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Lettre ouverte aux animaux

5/07/2017 | Livres | 0 commentaires

Lettre ouverte aux animaux (et à ceux qui les aiment)

Frédéric Lenoir

Editions Fayard (2017)

 

(Par Christina Olmès)

 

       image lettre ouverte.jpg N’est-ce pas depuis son coeur d’enfant, tout autant que depuis son esprit philosophe et historien, que Frédéric Lenoir écrit aux animaux ? Ecrire une lettre aux animaux : voilà qui ne paraît pas très sérieux ! Et pourtant, l’homo sapiens qui approchera ce livre aura sous les yeux une réalité qu’il fuit. Car elle fait mal. Alors attention, vous qui lirez ce livre : vous ne goûterez plus la chair animale avec les mêmes papilles.

 

        Ce livre relève tout à la fois de l’histoire des idées, de la philosophie et d’un humanisme qui inclut ceux qui partagent la Terre avec nous : les animaux. Il s’inscrit dans une mouvance, car de nombreux livres visant à mieux connaître les animaux et à réveiller notre corde sensible à leur égard sont publiés depuis quelques années : Plaidoyer pour les animaux de Matthieu Ricard (2014), Le silence des bêtes: la philosophie à l’épreuve de l’animalité d’Elisabeth de Fontenay (1998), Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ? de Frans de Waal (2013), Les animaux aussi ont des droits de Boris Cyrulnik, Elisabeth de Fontenay, Peter Singer (2013) et j’en passe tant ils sont nombreux ! De toute évidence, ces publications foisonnantes mettent en lumière un réveil des coeurs et des consciences (mais c’est peut-être la même chose ?).

 

        Pourquoi l’être humain consomme-t-il chaque année environ 60 milliards d’animaux terrestres et selon les sources entre 500 et 1000 milliards d’animaux marins ?

 

        « Lettre ouverte aux animaux » apporte des éléments de réponse à cette question, en retraçant l’histoire de l’idée de l’animal que l’homme s’est forgé au fil du temps. Frédéric Lenoir en raconte les grandes étapes. J’en reformule ici quelques unes brièvement :

        Tout d’abord, il y a 100 000 ans, quand Homo sapiens était une jeune espèce animale sur la planète, il vivait en nomade et se nourrissait surtout de cueillette. Sa relation avec la nature était un peu comme celle d’un enfant avec sa mère.

        Progressivement, en domestiquant la nature, en cherchant à la dominer, la nature et les animaux sont devenus des objets.

        Ensuite, les religions juives et chrétiennes ont massivement véhiculé l’idée de la supériorité de l’homme sur l’animal, qu’elles ont privé d’âme.

        Le philosophe Descartes a également propagé l’idée qu’un animal n’est qu’une machine. Selon lui, un animal qui crie serait comme une horloge qui grince. Il priva ainsi les animaux de leur statut d’êtres sensibles, les offrant à toutes les « expérimentations imaginables » selon le point de vue humain – à la « torture » selon l’expérience des animaux.

 

        Car malheureusement, nombreuses sont les raisons qui justifient les crimes contre eux. Ils sont tués pour la beauté de leurs fourrures ou de leurs ivoires, pour leurs peaux qu’on appelle « cuir », pour leur chair qu’on nomme « viande ». Ce lexique, « cuir » et « viande », révèle le besoin des humains d’occulter la souffrance qu’ils infligent à leurs frères à quatre pattes. De fait, les conditions dans lesquelles ils sont tués sont telles que la douleur ne leur est que rarement épargnée. Les humains qui se chargent de les faire passer d’êtres vivants à cadavres blindent leur part sensible et se rendent malades. A ce sujet, on peut lire le livre documentaire d’Olivia Mockiejewski « Le peuple des abattoirs » (Grasset, 2017), dans lequel la journaliste livre les fruits sanglants de son enquête immersive dans un abattoir. C’est insoutenable. Révoltant. La souffrance animale est immense, et l’être humain en est responsable.

 

        Mais depuis une cinquantaine d’années,  l’éthologie -étude du comportement des animaux dont l’Homo sapiens fait partie- connaît un essor. Cette science approfondit la connaissance des animaux, comme le montre cette citation de Lettre ouverte : « L’éthologie nous a permis d’acquérir une bien meilleure connaissance des animaux et a ainsi favorisé le développement de notre sens moral envers vous. Puisque nous savons désormais que vous êtes sensibles à la douleur, que vous avez une vie émotionnelle riche et variée, que vous êtes parfois capables de vous représenter vous-mêmes et de vous projeter dans le temps, notre attitude morale envers vous est en train d’évoluer. La connaissance fait croître l’empathie et impose le respect. Même si, bien souvent encore, nous préférons rester dans le confort de l’ignorance. » Ainsi, l’existence d’une psychologie animale n’est plus une question. La question est désormais de déterminer, de qualifier la psychologie de tel ou tel animal. Voyez par exemple cette citation qui relate l’expérience d’une éthologue :

