L’Escale inévitable
Carmen Pennarun
L’amuse Loutre (2018)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
L’Escale inévitable, le recueil poétique de Carmen Pennarun, est un voyage magique et éblouissant au pays des mots. La poétesse joue, mi sérieuse, mi amusée, le cœur gorgé d’émotions, de tendresse et de bienveillance, avec eux : « Accordons à la légèreté/ de s’évanouir dans l’azur – main tenant ( e ) », « (…) une Lune bohème / (mienne) », « Le langage en travées de silence », « et je les trie sous rire », Elle glisse entre parenthèses des termes, des graphèmes, clins d’œil complices au lecteur, concrétisant des temps de silence par des vides typographiques. Magicienne, elle transforme les substantifs en verbes, « (…) l’eau claire (…) m’assaille et me vertige », « Ton mouvement vagabond – Ô Vie – passe par des chemins, entre genêts et bruyères, où s’étoilent mes pas ». Abandonnant les rimes et la ponctuation, elle offre une poésie libre comme l’eau de l’Océan et de la mer, comme celle des larmes, fluidifiée et rythmée par des allitérations en « l » : « C’est flou ce que je bleu (s) / d’un pleur qui déboule en plumant / ». L’alternance de poèmes longs et courts, la présence d’haikus, les nombreux verbes de mouvement (« Je cabriole entre nuages / je bondis d’une couleur de l’arc / à une autre valeur en ciel »), ses audaces et ses innovations créent tout un dynamisme poétique, une mise en mouvement du texte qui épouse le tempo des éléments naturels, sources d’inspiration et de rêve, passeurs de messages que la narratrice seule sait déchiffrer : « je lis les messages / que l’ombre et la lumière / écrivent sur les pierres / du chemin ». Les mondes fascinants de la poésie et de la nature sortis du chaudron des mots entrent en contact, se mêlent, s’entrelacent.
L’association de termes inattendus, vieillis (« les remous insistants du mésaise »), rares (« Par les silences / je traverse l’estran ») ou inventés, d’une densité extraordinaire emporte le lecteur dans une fête des sens, dans une danse tourbillonnante et légère. Valse des mots et de l’écriture, glissement des sons, bercement des vagues, « heurt / des flots sur les récits des jours », ondoiement de l’eau. Carmen Pennarun recueille avec les mots la vibration de la vie et la fait glisser vers son imaginaire enraciné dans la nature bretonne. Elle part du réel (« Saint Malo », « La tempête du 1er janvier ») pour accéder à l’œuvre d’art. La Bretagne réelle ou mythique donne naissance à l’écriture : « Dans la nuit, les grèves falunes / (lui) soufflent des mots (…) ». Le silence aide et favorise la création : « Le silence au moment où la mer se retire / ouvre l’espace aux mots figés sous le masque (…) ». Même lorsque la voix se taira, privée de la possibilité de verbaliser, derrière le silence, les mots subsisteront toujours : « et, quand notre petite voix / se laissera recouvrir / d’un immense silence / il y aura dans nos poches / mêlés aux trésors rocailleux / des messages bien pliés / et la mer – ô merveille / en relèvera les graphies / d’une prouesse d’émeraude ». Chaque poème est une fraction de temps qui devient un moment d’éternité féérique. Tout un flux et un reflux, une respiration, une régulation s’effectuent par la coulée des images. Orphée des temps modernes, Carmen Pennarun enivre le lecteur de sons, de couleurs, d’images, de souffles légers, maelstrom esthétique, vertige de beauté, loin de la réalité et du matérialisme décevants : « Comme si la réalité ne pouvait / que décevoir mes rêves de sirène, / car la terre et les dons des hommes, où qu’on aille, / s’accordent à trop de matérialité ».
Le voyage n’est pas toujours aisé pour la poétesse. La mer peut être « furibonde », les rêves « abattus ». Et le monde est fait de contradictions, d’interdictions, de tempêtes, d’agitation, d’indifférence. « L’émotion est le socle sur lequel s’appuie la vie, / mais ce socle est de sable et l’assaut répété des vagues / conduit à son inévitable nivellement… ». Cependant l’espoir et la confiance dominent. « L’escale est inévitable » dans l’univers apaisé et lumineux de l’être : « On ne localise pas mon île, elle n’existe / que dans mon monde intérieur. C’est un sanctuaire, vibrant de couleurs changeantes, / ses eaux s’harmonisent avec mes états d’être ».
Dans son recueil lyrique L’Escale inévitable, poétique de la nature, de l’eau, qui inclut une dimension visuelle, sonore, ondulatoire, Carmen Pennarun de sa plume ailée et vaporeuse saisit la quintessence du réel, dit l’ineffable, accède à l’invisible, offre la Beauté de son monde intérieur tout en célébrant la Vie et la nature.
Du même auteur :
Si l’âme oiselle la mère, veilleuse, poétise
http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2016/11/21/si-l-ame-oiselle-la-mere-veilleuse-poetise-5877750.html
Merci infiniment, Annie. C’est toujours un plaisir de découvrir vos chroniques qui relèvent des aspects de nos écrits qui pourraient glisser, passer inaperçus lors d’une lecture moins « engagée ». Vous allez chercher la note de fond. Et c’est bien la Joie qui, au-delà des expériences de vie quotidiennes, malgré les apparences, souhaite se laisser entrevoir dans mon recueil, refuse d’abandonner sa couleur initiale, bleue , à l’opacité de certains jours. Accordons-nous une pause, une escale (un instant lecture, pourquoi pas !) jusqu’à réveiller l’éclaircie, en nous, jusqu’à s’émerveiller de constater qu’elle se produit, sans trop d’attente, à l’extérieur. Bien amicalement. Carmen
Bravo pour cet aperçu si pénétrant de ce livre qui a fait mon bonheur en effet, par la fluidité et le mystère de son écriture.
En effet, lire ce recueil est un véritable bonheur. Invitons les lecteurs à découvrir et à savourer ces poèmes magiques.