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Une lecture ethnologique

2/03/2007 | Livres | 0 commentaires

La Société contre l’Etat
Pierre CLASTRES
Editions de Minuit,  1996

 

(Par Joëlle Ramage)

Pierre Clastres, à travers  son  ouvrage, La Société contre l’Etat, a jeté les fondements d’une interrogation sur nos sociétés modernes, sur leur structure politique, à savoir les lois, les règles et autres codes de conduite qui régissent la vie quotidienne de tous. Mais il nous a aussi donné à comprendre que l’Etat n’était pas une fin en soi pour que se développent les sociétés et que s’épanouissent en leur sein les individus, et que d’autres sociétés, en d’autres lieux, sociétés dites « sans Etat », recouraient à une toute autre forme de gestion de l’humain. Ce paradoxe complexe admirablement développé dans cet ouvrage par un Pierre Clastres mort bien trop jeune, à 36 ans, est propre à nourrir notre imaginaire lassé des contraintes de toutes sortes, sur des sociétés utopiquement belles où les règles et les codes auraient disparu, où il n’y aurait plus d’écrasement par les contraintes, où le poids des instances n’existerait pas, mais où la responsabilité de chacun serait le garant de la paisibilité et de l’épanouissement de tous. A y bien réfléchir, Pierre Clastres ne suggère-t-il pas très simplement qu’une société épanouie et viable est fondée sur le principe de libertés raisonnées ?

L’Etat « sans état » pourrait donc être un débat très actuel, d’un riche intérêt pour la compréhension de nos sociétés occidentales, où les lois abondent, où les règles et les codes politiques se superposent comme des mille-feuilles sans pour autant infuer véritablement sur la conduite des individus. C’est dire que « la loi tue la loi » pour reprendre une théorie gausienne, et qu’à multiplier les lois et les règles on tombe dans les travers et les vissicitudes, dans la stérilité.

On l’aura compris à la lecture de cette puissante recherche ethnographique, qu’il ne s’agit pas de sociétés « marxisantes » que Pierre Clastres nous donne à visiter dans le sud de l’Amérique, dans les forêts amazoniennes, car les sociétés marxistantes édictaient des lois dures. Il s’agit tout simplement de sociétés « sans Etat », où les normes sont fixées par la société toute entière, l’Etat étant considéré comme un instrument de domination de classe, ‘domination’ signifiant aussi recours à la violence et à la persuasion par la force. Dans les sociétés « sans état », pas de clivage de classes donc, autrement dit pas de riches et de pauvres, pas de violence contenue ou avérée. En d’autres termes, une société non étatique est une société qui n’exerce aucune domination, donc qui n’édicte aucune loi et qui n’a pas recours à la violence et à la force persuasive. Une société non étatique n’est pas une société qui divise : d’un côté ceux qui travaillent, de l’autre côté ceux qui exploitent, en somme les dominants/dominés. Rien de tout cela chez les Indiens Guayaki et leur société « sans état ». Bien sûr, ces sociétés là sont petites démographiquement, leur territoire est restreint, elles procèdent à l’échange et à la réciprocité, et il est possible que ce fonctionnement là, basé sur des normes intrinsèques, y soit donc facilité…

Qu’importe…la pensée de Pierre Clastres, et toute son œuvre, trouve son fondement sur l’idée forte d’un partage universel où l’absence d’état, la règle comme étant le produit de l’intérêt général, et donc le pouvoir partagé forment un système cohérent. Les sociétés « sans état » ne refusent en effet pas les règles, elles refusent que le pouvoir soit à part, soit en dehors d’elles, comme des instruments de domination extérieurs, en somme qu’elles aient, comme nos états modernes, le  pouvoir de la violence légitime  comme le disait Max Weber.

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