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Clit Révolution. Manuel d’activisme féministe

19/04/2020 | Livres | 0 commentaires

Clit Révolution
Manuel d’activisme féministe

Sarah Constantin & Elvire Duvelle-Charles

Illustré par Alice Des

Des femmes Antoinette Fouque (2020)

 

 

Par Annie Forest-Abou Mansour

 

La condition féminine

 

image clit.jpgLa condition féminine actuelle est encore, en ce début de XXIe siècle, tributaire d’une idéologie mysogine plus ou moins consciente qui joue sur la vie personnelle, psychologique, sociale et professionnelle de la femme. Pourtant dès le XIXe siècle des luttes féministes se sont organisées en France et Outre-Manche : « Olympe de Gouges (…) pionnière du féminisme en France », Flora Tristan …. Au XXe siècle, le MLF, « fondé notamment par Antoinette Fouque, Monique Wittig et Josiane Chanel », est créé en 1970, « Le See Red Women’s Movement émerge à Londres en 1974 » afin « de combattre l’image négative et sexiste réservée aux femmes dans les publicités et les médias ». Actuellement, des femmes agissent dans le monde entier, aux Etats-Unis, au Chili, en Turquie, en Crimée, en groupes ou seules au péril de leur vie parfois comme l’Egyptienne Aliaa Elmahsy. Malgré de nombreuses avancées, des clichés et des préjugés hantent toujours les esprits et les comportements. Des ouvrages comme celui de Sarah Constantin et d’ Elivre Duvelle-Charles sont donc d’une grande utilité pour donner des clefs aux femmes afin de leur permettre de s’épanouir et de vivre sans contraintes ni tabous, comme les hommes.

 

Clit Révolution. Manuel d’activisme féministe de Sarah Constantin et d’ Elvire Duvelle-Charles, ouvrage grand public s’adressant à toutes et à tous « de 12 à 121 ans », traite du féminisme sous un angle original et novateur. Tout en donnant une information diachronique sur le féminisme, il est chargé de conseils pratiques pour lutter efficacement contre les discriminations faites aux femmes, les aider à « faire vivre (leurs) idéaux (….) : les luttes contre le racisme, le validisme, la grossophobie, la lesbophobie, la tranphobie, les écocides, le capitalisme… » et à s’engager activement et efficacement.

 

Les clichés culturels

 

Dans un ouvrage bien documenté, les deux auteures, dotées d’une expérience d’activistes, partent d’analyses historique, sociologique, psychologique, du vécu des femmes (« Elvire venait de faire son entrée dans le monde du travail et essuyait chaque jour au bureau des commentaires graveleux sur son physique (…) ») et de nombreux échanges sur les réseaux sociaux. Elles montrent le diktat conscient et inconscient du masculin sur le féminin véhiculé à travers des gestes, des attitudes, des images, des discours.

Dès la naissance, la crèche et la maternelle, les fillettes sont victimes de discrimination. La mode influence la représentation que les enfants ont d’eux-mêmes : « Dès la petite enfance, on nous fait comprendre que les qualités suprêmes pour une fille sont d’être ‘jolie, coquette, amoureuse et mignonne’, et pour les garçons ‘fort, vaillant, rusé et déterminé’, si l’on en croit les mots inscrits sur des bodies pour bébés Petit Bateau en 2011 ». Les enfants intériorisent les stéréotypes sexuels qu’ils reproduiront plus tard. De même, la représentation de certains enseignants n’est pas la même pour les petits garçons et pour les petites filles. Dès leur plus jeune âge, on impose aux fillettes de s’adapter : « Nous avons même reçu le témoignage d’une mère dont la fille, en maternelle, avait l’obligation de porter un short sous sa jupe ‘parce que les garçons soulèvent les jupes des filles’ ». Dans certains établissements scolaires, les filles doivent s’habiller, (selon des critères moraux machistes) « correctement » : pas de jupes trop courtes, pas de décolletés plongeant, mais aussi pas de robes longues considérées comme un signe religieux ! Les shorts qualifiés « d’impudiques » risquent de « perturber et déconcentrer les garçons » ! Ces tenues jugées « indécentes », sont même pour certains des « appels au viol ». La femme, stigmatisée, instrumentalisée, est, dans cette optique, jugée responsable des agressions sexuelles qu’elle peut subir alors que le responsable est l’agresseur. La violence sexuelle est non seulement banalisée mais aussi niée. Le corps féminin semble démoniaque, diabolique, pour une certaine gente masculine apparemment incapable de gérer ses pulsions. On inculque aux filles l’idée que leur corps est « obscène ». On va en France jusqu’à considérer que montrer sa poitrine est un délit: « La France est le seul pays au monde à poursuivre les activistes Femen pour exhibition sexuelle (…) ». Or un homme faisant son jogging torse nu ne choque personne. Les femmes ont alors souvent une vision négative de leur corps. L’écoulement mensuel est considéré comme sale. Irène, après avoir décidé de se promener avec son pantalon taché de sang explique : « Beaucoup de personnes m’ont accusée d’être sale ». L’attraction et la répulsion se conjuguent, « comme si le corps féminin ne pouvait être autre chose que sexuel et indécent ». Le conditionnement culturel est extrême.

