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Face à la destruction Psychanalyse en temps de guerre

25/03/2023 | Livres | 1 commentaire

Face à la destruction
Psychanalyse en temps de guerre
Houria Abdelouahed
des femmes, Antoinette Fouque (2022)

(Par Elias Abou-Mansour)

Houria Abdelouahed : Face à la destruction Psychanalyse en temps de guerre  Du drame syrien à l’analyse de la radicalisation

Houria Abdelouahed, professeure des universités à la Sorbonne, psychanalyste, est l’auteure de Face à la destruction. Psychanalyse en temps de guerre. Houria Abdelouahed a travaillé sur la radicalisation. Marocaine, elle maîtrise l’arabe littéraire et possède une solide connaissance de l’exégèse du Coran et du « Hadith » (recueil des actes et paroles de Mahomet et de ses compagnons). En outre, elle connaît très bien la crise syrienne. D’ailleurs, elle a coopéré avec des psychiatres universitaires en Syrie. Avec ses multiples compétences, ayant  observé de près le drame syrien,  la psychanalyste analyse le concept de radicalisation, scrute et dissèque la violence des Islamistes.

En effet, la Syrie a connu une guerre impitoyable, monstrueuse. Cette guerre a contribué à l’émergence de Daesh. Ses soldats se sont illustrés dans l’effondrement des valeurs, les viols, les assassinats, la cruauté, le sadisme, le rejet de la dignité humaine, le sexisme, la démolition des arts et des vestiges archéologiques, la privation de tout raffinement culturel, le bannissement des loisirs, de la musique. Ces Islamistes ont fait sombrer la société syrienne dans l’archaïsme et un obscurantisme abyssal. L’auteure cherche à expliquer ce chaos. De quoi Daesh est-il la survivance ? Quelle est cette guerre où les ennemis sont trop nombreux pour un seul peuple ? Quel est l’objectif de la thérapeute ?   « Avec quel tact oeuvrer face à des patients qui ont vu et côtoyé l’horreur et la déshumanisation ? ».

La violence, la cruauté, les atrocités perpétrées par Daesh ne peuvent que susciter l’aversion et l’horreur. Cette violence,  cette déshumanisation se distinguent par la barbarie et la sauvagerie. Cette guerre évoque pour nous  la phrase de Georges Bernard Shaw : « Le pire péché envers nos semblables, ce n’est pas de les haïr, mais de les traiter avec indifférence, c’est là l’essence de l’inhumanité ». De plus, combien de femmes  ont été violées, sauvagement assassinées par des combattants de Daesh, car elles étaient Yésidites, Kurdes, Chrétiennes, Chiites ou, tout simplement des filles libres, émancipées, épanouies ?

Une analyse méthodique et rigoureuse

L’essayiste, dans son livre, procède avec méthode et rigueur. Elle sonde l’histoire. Elle se lance dans une étude philologique, linguistique et historique des termes arabes, en l’occurrence celle du mot  « fitna » qui est polysémique. Il signifie l’adversité, l’épreuve, la guerre civile… La narratrice  avance dans sa réflexion qu’ « al-fitna »    est la mécréance  (« al-kufr ») . En effet, le Coran interdit le combat entre deux Musulmans : « Celui qui tue volontairement un croyant aura la géhenne pour rétribution : il y demeurera immortel » (Coran 4,93). D’ailleurs, le vocable « fitna » désigne la première guerre civile entre les Musulmans pour la succession du prophète Mahomet. Tout en analysant le substantif « fitna », l’autrice évoque le parti des Frères musulmans, parti politique précurseur de l’Islamisme ouvrant la voie à l’Islam rigoriste et dur : « Ce mouvement fut lancé par Hassan al-Banna, le fondateur de la jamiya al-Ikhwan al-muslimin (la société des Frères musulmans) qui se présenta comme un réformateur ». Hassan al-Banna veut moraliser la société. Selon lui, l’Islam est spirituel et temporel (Din wa dawlat). Il rejette le  concept de laïcité. La séparation de l’Église et de l’État est inconcevable chez les Islamistes : « L’Islam est foi et adoration, patrie et nationalité, religion et Etat,  spiritualité et action, Coran et épée ». Cette présentation rigoriste et sectaire de l’Islam implique la notion du djihad. Par conséquent, le parti des Frères musulmans est la matrice des organisations islamistes. D’ailleurs, les chefs d’Al quaïda, Zawahiri et Oussama ben Laden ont suivi la même voie. La narratrice est perplexe devant cette violence abyssale, cet avilissement de l’humain, cet anéantissement des valeurs. Elle explore l’histoire arabe et découvre la secte des Assassins (en arabe, al-Hachachin) dont le chef est Hassan al-Sabbah. Ce dernier, au Moyen-Age,  a semé la terreur en assassinant des dignitaires illustres et puissants.

