Kidnapping
Maryline Gautier
Editions de la Différence
La ligne Bleue (2015)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
La lecture de Kidnapping de Maryline Gautier provoque un agréable effet de surprise. Le titre, faisant référence à la violence, au mystère, suggère un roman policier. Or le lecteur découvre un roman psychologique à suspens qui le tient en haleine de la première à la dernière page.
Kidnapping est un roman polyphonique, racontant l’enlèvement et la séquestration d’Henri Lethuillier, un médiocre écrivain de Plessy-sur-Blières. Henri, homme élégant apparemment bien à tous égards se promène selon son habitude « depuis qu’il est à la retraite, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il grêle » sur la route aux alentours du vieux bourg où il vit avec « sa pieuse épouse », Adèle. Soudain, un homme lui jette un sac sur la tête et le projette sur la banquette d’une camionnette blanche. Henri s’imagine alors être une célébrité victime d’un complot : « il n’éprouvait aucune peur. A l’étonnement se mêlait une certaine fierté ». Mais sa stupeur est immense lorsqu’il découvre l’identité de ses ravisseurs
Dans cet ouvrage, le réel se construit progressivement en proposant le point de vue biaisé de chacun des membres de la famille Lethuillier, famille en apparence lisse et sans problèmes où se cachent pourtant des secrets. Le présent et le passé d’Henri, d’Adèle, de leurs enfants, des jumeaux prénommés Jacques et Annabelle se tricotent au fil de leurs pensées, de leurs émotions, de leurs souvenirs. La réalité fugitive est tressée progressivement sur quelques journées structurant la densité du vécu de chaque protagoniste. La personnalité des quatre membres de la famille se dessine avec finesse et précision au fil des pages en suivant les méandres de leurs pensées et de leurs souvenirs. Adèle femme « docile », « gentille », sensible, timide, bien que possédant un diplôme d’institutrice, se contente de travailler comme femme de ménage. Menant une vie sans histoire, elle cache ses dons de guérisseuse hérités de sa mère. Les jumeaux, quant à eux, sont en tout point opposés : Annabelle, belle jeune fille aux yeux verts, possède une forte personnalité alors que Jacques, enfant puis jeune homme passif, qui « vi ( t ) dans la peur de mal faire », a en lui, selon son père, « de la graine d’esclave ».
Henri, personnage central, est le point focal vers lequel convergent tous les regards, les pensées, les émotions, les récits. Il entretient une relation dominant/dominé avec son épouse qui doit lui raconter ses moindres faits et gestes et avec ses enfants qu’il prive de liberté. Il rationnalise son autoritarisme, sa dureté, sa perversité, son esprit manipulateur. Il n’a pas du tout l’impression de se comporter négativement : « Comment présenter des excuses quand on n’a aucun regret ? ». Il se donne toujours bonne conscience : dans son esprit, il agit par amour, voulant le bonheur de son couple et la réussite de ses enfants. Cependant il évolue dans l’apparence quand il se présente comme un homme sans faille ayant réussi. : « Pour les jumeaux, il s’inventait un bureau ensoleillé au quatorzième étage, un titre de directeur du service clients ». Or, la réalité est tout autre. Henri a en effet, construit sa vie sur un certain nombre de mensonges afin de s’imposer. Face à ses enfants, pour conserver son autorité, ayant peur que le vernis s’écaille, que le masque se brise, il cache ses lacunes : « car le jour arriverait où le fils comprendrait les limites du père en mathématiques ? Son autorité s’en verrait entamée, voire remise en question ». Don Juan (« il aimait les femmes (…). Leur conquête plutôt »), il choisit une épouse naïve ayant « peur de Dieu », afin, entre autres, de la tromper sans risques : « Reposante et inoffensive, elle se laisserait facilement menée et, si elle découvrait ses frasques avec d’autres femmes, le bon dieu l’aiderait à fermer les yeux ». Et en effet, Adèle «avait toujours su qu’Henri la trompait, et choisi de s’en accommoder ». La vie est tellement plus simple lorsqu’on se voile la face.
Très vite, au détour d’une phrase, d’un mot, le lecteur saisit la vraie personnalité d’Henri constituée d’une certaine forme de dédoublement et d’imposture. La mascarade s’effondre au bout de vingt ans de vie commune pour Adèle (« Belle au bois dormant réveillée après dix-huit ans de rêve auprès de ses enfants (…) ») à la faveur du départ de ses enfants et d’une lettre d’Annabelle qui « ouvre la boîte de Pandore. Pour en tirer un à un les mensonges d’Henri, les non-dits, les abus ». Se rendant compte que « le saint était peut-être un diable », Adèle évolue, se métamorphose, devient une femme libre qui prend de l’assurance, ose s’imposer, choisir sa vie.
Kidnapping mêle poésie (« le clapotis de l’eau entre les pierres le
bruissement du vent dans les feuillages, le grésillement des insectes, tout ce qui composait l’agréable musique du sous-bois (…) »), humour («-Vous êtes la femme d’Henri Lethuillier. / Ce n’était pas une question mais Adèle hocha la tête en la regardant droit dans les yeux. /- Oui, et vous sa maîtresse »), psychologie, suspens. Cet ouvrage explore la part obscure de l’être humain, le problème des tragédies humaines, du mal, sans pathos. Dans cette impitoyable descente aux enfers, Maryline Gautier réalise une étude existentielle avec recul et lucidité permettant au
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