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Les Chroniques du Pacifica Tome I : Les fils de Bor

12/02/2020 | Livres | 0 commentaires

Les Chroniques du Pacifica

Tome I : Les fils de Bor

Blanche de Kerity

Les Editions Baudelaire, 2019

 

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

Un univers proche de la high fantasy

 

Image Blanche de Kérity.jpgEn ce début de XXIe siècle, la fantasy attire de plus en plus les lecteurs, jeunes et moins jeunes. Ce genre littéraire nouveau, d’origine anglophone, possède de multiples facettes. Blanche de Kerity, quant-à-elle, dans Les Chroniques du Pacifica. Tome I : Les fils de Bor, embarque le lecteur dans un monde pré-médiéval imaginaire et merveilleux proche de la high fantasy chaque protagoniste entreprend une quête souvent plus personnelle que collective. Dans une narration complexe, le lecteur suit les multiples personnages dont les destins se croisent, dans un maelstrom de déplacements et d’actions.

 

Le réalisme précis et esthétique

 

La narratrice, dans une intrigue respectant la chronologie, situe avec précision le temps et l’espace. En l’an 280, après le Massacre qui manqua de détruire les six royaumes d’un « vaste territoire, ceint du Nord au Sud » par des frontières naturelles montagneuses et maritimes, Connord VII, un soixantenaire, jadis très bel homme, « le meilleur Pacificateur que les Territoires n’aient jamais connus », dépourvu d’héritier, va fêter son Jubilé et choisir son successeur. Ce n’est pas chose aisée. La compétition est rude entre les différents prétendants pas toujours mus par des sentiments généreux, mais plutôt par l’ambition (« Mon cher mari porte l’ambition comme une cape d’hiver ») et l’esprit de conquête.

Les décors où se déroulent les nombreuses intrigues sont méticuleusement détaillés. Des descriptions, immobilisation momentanée du récit, soucieuses d’esthétisme, emmènent le lecteur dans des villes et des villages coquets, colorés, joyeux (« Les maisons de bois étaient peintes de couleurs vives, pourpre, cyan, jaune d’or,orange et d’un vert qui rappelait l’herbe grasse du printemps. Elles étaient basses, un seul étage abritait ses occupants (….) », lieux lumineux agréables à admirer et à vivre (« Les maisons se tenaient lovées les unes contre les autres, donnant l’impression de vouloir se tenir chaud. Les façades étaient claires, légèrement teintées de rosée, pour beaucoup d’entre elles surmontées de dômes ouverts sur le ciel »). Les jardins entourant les habitations, baignant dans une atmosphère fraîche, parfumée, habillée de poésie, sont paradisiaques, « Le petit jardin était un havre de paix, du centre s’élevait une fontaine entourée de fleurs et d’herbes aromatiques, dont le jet d’eau rafraîchissait l’édifice et produisait un doux murmure », « Perché sur un promontoire balayé par la brise, au-dessus d’une lagune d’un bleu azur, le palais scintillait avec la splendeur d’un rêve d’opium. Des bougainvilliers étincelaient sur les murs blanchis. Des gargouilles ornaient les minarets qui dominaient les cours et jardins noyés de soleil, les oiseaux chantaient et les palmes ondoyaient dans le vent ». Sollicitant tous les sens, ces lieux somptueux appellent le repos et la rêverie. La narratrice composent de véritables tableaux. Les indications géographiques, les espaces traversés par les protagonistes sont représentés précisément, chacun avec leurs spécificités : montagnes abrupts, désert arides… Dotée aussi d’une maîtrise de la composition du portrait physique et/ou moral, la narratrice à la faveur d’une psychologie fouillée, du moindre détail rapporté, donne vie à des personnages très présents, plus vrais que nature, agréables ou désagréables, sympathiques ou antipathiques, que le lecteur retrouvera avec plaisir dans les tomes suivants, s’attachant à nombre d’entre eux, craignant pour leur avenir, s’interrogeant sur ce qui va arriver, emporté par le suspense et le mystère : Gass est-il vraiment mort ? Il parle toujours à Wiil !

