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C’est pas si loin, le Périgord

9/07/2018 | Livres | 3 commentaires

C’est pas si loin, le Périgord       
Dominique Fontana    
Les Découvertes de la Luciole (2018)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

 

    image.jpgDans le  récit au présent,  le plus souvent en focalisation interne,  C’est pas si loin, le Périgord,  Dominique Fontana donne à voir la pluridimensionnalité d’événements quotidiens vécus par quatre personnages qui en rendent compte chacun avec son propre langage, son ressenti, sa personnalité, son passé et son présent.  La voix de chacun se fait entendre révélant sa psychologie et sa façon de percevoir le même événement.

   Tous les quatre se côtoient dans l’école primaire d’une petite ville de province. Edmée, femme de service, observatrice attentive du monde qui l’entoure, Henriette, la directrice, future retraitée impatiente de savourer sa liberté,  Victor, le concierge, ex croque-mort, « un type plutôt bien de sa personne, grand et bien bâti, avec une petite boucle d’oreille et le teint hâlé de celui qui va dès que possible au soleil » selon Edmée,  et Marius, un garçonnet de huit ans, pas aussi médiocre que le croient certains. Les membres de ce quatuor se croisent à l’intérieur et à l’extérieur de  l’établissement scolaire. Leurs pensées, leurs monologues intérieurs  se chevauchent, s’entremêlent dans une espèce de palimpseste tendre, humoristique et ironique. Des fragments de textes  consacrés à chacun de ces  personnages pittoresques  se croisent tricotant leurs pensées et leurs propos. Ces fragments s’assimilent à des sortes de petites nouvelles terminées par une phrase en point d’orgue : « On a le Royaume qu’on peut », « On a les rêves qu’on peut », « On a les enterrements qu’on veut »,  remarque cinglante : « Tu t’es pas ratée dis donc. C’est pour ça qu’ils ne t’ont plus voulue dans ton école de riches ? », « Il sort dans le grand soleil qui l’accueille comme un immonde pied de nez ». Ces chutes constituent non seulement un clin d’œil au lecteur, mais aussi parfois un constat implacable pour le personnage, comme pour Victor dont la mère est enterrée un jour de grand soleil d’août indécent alors que la mort ne demande pas autant d’éclat et de luminosité.

    L’ouvrage, C’est pas si loin, le Périgord,  commence par Edmée : « (…) ce qui lui plaît dans son boulot (…) c’est qu’il ne lui prend pas la tête et qu’elle peut donc se livrer à ses observations sauvages et ses déductions gratuites sans négliger pour autant les toilettes ». Edmée s’échappe de sa vie monotone, répétitive et ennuyeuse en allant se promener hors de son quartier, ouverture pour elle sur un ailleurs merveilleux,  bouffée d’oxygène, rupture dans son quotidien mesquin : « Petit coup de folie qui la grise : elle va se payer le luxe enivrant de marcher un peu plus loin que son quartier, d’arpenter d’autres pavés que les siens, de respirer un autre air. C’est drôle comme de changer un peu d’habitude suffit parfois à se croire en vacances ».  Elle  occupe son esprit  et comble le vide de sa vie en s’occupant de celle des autres,  en effectuant l’état des lieux des salles de classes  révélateur selon elle de l’enseignant « qui y sévit », « des élèves qui l’ont hanté » :  « Elle pourrait faire une thèse sur le sujet ». Elle est toujours en recherche de nouvelles informations. Ses seuls compagnons sont son chat, décrit avec humour comme snob et prétentieux,  prénommé en souvenir d’ « un lointain voyage organisé en Turquie » Mustapha Kemal, et son neveu Baptiste, étudiant  encore en deuxième «  première  année de fac au lieu d’une réglementaire ».   Passionné d’informatique, Baptiste inscrit sa tante sur Facebook  afin de l’ouvrir à des amis virtuels et lui permettre de peut-être rencontrer l’âme soeur.

     Le second personnage, Henriette, la directrice de l’Etablissement scolaire, compte les jours qui la séparent de sa retraite. Mais cette impatiente attente comporte des paradoxes. Elle  la mène à effectuer le bilan de sa vie. Avec amertume, elle « réalise soudain qu’elle n’a rien fait de ce qu’elle s’était promis, petite fille (…) ». La vie a passé, elle a vieilli. La retraite constitue  un passage, l’entrée dans un « nouvel âge » : « ça veut dire quoi, d’ailleurs, entre deux âges ? Assise entre deux chaises, comme elle, entre la vie active qui fait d’elle une jeune encore quelques mois et la vie d’après, où elle côtoiera les mamies et les survoltés du temps libre, puis du temps vide ? ». La retraite est une rupture. Elle  équivaut à un deuil, à une mort professionnelle et sociale. Elle impose l’image d’une personne âgée proche du départ final. Ce constat  effectué,  Henriette  prend du recul, puis décide de  profiter de sa liberté et de vivre selon ses désirs : «Elle, quand la cloche sonnera, la dernière sur son calendrier chamarré, elle va prendre de la hauteur. Elle va prendre l’air. Enfin ».   Une nouvelle existence va s’ouvrir à elle.

