L’Agrément.
Laure Mezarigue
Trinôme Editions (2012)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Dans L’Agrément de Laure Mezarigue, une mission est confiée à l’héroïne principale, Lydia Sarroyan, une jeune inspectrice du travail, bipolaire, c’est-à-dire « constamment partagée entre les crêts de l’espérance et les combes du désespoir ». Elle doit donner son agrément à Carole, Edith et Etienne, trois personnes psychologiquement vulnérables suivies par l’association « Entr’Aide » qui favorise l’insertion professionnelle.
Le récit s’ouvre sur un rêve mettant d’emblée l’accent sur l’importance de la psychologie dans les événements à suivre. En même temps, il objective les deux pentes de la sensibilité et de la personnalité de Lydia Sarroyan. Le rêve lumineux cristallise le bonheur, la tendresse, la poésie et la beauté : « Elle le tenait dans ses bras et le faisait tournoyer doucement sous la pluie. La fragilité de son sourire, l’éclat de ses pupilles brillaient avec le feu subtil d’escarboucles travaillées durant des heures et marquaient cette ivresse des premiers pas dans la vie vous enserrant le cœur pour ne plus jamais le lâcher. C’était son fils, le dénouement d’un combat qu’elle croyait avoir perdu depuis longtemps. Elle le serrait de toutes ses forces, prête à tout pour garder nichée contre elle cette sensation de douceur infinie, la faisant chanceler de bonheur (…) ». Mais il devient progressivement cauchemar inquiétant, sombre, marqué d’un accent pathétique et tragique : « Elle tenta de s’enfuir, mais à l’entour, la pénombre devint omniprésente. Elle sut qu’elle ne pouvait lui échapper et sentit son cœur défaillir avec un parfum de néant au bord des lèvres. Elle regarda l’enfant une dernière fois et crut même entrevoir de fines perles de souffrance laissées sur son visage par la pluie (…) ». Lydia possédée par un besoin de tendresse souffre de carences affectives : l’incompréhension entre ses parents et elle, l’abandon de Paul, l’homme aimé, la perte de l’enfant désiré. Chez elle, les moments d’enthousiasme alternent avec le manque de confiance et la dépression. L’agrément constituera donc une espèce d’initiation pour les trois salariés mais aussi pour l’inspectrice que la rencontre avec des personnes souffrant de problèmes psychiques jette dans ses propres difficultés. L’agrément aura quasiment une valeur d’exorcisme pour elle. Tous les quatre mus par leur inconscient sont condamnés à répéter leur passé sous une forme angoissante et perturbatrice différente de la première : après le suicide de son père, Carole devient agoraphobe : « J’étais juste prise d’un sentiment de suffocation extrême lorsque je me retrouvais dans un lieu public, comme si une main invisible se refermait sur ma gorge et me tuait lentement parmi les autres sans qu’ils s’en aperçoivent ». Les manifestations physiques de l’angoisse sont données. Carole éprouve de violentes émotions, proches de l’étouffement, de la syncope. Cependant les quatre protagonistes vont lutter contre leurs démons intérieurs et contre le réel pour aboutir au succès, à la réussite et intégrer finalement la « normalité ». Les malédictions du passé se dissipent dans un roman qui joue sur les temps : temps où les personnages perçoivent ce qui les entoure et temps où ils se souviennent : « Tandis que Lydia émergeait douloureusement de son immersion dans le passé, Carole avait achevé ses tâches ménagères ». La narratrice multiplie les retours en arrière et le lecteur glisse d’un temps à l’autre, confronte la conscience présente et la conscience passée des personnages, le tout rythmé par la musique classique de Chopin, Schumann, Debussy…, qui agit sur l’esprit, les sens, les idées, les émotions, favorisant, comme la madeleine de Proust, le retour des souvenirs : « Les notes de piano épurées la ramenèrent à ce jour terrible (…) ou « (elle) tomba sur la 3e symphonie de Brahms, ’Pocco Allegretto’. Elle se laissa doucement bercer par la mélancolie des violons et amorça son pèlerinage vers un endroit qu’elle n’aurait jamais pensé retrouver un jour (…) ». La narration déploie en effet de fréquentes allusions à la musique qui joue un grand rôle sur l’état affectif de Lydia et accentue l’esthétique de l’écriture en donnant aux mots des résonnances ineffables et poétiques : « La magie de l’archet de Yo-Yo Ma continuait toujours d’opérer (…) à la rigueur minérale de la matinée avait succédé un visage diapré de reflets changeants, parfois traversé d’un sourire comme une vague de soleil nimbant un ciel d’été (…) ».Les sons musicaux se poursuivent en sensations tactiles, jeux de lumière et de mouvement. Le réel accède à la beauté parfaite issue de l’Art et du rêve.
Bien que les personnages évoluent dans un univers anxiogène pour eux, Laure Mézarigue ne sombre jamais dans le pathos. Sa réflexion sur l’angoisse se cache souvent derrière beaucoup d’humour. L’écrivain transforme la littérature en jeu verbal, triturant les mots, créant des néologismes, maniant avec habileté la contrepèterie, renouvelant les clichés, surtout lorsque Sophie, la secrétaire cacophasique de l’association s’exprime : « je fais constamment des fautes de grand-mère » (…), « ces erreurs de syntaxe me flanquent vraiment le canard », « je vais finir par piquer une colère onirique », « vous me flanquez la chair de dinde », « revenons à nos hannetons ». Au comique de mots s’ajoute le comique de situation comme lorsque Grégory Prat aborde Edith et « ne trouv(e) rien de mieux à faire que de l’assommer avec son bouquet de fleurs » pour interrompre sa phrase.
Laure Mezarigue peint avec réalisme l’humain, les difficultés de la vie professionnelle, la ville de Paris. Et dans l’esthétique de son écriture qui file avec élégance les métaphores, brode les synesthésies (« La luminosité des premières notes de piano emplit alors la pièce d’un parfum d’apaisement ») apparaît aussi un caractère visionnaire et poétique. Dans L’agrément, Laure Mezarigue envoûte littéralement le lecteur par la splendeur de son style et son humour malicieux.
Bonsoir,
Belle surprise : nouvelle sur Viadeo, je choisis ta fiche et t’invite. Un petit tour sur ton blog et je découvre cette belle chronique très méritée, que tu as écrite à propos de « L’agrément » de Laure.
Il se trouve que je « connais » Laure et son comparse Clément Chatain avec lesquels je communique depuis quelques années via Facebook, et surtout, je viens tout juste de rejoindre les éditions Trinôme qui publient ce mois-ci mon nouveau roman, SECRETS D’ANGES. J’espère que tu aimeras, et commenteras aussi joliment ce roman dont on me dit qu’il est un hommage à la littérature, la musique, l’art…
Très belle fin de semaine à toi.
Michèle
Bonjour Michèle,
Viadeo transforme le monde en un immense village qui permet de découvrir des personnes intéressantes, des écrivains,des poètes, des peintres, pleins de talent.
Merci Michèle pour ton beau message et ta gentillesse. Ce sera un plaisir pour moi de chroniquer SECRETS D’ANGES. Demande à Clément Chatain de me l’expédier. Il m’a écrit qu’il me proposerait d’autres ouvrages à commenter.
Très belle fin de semaine à toi aussi.
Annie