 

Le surnaturel

 

Alors que les repères spatio-temporels du prélude structurent le texte lui donnant réalisme et cohérence, le narration dérive soudain dans le surnaturel avec le surgissement brusque et brutal du Kracken, fils du Dieu Bor, auquel seuls ceux qui ont eu affaire à lui croient : « Le sol trembla, la mer au loin sembla entrer en éruption, une gueule émergea des flots et le village disparut ». Dans une espèce d’épopée apocalyptique, un village entier meurt dans un combat inégal entre un monstre marin tout puissant et des humains, malheureuses victimes surprises par la tragédie. Puis d’autres éléments, à travers une écriture de la dérive des repères accompagnée d’indications rationnelles, embarquent le lecteur à mi-chemin entre le merveilleux et le fantastique. Les noms, prénoms, d’origines nordiques, anglo-saxonnes, le lignage de chaque personnage, la chronologie ancrent le récit dans le réel. Mais des noms proches de l’univers mythologique, des objets chimériques, des animaux extraordinaires, une prolifération de dieux…, constituent des envols surnaturels. L’écaille du Kracken, objet mystique et fabuleux, aux multiples pouvoirs, perdue par le monstre lors du Massacre, – « il n’y en a que six dans tous les territoires » – est dotée de multiples pouvoirs. Elle est capable de « maintenir l’âme d’un défunt dans (le) niveau astral. Le mourant qui l’ingère restera près de celui qui la prescrit et il sera pour toujours son gardien sur cette terre ». Protectrice, susceptible de chasser le Kracken, elle sert de laissez-passer à Gusta, mais elle est terrassante pour Will chez qui elle provoque de violentes transes et des flash : « La voix de Will se fit plus faible, tremblante. Il fut pris de sueurs froides, sentit son estomac se nouer et les images se firent plus nettes dans son esprit ». Cette écaille, on le devine, jouera un grand rôle dans les tomes suivants.

Dans ce monde parallèle au nôtre et s’en rapprochant, loin de nos technologies avancées, dans ces temps reculés, les humains se déplacent sur de gros oiseaux, volatiles transformés en moyen de transport, les Ucceliz, chevauchés comme des chevaux aériens. Les voyageurs ont ainsi la possibilité de circuler rapidement en volant, d’observer le monde du haut du ciel comme le permettent nos actuels avions : «  (…) la bête s’élança dans le vide. (…) Elle n’osait pas ouvrir les yeux de peur du vertige. Et pourtant, comprenant la chance qu’elle avait de voler, elle se décida à regarder. C’était merveilleux, les champs défilaient sous ses yeux, les collines verdoyantes, les vaches semblaient de petits points au loin ». Blanche de Kerity part du réel et le transforme de façon inattendue mais cohérente.

Malgré des rivalités, des haines, des peuples de combattants, les traditions mortifères des Sélénites qui, telles de mantes religieuses, tuent le géniteur de leur futur enfant, Pacifica est un univers porteur de vie. Des femmes, les Scienzatas, êtres bénéfiques, accessibles à la souffrance, ont entre leurs mains des secrets expérimentaux de la médecine, usant de plantes diverses. Réceptives, elles sont capables de lire dans les pensées ; don qui se transmet de mère en fille ; et d’avoir une emprise mentale sur leur interlocuteur. Elles possèdent un savoir inné et aussi acquis par des formations approfondies dans un monde où le livre joue un grand rôle chez les lettrés.

 

Un ouvrage singulier et multiple

 

Blanche de Kérity emporte le lecteur dans un véritable tourbillon avec un tempo allègre, bondissant, soutenu, entrecoupé par le rythme plus paisible des dialogues mis en italiques. Les Chroniques du Pacifica, roman de high fantasy, roman de fiction historique, roman de formation, d’initiation, doté de mystère, de suspense n’est pas seulement un ouvrage ludique, il parle aussi de thèmes sociétaux actuels, évoquant l’homosexualité, les enfants illégitimes, notre monde et ses tares   comme la jalousie, la soif du pouvoir, le viol, la violence, les phénomènes d’extinction massive présentée de façon métaphorique avec le Cracken qui avale le village de Gusta, inondation engloutissant bâtiments et humains. Cet ouvrage fait réfléchir sur la nécessité d’acquérir de façon urgente la Sagesse pour protéger le monde du chaos : « Les hommes ont entrouvert la porte du chaos, ils ont oublié la voix de la sagesse », « Le Monde doit s’assagir s’il veut refermer l’Abîme ». Les catastrophes naturelles appartiennent à l’histoire de la Terre, mais nos contemporains inconscients, sans cesse à la recherche du profit, en sont désormais les plus grands responsables.

 

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