La radicalisation

Ensuite la psychanalyste scrute les banlieues afin de comprendre pourquoi un jeune citoyen français veut appartenir à un Islam salafiste, rigoriste. Comment le sentiment d’appartenance à l’Islam salafiste a-t-il remplacé celui de la citoyenneté ? La professeure  Houria Abdelouahed va explorer et  analyser cette radicalisation. Elle  parcourt les travaux des psychiatres sur la radicalisation. Elle cible la mémoire collective, la subjectivité et les blessures narcissiques d’où le terroriste puise sa haine et passe à l’acte. L’idéal et sa quête renvoient à la radicalisation. « L’adoption de l’idéologie salafiste dijhadiste qui exploite les frustrations aussi bien psychologiques que socio-économiques des jeunes vulnérables dont le miroir et le discours politico-sociétal aussi bien que familial leur renvoient une image négative, non narcissisante ». L’idéologie salafiste a consolidé l’appartenance identitaire à l’Islam. Elle a transformé l’humiliation en fierté d’être musulman.

La narratrice se réfère au psychiatre Benslama. Ce dernier déconstruit l’Islamisme radical, le décrit  comme l’incarnation du « surmusulman ». C’est alors que le fanatique bascule dans une logique de sur-identification : « L’idéologie salafiste a transformé l’amertume du présent et l’incertitude du futur en une promesse d’une vie meilleure qui mérite qu’on lui cède sa vie d’ici-bas ». Les psychiatres cherchent à comprendre la logique qui mène vers l’engrenage de la radicalisation. P.L Assoun écrit dans sa réflexion sur la radicalisation que «  (…) l’agir meurtrier s’avère une conséquence d’un endommagement du narcissisme ».  En effet , l’islam salafiste peut être un refuge pour les blessures narcissiques d’un adolescent désoeuvré. La détresse d’un jeune adolescent peut aboutir à un sacrifice rédempteur. C’est la radicalisation.  Mais la psychanalyste trouve que l’analyse psychologique est insuffisante, qu’elle est réductrice  : « Le psychologique est seulement un axe parmi d’autres ». L’anachronisme ouvre la voie à d’autres investigations. Pour approfondir ses analyses l’auteure  s’appuie sur une étude linguistique et sémantique.

