du plafond »), la sinistre prison, Le Sjarel, « royaume des damnés de la terre » où se pratiquent la torture,  le marquage au fer rouge… Elle   rencontre des aventures tout au long d’un itinéraire où elle fait son apprentissage de la vie, se forge un destin. Pour vaincre les difficultés auxquelles elle se heurte, elle ne pourra compter que sur son imagination, son intelligence, sa facilité à s’adapter à tous les hasards rencontrés sur son chemin. De « gueuse » méprisée, rejetée, elle évolue en  Ynès d’Almendraje, duchesse élégante et respectée : « Avant, dans mes habits de garçon, je passais inaperçue. Je n’étais qu’une ombre dans la foule. Aujourd’hui, je suis une jeune femme riche, vêtue d’un tapado et d’une cape, et tous semblent me suivre des yeux ». Elle devient momentanément celle qu’elle a enviée, « la demoiselle à la martre » accompagnée de sa duègne : « Je repense à cette autre dame de compagnie, la femme-baleine qui trottait derrière la fille à la fourrure de martre (…) Et voilà que j’ai, moi aussi, une dame de compagnie ! ».  Roman picaresque, roman de formation,    Margot d’Anvers est aussi un roman historique, sociologique, un roman d’espionnage, d’amour, d’action. Margot évolue à la faveur du temps qui passe, de l’expérience acquise au fil des événements, des revirements de situation successifs, du bonheur au malheur, du malheur au bonheur.      
    Margot d’Anvers   donne à voir et  à vivre le vécu de Margot à travers son regard, son ressenti présent et passé. Ce roman à la première personne qui mêle tous les genres, est doté de nombreux rebondissements, d’un  suspens haletant serti d’émotion,  d’humour (« Les menteurs finissent toujours dans les cuisines de l’enfer, doit-elle penser, dans la soupe brûlante de Lucifer.  Elle sent déjà le cuisinier infernal lui enfoncer la pointe de son trident dans le gras de la couenne pour vérifier si elle est cuite à point »), de poésie (« Derrière moi, il y a une femme aux boucles rousses. Le soleil luit sur son visage et m’empêche de le distinguer avec clarté. Une odeur de tabac  de pipe flotte autour de ses lèvres. Un parfum de  cannelle s’attache à ses doigts. Et son cou fleure  bon l’eau de rose »). Il est aussi une mise en miroir de la société du XXIe siècle engluée dans des rites et des dogmes. Les événements actuels ne sont pas inédits.  Le présent est la répétition du passé : les destructions de bâtiments, d’œuvres d’art, la violence, la torture, le port du foulard pour cacher les cheveux (« Pour la dernière fois, elles mettront un diadème et laisseront pendre leurs cheveux, avant de les faire disparaître à tout jamais sous un foulard ») ou le visage (« Le tapado est à la fois un voile et un foulard. Le foulard est habilement plié et dissimule les trois quarts de mon visage. Mon œil gauche est également couvert »), les flagellants du vendredi saint, frères des repentants du Proche Orient : « Viennent ensuite les flagellants, ces pénitents qui se flagellent le dos nus pour se faire pardonner leurs péchés », les délinquants repentis utilisés comme espions de  l’Etat, manipulés, soumis au chantage comme Margot obligée d’infiltrer des personnes aimées (« « Si tu m’aides et si j’arrive à récupérer les cartes, je déchirerai notre contrat et tu seras libre » alors que la marque au fer rouge restera,  indélébile, sur son corps), prisonniers de leur mission,  impuissants devant la force du pouvoir . Roman total, aux nombreux clins d’œil littéraires («  couché ici, avec tes deux trous rouges au côté droit », rappelle la chute du sonnet de Rimbaud, « le dormeur du Val », ou « quel gâchis la guerre », échos à «quelle connerie la guerre »  de Prévert), picturaux ( « un petit tableau montrant  trois paysans flamands qui se reposent  au soleil de midi après la moisson. Un paysan rit, un autre boit sa bière à même la cruche, un troisième dort allongé sur le dos » qui fait penser à une peinture de Bruegel),  Margot d’Anvers  est aussi un appel implicite à la tolérance. Margot ne dit-elle pas à la fin du roman ? : « Chacun a sa manière de prier » ? Ne symbolise-t-elle pas la réconciliation : « Les gens d’Anvers, qu’ils soient catholiques ou calviniste, verront ta venue comme un bon présage, comme un signe de Dieu ».  Margot d’Anvers, magnifique  ouvrage mêle le plaisir du texte et  de la lecture tout en incitant à la réflexion. Il serait logique en effet qu’au XXIe siècle, les religions monothéistes vivent en bonne harmonie et que chaque être humain, chaque Etat soit un artisan de paix.

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