                « L’éthologue Francine Patterson évoque le cas d’un jeune gorille orphelin ramené d’Afrique à qui elle a appris le langage des signes. Un jour où il semblait particulièrement triste, elle lui en demanda la raison. Il répondit par les signes signifiant : « mère tuée », « forêt » et « chasseurs ». En trois signes, il venait de raconter son histoire. » En regard de la souffrance de ce jeune gorille, je vous propose cette idée de Peter Singer, un philosophe Australien cité par F. Lenoir :

        « Quelle que soit la nature d’un être, le principe d’égalité exige que sa souffrance soit prise en compte de façon égale avec toute souffrance semblable. »

 

         Au nom de quoi l’être humain s’est-il attribué une pseudo supériorité sur tous les êtres vivants, légitimant ses penchants destructeurs ? (Cette question contient peut-être sa réponse.)

 

        Heureusement avec la science, les lois évoluent également, et les souffrances infligées aux animaux ne sont plus si légitimes. Elles sont devenues illégales : les animaux n’ont plus le statut légal de « meubles », mais bien d' »êtres sensibles ». Certains pays, comme l’Inde, vont même jusqu’à parler de « personnes non humaines » pour qualifier les dauphins et les protéger.

 

        Outre la souffrance des animaux, manger leur chaire génère d’autres méfaits, nombreux. Citons par exemple le gaspillage des ressources naturelles : « 50% de l’eau potable mondiale est utilisée pour la production de viande et de produits laitiers (80% aux Etats-Unis) », la « Pollution des cours d’eau et des nappes phréatiques liée aux déjections des animaux d’élevage. », la mort et disparition de nombreuses espèces animales. Ajoutons qu’en plus, manger de la viande peut être mauvais pour la santé : « la consommation quotidienne de viande augmente de 20% le risque de mortalité cardio-vasculaire et de 13% le risque de mortalité par cancer. »

 

    Mais voici de quoi nourrir un optimisme raisonné et pragmatique : « Un hectare de terre peut nourrir deux personnes carnivores ou 50 personnes végétariennes. »

 

        En somme, manger moins de chair animale entraînerait toute une réaction de bienfaits en série. Tout le monde y gagnerait.

 

        Ce respect authentique envers les animaux soulève des questions, comme « doit-on ou peut-on respecter tous les animaux de la même manière ? Sur quels critères fonder une éventuelle hiérarchie de notre respect envers eux ? ». Dans le cadre de ce questionnement, un nouveau terme a vu le jour : « antispécisme » (années 70), mis sur le devant de la scène médiatique par le livre « Antispéciste : réconcilier l’humain, l’animal, la nature » (Broché – 2016)  d’Aymeric Caron. L’antispécisme est le refus du droit de mort que l’homme s’arroge sur l’animal. Frédéric Lenoir propose une série de mesures qui visent à stopper cette souffrance.

 

        En guise de conclusion, je vous propose ces mots de Frédéric Lenoir (il s’adresse aux animaux comme mentionné plus haut) : « Les grands courants de pensée occidentale qui ont permis l’émergence du respect de la personne humaine -principalement le stoïcisme et le christianisme- ont fondé les concepts d’humanité et d’égalité en nous opposant à vous. Ce qui rassemblait les êtres humains – quels que soient leur race, leur sexe, leur religion ou leur statut social- c’est la dignité de leur personne en tant que dépositaires du logos divin (stoïcisme) ou en tant qu’enfants de Dieu (christianisme). Vous les animaux étiez exclus de cette dignité et nous vous l’avons fait payer très cher au cours des deux millénaires écoulés. Au regard de l’histoire longue, cependant, ce fut peut-être un mal pour un bien. Car le paradoxe de notre histoire complexe, c’est que l’humanisme issu de la pensée grecque et chrétienne a fini par accoucher des droits de l’homme et de la lutte contre toute forme de ségrégation, et que c’est finalement en Occident, depuis bientôt deux siècles, que s’élèvent la plupart des voix qui vous défendent, que se multiplient les associations de défense pour les animaux et que vos droits progressent le plus. »

 

        Une petite révolution est donc en marche : il s’agit simplement de respecter les animaux.

 

        Je souhaite rappeler, entre parenthèses, que ce respect envers les animaux : l’estime pour leurs sens puissants, leur capacité à survivre dans le monde sauvage, l’émerveillement face à leur beauté, existent depuis toujours dans les civilisations des Peuples dits « Premiers » : les Papous, les Indiens d’Amérique, les anciens Celtes qui peuplaient l’Europe etc. (Et chez les enfants) Ainsi respecter les animaux, leur offrir des conditions de vie dignes, revient au fond pour les humains à vivre leur lien avec la nature (leur nature ?) pour l’honorer comme elle en a besoin, et comme les humains en ont besoin. Ce lien vivifie la vie. Il donne de la saveur à la vie. Une saveur aux arômes de bien être et de plénitude. Alors, et si on laissait la fleur de la conscience, de la présence s’épanouir, « être », tout simplement ?

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