La lecture du Coran

 La langue du Coran est une langue sacrée, mythique. C’est une langue ancienne, morte. Elle est étrangère à la langue vernaculaire. Le mot voyage,   évolue à travers le temps et change de signifié. Une lecture littérale du Coran aboutit à un contre-sens et tombe dans l’anachronisme. Le terme est  alors décontextualisé. Le Coran doit être lu dans son contexte historique, sinon on sombre dans le ridicule. L’auteure stigmatise la représentation de la femme dans l’Islam intégriste : « (…) où la sexualité de l’homme est présentée comme une orgie interminable et une jouissance illimitée avec des houris sans visage (…) ». Ce n’est pas le texte sacré, le Coran, qui pose problème, c’est la lecture du texte. Il faut situer ce dernier dans son époque.  L’Arabie pré-islamique est désignée  dans le Coran sous le nom de « Jâhiliya » qui signifie « ignorance » . L’Arabie pré-islamique était une société tribale de tradition orale.  Elle était primaire, archaïque (ceci dit sans aucune connotation négative de notre part). Dans ces conditions, comment expliquer les mots « paradis », « béatitude » à un homme illettré, analphabète, dans une société hermétique, matérialiste et païenne ? La vision du monde de l’Arabe pré-islamique est en effet  étriquée, son langage, ses connaissances sont limités. Par conséquent, le prophète  Mahomet a expliqué la métaphysique (le paradis) avec des éléments  naturels, tangibles, sensibles, accessibles à des hommes peu cultivés. La description du paradis est donc imagée. L’écrivaine soulève aussi  un problème crucial en Islam, celui de la sacralité du Coran et du Prophète. La sacralisation porte  sur le Prophète et le texte.  Le texte est sacré. C’est la parole de Dieu, la Vérité, et le prophète est sacralisé, ce qui consolide l’imaginaire et la sur-identification à l’Islam. Ainsi l’idéal se trouve renforcé. Or le Coran n’a pas été analysé à la lumière des sciences modernes, comme la linguistique, la sémiologie, la sémantique, l’histoire… Une lecture littérale aboutit donc  à une inintelligibilité du texte coranique.

L’expansion de l’intégrisme

La professeure-chercheuse Houria Abdelouahed aborde la radicalisation d’une façon globale. Elle observe la mutation des sociétés arabes. Elle reconnaît la montée de l’intégrisme et de l’islamisme. Ainsi les prêches et les décrets (Fatwas) des Imans radicaux foisonnent. La musique est interdite (haram). Nous assistons à l’expansion du wahhabisme et du salafisme grâce aux capitaux pétro-dollars. Cet Islam intransigeant, rigoriste a ostracisé le soufisme qui prône l’amour de Dieu. En outre, l’Occident a aidé les gouvernements arabes à écraser la gauche laïque, progressiste, tolérante, plurielle. Afin de déstabiliser l’armée rouge en Afghanistan, les Etats-Unis ont armé les moujahidins : « L’Amérique est très honorée d’accueillir sur son sol d’authentiques combattants de la liberté, dit Rigan à Ben Laden .» !  Les Etats-Unis focalisent sur la géopolitique et sacrifient les acquis sociaux, la liberté des peuples. Les analyses de l’auteure  Houria Abdelhouahed  sont percutantes. Elle les actualise, les rectifie.

La femme arabe

A la fin de son ouvrage, l’universitaire évoque les confidences de ses patients traumatisés par la violence.  Devenant le réceptacle d’une parole crue, brutale, indigeste,  elle est sensible à leur douleur, à leur souffrance.  Submergée par leurs révélations, elle est touchée par la cruauté de la guerre. Cette  guerre en Syrie engendre une grande souffrance qui déborde les capacités intégratives mêmes de l’analyste. L’auteure manifeste une  puissante force d’analyse, de lucidité. Elle dénonce l’archaïsme et l’obscurantisme qui dénient les acquis du féminisme. Il est important de remercier les éditions Antoinette Fouque  qui donnent la parole aux femmes arabo-musulmanes  luttant pour la liberté, l’équité et l’égalité. Le combat de la femme arabe est double. Elle lutte pour le féminisme et pour la laïcité. Ces deux combats sont indissociables. La domination patriarcale est sacrée, enracinée et dominante dans la société arabe.  La femme arabe doit donc  bénéficier d’une tribune pour clamer sa liberté et revendiquer ses droits. Les femmes arabes reconstruisent ce que les hommes détruisent. Elles cicatrisent les plaies, apaisent les âmes brisées et chantent l’hymne de la vie.

1 Commentaire

  1. BEYLOT (COMBRY)

    Merci Elias.
    Votre commentaire correspond tout à fait à mes intérêts et préoccupations. J’apprécie vraiment votre analyse d’un livre que je vais essayer de me procurer.
    Encore un grand merci. Suzanne ( je connaissais Annie il y a longtemps)

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