    Victor, le concierge complice des enfants avec lesquels il joue au foot durant la récréation de midi, vient de perdre sa mère. C’est l’occasion pour lui de réfléchir au sens et aux valeurs de la vie, de prendre des décisions, de repenser à son passé,  de le comprendre, de chercher à le retrouver, si ce n’est le trouver. Il ose désormais s’impliquer dans la vie et agir.

    Marius, le quatrième personnage, un garçonnet qui, malgré ses difficultés scolaires, est éveillé, attentif, intelligent, ce que son entourage  ne remarque pas d’emblée.  Marius se heurte à des conditions de vie difficiles : une mère, – selon sa sœur Britney,  « un peu schizophrène »,  plutôt bipolaire pour le lecteur – , qu’il comprend avec beaucoup de maturité, un père peu présent et violent, un chien en fin de vie. Marius doit se gérer lui-même. Ce n’est pas aisé pour un enfant de huit ans. Mais peu autour de lui ne le remarquent. Son empathie à l’égard de Lucy, sa perspicacité lui permettent heureusement d’être reconnu.

   Tous les événements se recoupent donc dans l’esprit de chaque protagoniste.  Chacun, suivant son interprétation, son analyse,  son registre linguistique, les fait connaître au lecteur. Lucy, jolie et espiègle fillette rousse,  constitue un lien troublant entre la directrice, Marius et Victor. Le monologue intérieur du garçonnet révèle que la fillette habite « dans un quartier résidentiel », fréquente une école privée, une « école de riches »,  qu’elle est partie « en voyage dans un pays très chaud, avec des cocotiers ».   Cette fillette appartient à un milieu aisé contrairement à Marius,  signalé comme un enfant en danger auprès des services sociaux : « on l’avait (la mère) menacée de placer ses enfants ». Lucy, quant à elle,  évolue dans un environnement  apparemment équilibré, favorisé financièrement et culturellement. Les assistantes sociales n’ont donc pas à s’inquiéter pour elle. Pourtant elle rejoint, en cours d’année,  l’école publique de Marius. Et elle a un coquard à l’œil ! « Elle se cogne beaucoup, Lucy » souligne le narrateur. Le lecteur est alors confronté au non-dit,  au voilé, au sous-entendu. Les questions que se posent les personnages, leur inquiétude, puis leurs agissements  créent un malaise indiquant un dysfonctionnement.  L’ellipse narrative instaure le suspens, un suspens tragique : « Et puis elle parle et le roi Victor, lui, ne dit plus rien. Il y a des mots qui n’en appellent pas d’autres ». Le silence suggestif, les allusions discrètes atténuent la réalité pour lui donner en fait plus d’intensité.

    Dominique Fontana  dans ce roman de la relativité, de la subjectivité, non seulement donne à voir les points de vue de différents personnages banals et attendrissants, mais en même temps, avec tendresse, humour, ironie, elle  porte une réflexion sur les humains,  la vie, le fonctionnement de la société. Elle montre que l’on se fie aux apparences et qu’il n’est pas toujours facile de gratter le vernis superficiel qui recouvre le réel. L’être humain est  souvent prisonnier de ses représentations et de ses préjugés. La complexité, le mystère et la richesse des autres lui échappent. Il ne voit que l’enveloppe corporelle et non l’être. Pourtant en étant moins égoïste, moins individualiste, moins passif, avec davantage d’attention, d’écoute, de bienveillance,  en prenant ses responsabilités, on peut arriver à comprendre  l’Autre et à lui venir en aide.

    C’est pas si loin, le Périgord de Dominique Fontana est un roman, non pas à dévorer, mais à savourer pour goûter la vie de tous ces personnages apparemment insignifiants cependant dotés d’une immense richesse intérieure. Au-delà d’une simple vocation de distraction, ce roman plonge le lecteur dans des vérités humaines d’une grande intensité.

 

A lire aussi :

La Bénédiction des enfants, de Dominique Fontana, Les Editions de la Luciole (2008)                 http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2017/09/07/la-benediction-des-enfants-5978166.html

3 Commentaires

  1. Fontana

    Merci Annie Forest-Abou Mansour pour ce beau texte critique qui rend parfaitement compte de mes intentions quand j’ai écrit mon livre. Je suis ravie d’être si bien comprise.

  2. Fontana

    Un roman qui porte matière à réflexion sur l’idée, le jugement souvent hâtifs que l’on peut avoir sur l’autre.
    A siroter sans modération.

  3. annie

    Un beau roman que j’ai lu et chroniqué avec plaisir et qui mériterait une analyse encore plus approfondie. J’attends votre prochain roman avec impatience.

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