 

« Une boîte à outils »

 

C’est pourquoi dans un premier temps, les auteures apprennent aux femmes à aimer leur corps, à le connaître et à connaître son fonctionnement. Elles les aident à revendiquer leur sexualité, à avoir confiance en elles dès l’école, à s’imposer dans l’espace social. Puis elles leur donnent des outils non seulement pour se construire elles-mêmes mais aussi pour agir : « trouver un slogan », « rédiger un communiqué », « prendre la parole devant les médias », «réagir à une interpellation des forces de l’ordre », « se mettre en lien avec des avocat – e -s féministes »  »… Autrement dit elles leur confient toutes les clefs pour agir efficacement et faire évoluer la société. 

 

L’écriture est une arme

 

Sarah Constantin et Elvire Duvelle-Charles dénoncent avec humour et ironie la domination masculine. L’écriture devient une arme. Elles parodient le langage masculin, non seulement explicitement en donnant à lire la réécriture de l’odieux clip d’Orelsan « Saint Valentin » en « rapp(a)nt des paroles ultra-violentes envers les mecs » où « Mais ferme ta gueule, ou tu vas t’faire Marie-Trintigner » devient « Mais ferme ta gueule, ou tu vas t’faire Jacqueline Sauvager », mais aussi en utilisant un lexique masculin grossier, loin de celui correspondant à l’image de la femme délicate et élégante : « OK : on est toutes des grosses salopes. (…) Montons des gangs de salopes partout où nous passons ! », usant allégrement du verlan : «  la mifa », « Allez, c’est tipar ! », de l’argot : « C’est du bullshit ». Les illustrations d’Alice Des entrent en harmonie avec le lexique des auteures. Elle donne à voir des femmes robustes, puissantes, aux larges épaules, dans une société sexiste où la force et la robustesse s’assimilent à un pouvoir naturel masculin.

Avec leur langage et des dessins ludiques et décomplexés, Sarah Constantin, Elvire Duvelle-Charles et Alice Des, jouant sur des codes génériques habituellement masculins, dénoncent une société phalllocrate et apprennent aux femmes à faire changer les représentations qu’elles ont d’elles-mêmes et de là, leur réalité.

 

Un ouvrage nécessaire

 

L’ouvrage de Sarah Constantin et d’ Elvire Duvelle-Charles, à l’argumentation rigoureuse, bien documenté, bien structuré, limpide, esthétique avec ses titres et des passages calligraphiés en bleu, les illustrations d’Alice Des, humoristiques et décomplexées, aux couleurs franches où dominent essentiellement le rose et le bleu, afin de casser le stéréotype de genres, petit clin d’oeil amusé au cliché « les petites filles en rose, les petits garçons en bleu » se lit aisément. Nous ne pouvons que le conseiller à toutes les femmes et à tous les hommes soucieux de faire évoluer totalement et définitivement la condition féminine et la société. Clit Révolution est un « manuel d’activisme féministe » essentiel.

 

 

 

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