Carnet d’à Dieu, mon amour.
Annie Liu
Editions Littérature ouverte (2014)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Carnet d’à Dieu, mon amour d’Anne Liu se situe entre le carnet de notes, l’autobiographie, le journal intime, « le cahier de mort et d’amour », le récit poétique, réceptacles d’émotions, de sentiments, de souvenirs de moments intensément vécus dans la joie et/ou la douleur.
Anne Liu raconte l’instant où sa vie et celle de son mari basculent douloureusement (« En quelques heures, de silences en paroles, nous avons basculé dans l’angoisse qui coupe la gorge, dans la douleur qui tient éveillé ») à l’annonce de la terrible maladie de Michel, Xiao-Pai, en chinois : « cancer du foie, tumeur de treize centimètres, métastases osseuses ». Aux souvenirs des heures de la maladie et du départ de l’être tendrement aimé se mêlent les temps heureux d’avant la tragique nouvelle, des morceaux de vie passés, lointains : « Tu as donc quitté ton île, ta maison au toit de tôles ondulées » pour venir en France effectuer des études de médecine. Anne Liu narre leur rencontre placée sous le signe de la foi : « Nous nous étions rencontrés à la lecture de la Passion du Christ dans les larmes de Marie ». La foi en Christ, porteuse d’espoir et de joie, les liait, les unissait, les soutenait. Michel, doté d’une grande force spirituelle, était le pilier de la famille : « C’est toi qui nous tenais ». Son départ plonge Anne dans une déréliction totale (« J’ai réalisé que j’étais seule ») comme le soulignent les anaphores et les métaphores de son poème enchâssé dans le récit : « J’ai perdu en te perdant / mon point de repère, /mon ancrage (…) J’ai perdu mon référent, / j’ai perdu celui contre lequel, par lequel, / je vivais. / J’ai perdu ce mur que tu étais, / contre lequel je m’appuyais (…) ». L’amour domine renforcé dans cet accompagnement vers la mort : « Ce qui me reste de très clair et de très précieux, ce qui me reste de ces jours serrés les uns contre les autres, c’est cette clarté entre nous deux, cette tendresse nouvelle. Aucune ombre entre nous. Nous nous sommes demandé pardon, nous nous sommes pardonnés. Nous nous sommes dit notre amour de tous les jours, amour jamais oublié, toujours fort même s’il ne paraissait pas, même si quelquefois nous avions cru le perdre. Lui, ce grand amour, ne cessait de nous tenir, de nous lier. »
Pourtant la narratrice n’est pas dans l’idéalisation naïve. Par moment, elle effectue le bilan de sa relation de couple sans complaisance, n’oubliant pas les difficultés rencontrées : le médecin acupuncteur à l’écoute de ses patients rentrant épuisé le soir à la maison, puis l’irritation, l’agacement dus à la maladie. Anne Liu évoque la vie dans toute sa complexité, sa vérité, sa fragilité.
Carnet d’à Dieu, mon amour est un témoignage d’amour, de confiance en l’Eternité : « Puissé-je la divulguer et la transmettre, cette confiance d’Eternité ». L’écriture fait vivre la narratrice et immortalise le défunt : « Je n’arrive pas à quitter ces lignes qui me rapprochent de toi, qui te font vivre, et qui me font vivre ‘ à reculons’ ». Michel est l’absent intensément présent : « Tu es partout dans la maison, dans la voiture, dans mon cœur. / A chaque instant un objet, une situation, un mot me rappellent ta présence, donc ton départ ». « Tu es là avec la même présence forte ». Dans ce livre d’hommage à son mari, « si lointain et si proche pourtant », empreint de l’espérance de la foi, Anne Liu raconte avec modestie, tendresse, franchise, pudeur son ressenti, des souvenirs, des instants saisis sur le vif. L’émotion, la cruelle douleur de la maladie, (« la corde que le cancer serre lentement autour de nous »), de la mort et la poésie emportent le lecteur l’incitant à réfléchir sur le sens de la Vie et sur les multiples moments qui la constituent, minuscules, mais tellement importants : « de vrais regards, des mots forts, des écoutes inoubliables ».
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