Les Amazones
Livre 1 : Le tournoi de la rose
Véronique Tardieu
Editions Baudelaire (2019)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
La fantasy et ses sous genres
Dans Les Amazones. Le tournoi de la rose, le tome premier de sa trilogie à venir, Véronique Tardieu tricote la fantasy et ses sous genres : dark fantasy, epic fantasy, high fantasy. Elle embarque les lecteurs dans une intrigue effervescente, un maelstrom effréné de déplacements, de mouvements, de combats dans un univers lointain et atemporel tout à la fois cauchemardesque et onirique mêlant les mythes, les légendes, la magie. Dans ce monde habité par « les Antares, les Tarodas, les Chawarwa, les Droades et les Mikros », constitué d’Amazones, de géants, de monstres créés par l’esprit, de créatures fabuleuses mi-humaines, mi-animales (« Corbierre (…) en grandissant de petites ailes lui étaient poussées dans le dos pour être aujourd’hui de magnifiques ailes blanches qui faisaient l’admiration de tous »), hybridation incroyable, utopie et dystopie se croisent.
La paix menacée
Les cinq peuples vivent en harmonie entre eux et avec la nature : « Il fut un temps, où les pays vivaient en paix et où la discorde n’avait pas sa place ». Paisibles, ils évoluent dans un environnement lui même « propice à la paix ». Mais des êtres démoniaques dont les tatouages et le costume ignés revêtent une valeur symbolique satanique et mortifère (« (…) on testait (…) leur résistance en les marquant de l’emblème de Kalbur sur le torse avec un tison rougeoyant. // Ce dessin représentait un ange qui s’enflammait les bras en croix (….) ») hantent l’univers monochrome et dantesque de Kalbur dirigé par Loknord : « Le paysage était inhospitalier, désolé et sans végétation. Il pleuvait quasiment tous les jours, une pluie drue et noire, chargée de poudre volcanique qui laissait des traces partout, détruisait tout car jamais le soleil ne perçait cette sombre cuirasse ». Membres d’un christianisme inversé, dénommés par antiphrases « les anges », ils vivent dans le royaume clos de Kalbur. « (…) Elevés dans la haine, la colère et l’humiliation », ces êtres diaboliques, d’une cruauté inouïe, inimaginable et sadique enlèvent de jeunes enfants, les endoctrinent et les transforment en monstres sanguinaires. La violence engendre la violence. Elle n’est pas innée mais acquise. Les plus faibles succombent ou sont supprimés. Toute une vibration satanique convulse les descriptions de ces personnages préparant une guerre afin de dominer le monde.
Le tournoi de la rose
Dans l’objectif de défendre les pays et leurs peuples, le roi Tarod crée l’ordre de la rose : « C’était la raison même du tournoi de la rose. Donner un enjeu à des entraînements intensifs et dénicher des combattants d’exception ». Toutes les forces vives des différentes contrées s’unissent alors et s’entraînent pour participer à ce grand tournoi, immense réunion festive et joyeuse fédérant de multiples personnes dotées d’une robustesse physique et mentale exceptionnelle. Les gagnants seront les défenseurs de la lumière contre le pouvoir du Mal, un voile noir se répandant insidieusement : « Je pense que la guerre est inévitable et que les jours à venir sont sombres mon ami mais ce sera aussi pour nous l’occasion de montrer notre courage et de nous battre pour que notre monde redevienne celui de nos ancêtres ». La guerre est « le prix de la liberté et de la paix », rappel de l’adage ancien « Si vis pacem, para bellum ». Le tournoi de la rose constituera un temps de réjouissances exceptionnelles : temps de chants, de danses, de rires (« Des rondes se mirent aussitôt en place autour des deux jeunes filles et toutes se mirent à danser. Leirba entonna un très beau chant, repris en choeur par toutes suivies par Aponi qui chanta le second couplet, le tout accompagné par la harpe et la viole des musiciennes » ) d’où la jalousie, malheureusement, ne sera pas absente. Sijorg, envieux de son frère adoptif Minordre (« Mon père n’a plus jamais été pareil avec moi après l’arrivée de Minordre dans notre famille »), commet, sans arriver à ses fins, plusieurs méfaits pour que son frère soit disqualifié.
