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Les Heures nues d’Asa Lanova

21/06/2011 | Livres | 0 commentaires

 

Les Heures nues
Asa Lanova
Bernard Campiche Editeur (avril 2011)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

Image Asa.gifL’ouvrage Les Heures nues d’Asa Lanova est le long monologue intérieur d’une femme vieillissante  tourmentée par un spleen parfois irrépressible. Ce chant brûlant de désir, hymne à la vie malgré la présence insidieuse de la « Gueuse » (« je demeure une terrienne assoiffée de vie. ‘Le dur désir de durer ‘ me tient donc sur mes gardes, cette rage d’exister qui malgré tous mes naufrages, me suivra jusqu’au trépas ») est un témoignage poignant de l’hypersensibilité et de l’hypersensualité de la narratrice.  La mort n’est pas une réalité ponctuelle.  Elle se déverse dans sa vie  (« ce suicide dont l’idée ne cesse de me hanter »,  la mort de Narde, sa petite chienne du Désert,  celle du seul homme qu’elle ait aimé « l’unique amour fou de ma vie », la référence à  « l’accouplement funèbre »  des fourmis…) et en même temps elle la pousse à vivre intensément, passionnément : « Car, depuis toujours, j’ai su que mort et érotisme sont étroitement liés, l’une déclenchant les pulsions de l’autre »,  Eros et Thanatos s’affrontant  constamment chez elle.  La narratrice échappe à la mort, au néant par l’intensité de la vie et de la sensation,  par de rares ébats amoureux  aux plaisirs paroxystiques avec de jeunes hommes,  qui la plongent dans l’absolu. Le contact rituel  avec la pierre, symbole ambivalent du mortuaire et de la pérennité,  au bas de ses escaliers apparaît quasiment comme une substitut à une relation amoureuse : « Conservera-t-elle en ses pores, cette pierre-là, les exhalaisons marines de mon sexe échauffé par l’été (…) ? ».   Tout un miroitement érotique traverse constamment la narratrice et l’univers dans lequel elle évolue. Chez elle, la sensation peut être  prise dans son sens étymologique de « compréhension », c’est-à-dire un mode d’appréhension du monde dans sa totalité. Les substantifs, les adjectifs donnent à voir, à entendre, à sentir.
Et la narratrice, sent, goûte (comme le prouve par exemple, la synesthésie « la menthe poivrée »), écoute,  contemple, émerveillée,  l’exubérance végétale de son jardin, espèce d’Eden originel, (« les années passent, et je ne cesse de m’étonner, de m’émerveiller de cette nature et de son monde animal » ou plus loin « c’était alors un émerveillement de chaque aurore »). Elle scrute  le monde qui l’entoure dans ses moindres détails, s’intéressant à toutes les formes de vie végétales et animales, laissant son regard s’attarder sur le plus minuscule détail : « Les dahlias avaient conservé, sur leurs petites lances de feu, des perles de rosée. » Elle entretient une relation privilégiée avec la nature, communiant  avec sa vitalité,  communiquant avec elle,  (« taiseuse, je ne le suis en en aucun cas avec les bêtes, avec lesquelles (…) je communique de façon occulte, par une extraordinaire transmission de pensées ou par un langage qu’elles et moi nous sommes seules à comprendre »,  lisant les signes qu’elle lui livre (« je crois profondément aux messages  que  nous adresse la nature, tout comme je crois aux augures des oiseaux ») luttant ainsi contre le désespoir et la solitude : la nature constitue pour elle « toute une vie secrète qui anime (s)a solitude et (l)’aide à surmonter (s)es pulsions délétères ». Femme solitaire et sans enfant, elle exerce une maternité d’adoption par les soins qu’elle prodigue à sa « meute », (sa chienne et ses nombreux chats)  et entre en empathie avec eux. Elle est pour eux la mère qui sauve, la mère allégorique. Et elle est sauvée par eux.

La nature mais aussi l’écriture aident la narratrice  à vivre : « Les mots demeurent envers et contre tout ma survie ».  L’écriture  la constitue fondamentalement,  pourtant elle exige d’elle  parfois une lutte oppressante, désespérante  et exaspérante : « Ayant alors à nouveau sous les yeux  le feuillet où quelques signes incohérents me sautent au visage, je le jette rageusement dans  la corbeille à papier, et dévissant mon stylo, tentant encore de reprendre le chapitre interrompu la veille, héroïquement je m’essaie à accoucher de la suite. En vain. La sueur froide se manifeste une nouvelle fois. L’esprit brouillé, je sens m’envahir un désespoir glacé. »

Le vécu personnel d’Asa Lanova, son passé de danseuse, son séjour en Egypte, sa culture personnelle nourrissent son écriture. Baudelaire, Giono, Colette sont discrètement mis à contribution. Avec une écriture artiste, pleine d’élégance, où abondent les mots rares, précis et techniques, Asa Lanova recherche la Beauté et le Sublime. Son  ouvrage esthétique,  Les Heures nues,  comble l’esprit, l’imaginaire, la sensibilité, mais aussi l’œil de tout vrai littéraire par la beauté indicible de ses mots. Asa Lanova dévoile (dans le sens propre du terme) et magnifie le monde qui l’entoure par tout un florilège de mots recherchés.  Avec Asa Lanova, on est vraiment  en dehors des sentiers battus de la littérature commerciale.

 


 

 

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