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Une histoire à la Prévert

25/10/2008 | Théâtre | 0 commentaires

Le Ventre de la baleine
Stanislas Cotton
Théâtre, Lansman éditeur, 2008

  (par Annie Forest-Abou Mansour)

Le Ventre de la Baleine de Stanilas Cotton est un soliloque de trente neuf pages, privé de ponctuation, hésitant entre le théâtre et la poésie. Ce texte débordant  de modernité et de fantaisie linguistique donne à entendre une histoire à la Prévert, celle d’Aphrodite, une femme banale, malgré son prénom : « Oui je suis une idiote Une imbécile Une souillon Bonne à rien », une déesse de l’amour paradoxalement mal aimée : « Pourquoi un si gentil Un ami Un amant Pourquoi mutent ses mains douces en mains dures ».Cette histoire ordinaire n’exclut cependant pas la poésie de l’écriture, la hardiesse des jeux de langage, les clins d’œil complices.  Le narrateur transforme le langage, opère des substitutions surprenantes en inversant les expressions : « Moi l’envolée au volant de ma vie l’embardement hors de l’alignement des jours ».

 

Stanislas Cotton utilise un langage simple, emprunte des images à des réalités familières et à partir de là,  élabore des images neuves, surprenantes. Les métaphores réifient Aphrodite et disent toute la douloureuse misère de sa condition de femme battue : « Pour la femme en jachère envahie par les broussailles ». Les nombreuses répétitions, les leitmotive trahissent la mécanisation de la jeune femme en proie à des idées fixes : son malheur, la violence de son compagnon, les plaintes déposées contre lui (« Pin-pon Police secours secourt les gens Pin-pon »), insistent sur l’enchevêtrement de la thématique amoureuse et de la culpabilisation face à l’être tout à la fois aimé, détesté et craint : « Un malentendu voilà Chacun s’enferme persuadé d’avoir raison On devient sourd et obtus Genre embouteillé de la cervelle Cerveau légume Paralysé (…) Pourquoi est-ce que je n’ai pas compris cela plus tôt Quelle idiote ». En introduisant dans le monologue d’Aphrodite des suites de noms issus de règles grammaticales : « Un jour bien sûr il est là Bijou Mon chou Joujou Et le temps passe Hibou Caillou Pou », des histoires puériles : « J’atterris Heu chez J’atterris chez les Papous Bonjour Papou Es-tu un Papou papa ou un Papou pas papa Un Papou pas papa je peux l’emmener faire un tour dans les bois », Stanislas Cotton  révèle la mentalité un peu enfantine de son héroïne avide de rêve et d’ailleurs,  vulnérable, surprise par les cruautés de la vie.

 

De cette rencontre souvent inattendue entre les mots se dégage la singularité du texte. Les jeux sur le langage créent une mise à distance comique qui dérange la composition lyrique et pathétique de l’ensemble comme lorsque l’auteur joue avec les sons, glisse des allitérations dans ses phrases : « Du khôl pour les quinquets coquets de la cocotte ». Son écriture dense renvoie à d’autres textes lorsqu’il reprend et remodèle  ça et là des lambeaux de vers de Verlaine (« D’une langueur monotone Envahie Sanglots longs bercent mon coeur ») ou de La Fontaine (« Veaux vaches cochons couvées Adieu »), rappelant la technique du collage des surréalistes. Les métaphores esthétiques et poétiques qui abondent : « Avant je m’applique à lisser le satin de mes songes » ou « Le temps attrape le bout du fil et défait le tissu Ligne après Ligne Inexorablement » modifient le réel et la banalité de la vie courante se charge ainsi de sens, se métamorphose. La poésie opère instantanément et pour ainsi dire magiquement la transfiguration du texte.

 

Aphrodite revit devant le lecteur des souvenirs pénibles, ressent avec acuité des douleurs physiques et morales, crie sa révolte, sa déréliction. Cette parole en crise, cet éclatement de la forme et les registres variés d’un texte qui ne se prend pas au sérieux font jaillir des émotions contrastées mêlant le sourire et les larmes au plaisir de la lecture.  Le Ventre de la baleine est une pièce de théâtre qui mérite d’être lue, mais aussi, pour ceux qui en ont la possibilité, d’être vue pour que la langue remarquable de Stanislas Cotton prenne corps dans l’espace scénique et dans la chair d’une comédienne.

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