Le suspense
Les destins de ces peuples se croisent au fil des rencontres. Leurs différences physiques, culturelles, linguistiques, techniques ne constituent pas des obstacles. Lors de la préparation du tournoi de la rose, tous oeuvrent sans discrimination dans une logique de paix, d’entente et de fête. La diversité constitue une richesse. Les amazones, femmes de grande taille, dont la puissance est « sans limite et leur entraînement à la hauteur de leur réputation » occupent une place importante dans l’intrigue. Les principales sont les deux sœurs Leirba et Aponi, âgées de dix-sept et quinze ans. Leirba, jolie jeune fille aux nombreuses qualités, dotée du don de seconde vue et d’immenses pouvoirs, est destinée à devenir la prochaine reine. Peut-être sa sœur le sera-t-elle avec elle ? D’emblée naît le suspense. De même, le lecteur s’émeut et s’inquiète pour les tendres Joonis et Blik, la fille du « plus brillant scientifique » de Kalbur, Nopac. Accompagnés de Zenok, un doux monstre gigantesques crée en cachette par Nopac, le couple fuit l’univers de Kalbur car « vivre sous terre était (…) la plus terrible des tortures ». Mais pourront-ils s’échapper ?
Un souffle de féminisme
Le suspense et aussi l’élégance des combats féminins font la force de l’intrigue. Les descriptions s’apparentent à un jeu vidéo ou à un un film asiatique avec des combattantes, aériennes, semblant voler : « Elles effectuaient des sauts prodigieux, des figures acrobatiques, elles assénaient des coups terribles tout en conservant leur féminité ». Les combats des amazones sont transformés en gracieuses chorégraphies vaporeuses. Leurs corps paraissant perdre leur matérialité s’opposent aux pugilats épiques des géants : « Deux géants combattaient avec des troncs d’arbres. Ils étaient immenses et autour d’eux, des dizaines de géants hurlaient à la mort ». Un vent de féminité et de féminisme souffle dans le roman. Les jeunes femmes y sont audacieuses, déterminées, dotées de qualités exceptionnelles. Chouwa, lancée au galop, vise une cible, lâche sa flèche dans un « mouvement gracieux vers le haut puis en arrière presque comme un mouvement de danse » puis atteint son but avec aisance : « Une personne sur deux parvint à toucher la cible mais une seule en perfora le centre. Cela ne fut une surprise pour personne que Chouwa réussisse cette épreuve ». La plupart des héroïnes du roman, adolescentes courageuses et téméraires, dotées de qualités exceptionnelles vont à l’encontre des stéréotypes de genre souvent présents dans les romans de fantasy. Leurs combats tout à la fois élégants et sensationnels transportent le lecteur dans un véritable maelstrom filmique.
Une écriture cinématographique
En effet, l’écriture et la composition du Tournoi de la rose sont influencées par le cinéma. La rapidité des mouvements (« Ses déplacements pendant le combat étaient si rapides que l’adversaire avait l’impression de se battre contre une dizaine de personnes »), les gros plans sur les visages ou les corps, les panoramiques permettant l’exploration des espaces naturels grandioses, les décors somptueux ou mortifères arrachés à la banalité du réel, le tempo dynamique du récit, le constant souci accordé à la lumière et à l’éclairage (« Certaines pièces étaient éclairées par la lumière naturelle car même si elles étaient extrêmement profondes, les puits de lumière étaient nombreux ») transforment le roman en narration cinématographique. Non seulement l’influence cinématographique apparaît dans l’écriture, mais le roman pourrait aussi aisément être transposé au cinéma.
Le monde surnaturel et vertigineux du premier volet de la trilogie de Véronique Tardieu, Les Amazones, doté d’actions et de suspense à couper le souffle, charmera les jeunes amateurs de fantasy romanesque, cinématographique et de jeux vidéos. On devine que les lecteurs piafferont d’impatience en attendant la suite.
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