La bénédiction des enfants
Dominique Fontana
Editions Les découvertes de la Luciole (2008)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Avec La bénédiction des enfants, Dominique Fontana offre au lecteur un recueil de nouvelles émouvant et rempli de sensibilité. Ses histoires brèves, pas toujours heureuses, racontent la vie et les actes banals de personnages ordinaires, des citoyens dont personne ne parle généralement.
L’exergue de chaque nouvelle de La bénédiction des enfants empruntée à des poètes (« Vraiment c’est bête, ces églises de villages… », Rimbaud, « Et si je ne sais plus ce que j’ai vécu. C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu », Paul Eluard) ou des écrivains (« Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité », Jean Cocteau) évoque avec finesse et subtilité l’histoire donnée à lire. La citation de Rimbaud annonce la plongée dans l’ambiance sacrée, simple et trompeuse de la religion, celle d’Eluard, un univers disparu à jamais, la phrase de Cocteau, une imposture qui dura toute une année. Le fil conducteur de toutes ces nouvelles est l’enfance défunte. Des souvenirs lointains émergent de la mémoire du narrateur qui capte des instants de vie, de menus événements quotidiens, des émotions, des sensations. Chaque nouvelle se fait l’écho de ces instants apparemment insignifiants mais cruciaux pour le personnage. La vision partielle ou partiale de l’enfant qu’est ou a été le narrateur donne à voir les modes vestimentaires des femmes « d’il y a une trentaine d’années déjà, avec pantoufles fourrées même en été et blouses de nylon bariolées avec des poches pour les mouchoirs », l’habitat, les lectures pour la jeunesse comme Sylvain et Sylvette, l’éducation sévère des enfants, leurs préoccupations, la façon de s’exprimer des années 1970. Ces extraits d’événements d’une époque révolue glissent dans le romanesque accédant à l’universel où chacun peut se reconnaître. Les nouvelles au présent, basculant du côté de la narration à la première personne, donnent vie, dynamisme, réalisme à l’histoire. Les arcanes de chaque moi se découvrent progressivement de façon ténue au fil des phrases pour se révéler totalement dans la chute. Des instants vécus avec les parents, les grands parents, la famille, les camarades de jeu surgis à la vue d’une personne ou d’un objet (« des souvenirs (…) de ceux qu’on avait enfouis, qu’on avait oubliés et qui surgissent soudain à la vue d’une boîte de camembert peinturlurée pour une fête des mères ou d’une carte de la Grande Motte (…) » introduisent le lecteur dans l’intimité éloignée et émouvante des narrateurs. Souvent il aurait même mieux valu oublier ce passé.
Dans la première nouvelle qui donne son titre au recueil, le narrateur pointe sans concession une religion loin d’être source de générosité, de tolérance, de vérité. Les bigotes prient par routine, sans conviction ni mysticisme, effaçant avec désinvolture leurs transgressions comme le souligne avec un humour critique implacable le narrateur : « Comme hypnotisées par sa magnificence, les vieilles dames scandaient les prières en se balançant en chœur et oubliant bientôt leurs lâchetés de la semaine. Les pleutres devenaient des braves, les traîtres des modèles de franchise avec leurs voisines détestées et de fidélité envers leur cocu de mari ». La religion qui devrait favoriser la tolérance, le respect de la différence, l’amour du prochain s’écarte outrageusement de cette bienveillante voie. Le prêtre, représentant de Dieu sur terre, chasse violemment de l’église le jeudi saint, Ouria, la fillette harki, comme le constate avec une ironie mordante et interloquée le locuteur : « Alors le bon père si charitable s’approcha de nous à grandes enjambées. Je n’eus pas le temps de réagir, pétrifié que j’étais devant l’ange exterminateur qui s’arrêta à notre hauteur. Saisissant l’Infidèle, la Mauresque, la Sarrasine, il la jeta sans ménagement hors de la maison de Dieu (…) ». Plusieurs années plus tard, un nouveau prêtre mariera Ouria avec un jeune chrétien français, félicitant son prédécesseur de son ouverture d’esprit par ignorance des faits passés ou mensonge !
Une simple et naïve remarque peut blesser profondément un enfant, lui dévoiler une réalité différente de celle qu’il percevait. Le jeune narrateur de la nouvelle « Le petit fils » admirait ses vieux parents aimants, tendres, beaucoup plus attentionnés que les parents de ses petits camarades. Il trouvait belles les rides de son affectueuse maman : « elle ressemble à une petite fille un peu ridée. Je les aime ses ruisseaux de peau ». Il ne résistera pas à l’innocente remarque trop cruelle pour lui de son ami Lucas : « Mais si Max, t’en as une de mamie. Et même un papy aussi. Ils sont venus à la fête de l’école nous voir danser l’année dernière ». Bouleversé, il ne se rendra pas à la fête de l’école l’année suivante.
Un petit bouton de nacre, dans la nouvelle au titre éponyme, immerge le lectorat dans l’insoutenable cruauté du nazisme et l’inimaginable drame de la Shoah. Trouvée en creusant le jardin par un descendant de la famille, longtemps après la guerre, subsiste cette minuscule relique de nacre pleurée par Esther, une jolie fillette de douze ans, emportée en fumée par de brutaux soldats.
L’amour de la lecture, des mots, de leur sens, de leur sonorité (« C’était un peu toujours les mêmes choses qui revenaient au travers des mêmes mots car Ouria en avait eu pour dire tout son chagrin d’être là. Alors, elle peuplait de « l » et de « r » comme des sanglots ses phrases courtes et hachées, toutes au présent qui ondulaient et roucoulaient pour moi », de leur rythme ( « Le garnement ») emporte de nombreux enfants des nouvelles dans des échappées oniriques. De la magie des mots naît tout un monde coloré stimulant l’imagination : « tandis que pépé lisait de sa voix si particulière, moi, sur ma chaise en face de lui, loin des images qui m’étaient désormais inaccessibles, j’ai tout vu. Le vieux moulin avec sa roue à aube gigantesque… Sylvette sur sa chaise, misérable, avec son fichu impeccable et ses sabots jaune vif (…) J’ai su alors que mon pépé était magicien ». En effet, les mots ne se contentent pas de transmettre un message, ils dévoilent le réel et toute sa beauté. Ils embarquent le lecteur vers un ailleurs chimérique loin des sentiers battus du quotidien.
Neuf nouvelles émouvantes et belles dotées d’une écriture sobre et poétique sertie d’humour racontent aux lecteurs du XXIe siècle la France profonde d’il y a une cinquantaine d’années avec réalisme. Le style indirect libre, des expressions enfantines comme la comparaison « belle comme une tartine de Nutella » plonge le lecteur dans les mentalités, les joies, les peines de petites gens dont seuls les plus anciens se souviennent. Outre leur intérêt littéraire, ces nouvelles constituent un témoignage sur les modes de vie et de penser d’un quotidien lointain, petite histoire, à l’écart de la grande, dont ne témoignent pas assez les historiens. L’existence des gens dits simples recèle de grandes richesses et procure parfois davantage d’émotions que celle d’éminents héros.
Un article fait de passion et de délicatesse qui me va droit au cœur ! Mes mots ont été compris par Mme Forest comme s’ils avaient été les siens. Merci à elle pour son professionnalisme, son talent de critique et son amour des textes!