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L’An de grâce

16/06/2025 | Livres | 0 commentaires

L’An de grâce
Nicolas Le Golvan
Sans crispation éditions (2025)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

Livre L’An de grâce 
Nicolas Le Golvan
Sans crispation éditions (2025) Mettre en mots d’un enfant différent

L’An de grâce de Nicolas Le Golvan : une tranche de vie d’une année, une parenthèse ineffaçable qu’il faudra, des années plus tard, mettre en mots. C’est ainsi que le lecteur plonge dans les souvenirs d’Eric qui, dans un récit introspectif, exprime avec délicatesse et tendresse son amour paternel en faisant revivre son lumineux et effervescent enfant. Louis, l’enfant inoublié et inoubliable, « une comète aux cheveux d’or », un enfant différent, fascinant « autant que le feu ». Un enfant atypique, hyper-sensible («(…) mon fils en train de ramasser dans le virage de la gare un pigeon mort, pour l’enterrer, le pauvre … »),  peu adapté à notre société uniformisée, incompris par ses grands-parents et ses enseignants. Il n’aurait eu « besoin que d’un regard bienveillant » ! Or, il n’a pas reçu cette attention. Le père culpabilisé, convaincu de ne pas avoir été un « bon père », écrit et narre alors la brève vie de ce garçonnet pour dire son amour et « lever le poids de (la) faute » qui pèse sur lui.

Le non-dit

Avec une simplicité narrative voulue, l’auteur évite tout affectation susceptible de nuire à la voix de ce père en souffrance qui jamais ne dira explicitement l’indicible : la mort de son enfant. Il insiste au contraire sur sa vie et le feu qui brûlait en lui : « J’avais un fils qui brûlait trop  vite », « raconter Louis vivant », « mon fils est un livre vivant »…). Il use du détour pour dire l’inacceptable. Trop difficile à exprimer ! Un réel trop brutal à supporter ! Le langage se fait alors contournement  : «  Faire durer l’incendie à défaut de l’éteindre, puisque pour ce qui est de s’éteindre, il finirait bien vite, avec ou sans nous »…). Seul le champ lexical de la mort détournée (« père orphelin », « ce sacrifice qu’on ne manquera pas de faire graver dans le marbre, d’un cimetière… », « rituel funèbre, déjà »…) coule dans le texte donnant à ressentir la tragique réalité.

La perception négative de l’enfant

L’An de grâce est un genre de confidences à la première personne du singulier dans une transparence énonciative complète, avec un ton sincère, reflet de sentiments que le narrateur ne cherche pas à embellir pour émouvoir le lecteur. Il émeut, c’est certain, mais sans jamais sombrer dans le pathos. Pourtant L’An de grâce évoque la dernière année que vit un homme avec son enfant tant aimé. Ce père s’épanche avec des mots directs, sans filtre et sans artifice. Il exprime son amour pour Louis, enfant de six ans, « un amour de garçonnet », un Enfant dans toute sa simplicité et complexité dont le comportement bouillonnant est finalement naturel et propre à son âge. Mais comme le montre l’insertion, dans ce long monologue intérieur, de dialogues passés, souvenirs de discussions familiales pas toujours sereines, la conduite du petit garçon demeure négative aux yeux des grands-parents maternels dogmatiques et sévères. Ils s’imaginent que leur expérience et leurs idées sont les seules valides. Leur regard et leurs mots destructeurs, bien qu’ils reflètent peut-être une certaine bienveillance mal exprimée, un désir de bien faire, se manifestant par une assurance pouvant paraître excessive,  (« En l’an de grâce des six ans de Louis, je suis donc entré en résistance sourde contre tous ceux qui par amour, je ne leur ôte pas, ou par leur certitude de faire eux aussi ‘au mieux’ , s’évertuaient et se tuaient véritablement les nerfs et la santé à diminuer, à couvrir, à rabattre, à couper, saper, anticiper, éteindre le feu de notre enfant »), éreintent la conduite du garçonnet et l’éducation paternelle. Le point de vue des aïeux trouble les parents, notamment le père qui se pose alors de nombreuses questions sur son rôle d’éducateur. Comment agir au mieux avec son enfant ? Le regard critique des grands-parents sur l’éducation de leur gendre complique la dynamique familiale et nuit progressivement au jeune couple.

De même, l’école avec ses structures éducatives parfois rigides, cherchant à faire en sorte que les élèves répondent à des normes spécifiques, est souvent portée à critiquer ceux qui sortent de l’ordinaire : les enfants ne correspondant pas au profil de l’élève modèle, posé, discipliné et attentif, tant apprécié en classe ! La formulation des appréciations des enseignants sur les bulletins scolaires de Louis, nécessaires, c’est évident au suivi de l’élève, sont loin d’être constructives, formatrices et bienveillantes : « Parle au mauvais moment », « doit être surveillé de près », « a du mal à attendre son tour », « écrit mal », « quitte sa chaise quand il ne faut pas » (…) ». Or, ces adultes dans le jugement adoptent dans leur vie quotidienne des attitudes qui ne sont pas toujours exemplaires, loin d’être à la hauteur de ce qu’ils attendent d’un jeune enfant : « Mais enfin, c’était simplement eux-mêmes qu’ils cochaient, les experts, eux, et puis leurs collègues (…) eux l’autorité qui juge, eux la norme et la normalité, eux qui perdaient leurs clés, qui gueulaient dans les files d’attente, qui garderaient leur vie durant des rancoeurs et des haines terribles pour des broutilles sans fondement ni raison, eux qui se coupaient sans cesse la parole à table ou au travail, eux qui jouaient des esclandres et des sorties tapageuses pour une question de ‘principe » , qui parlaient trop fort (…) ». Le père s’emporte. La répétition de « eux qui » créatrice d’un rythme insistant, l’accumulation des accusations, l’emploi du verbe familier et vulgaire « gueuler », soulignent la colère et la révolte du narrateur ordinairement dans la retenue et la mesure. Il ne cherche plus à adoucir ses mots. Il crie sa révolte et son amour pour son enfant. Son comportement et ses propos manifestent son immense tendresse sans fausse pudeur.

L’An de grâce est le récit vivant, sincère et émouvant d’une lointaine année marquée par des moments intenses gravés à jamais dans la mémoire d’un père rempli d’amour pour son fils. Ce livre est une belle ode à l’amour paternel, une exploration profonde de liens unissant un père à son enfant.

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