Belle époque
Zabeth Ross
Traduit de l’anglais par Madeleine Nasalik
Editions Robert Laffont (2013)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Zola, point d’intersection du XIXe siècle scindé en deux phases : la première optimiste et confiante dans le Progrès, la seconde pessimiste et spleenétique, n’est pas seulement l’auteur des Rougon-Macquart,il a aussi rédigé des contes, des nouvelles et de nombreuses publications dans la presse. Il a entre autres écrit Les Repoussoirs, nouvelle que Zabeth Ross reprend à sa façon dans Belle époque. En effet elle s’inspire du thème zolien et donne au court texte de l’écrivain un souffle plus ample à la faveur de sa réécriture.
Zabeth Ross plonge le lecteur dans le Paris de la Troisième République, à la veille de l’Exposition universelle, à l’époque de l’édification de la Tour Eiffel, (« La Tour d’Eiffel, encore en construction, se projette dans le ciel »), objet de contestation de la part de nombreux artistes et évidemment des personnages du roman, reflets de la réalité : « La Tour d’Eiffel est une parfaite abomination ». Dans Belle époque, Zabeth Ross raconte l’expérience humiliante vécue par Maude Pichon, une jeune fille de seize ans, ayant fui sa Bretagne natale afin d’échapper à « une vie monotone à la campagne » et à un mariage forcé avec « M. Thierry, le boucher du village », un homme âgé et rebutant. Le seul métier s’offrant à elle est celui de repoussoir. En effet, « les jeunes femmes vêtues en paysanne et débarquées de leur province ne peuvent prétendre à vendre des toilettes à la dernière mode ou des pâtisseries semblables à des bijoux ». Maude Pichon, comme tant d’autres jeunes femmes pauvres et laides, devient donc un faire-valoir, « près d’un joyau issu du grand monde ». Dans la société superficielle et hiérarchisée de la Troisième République, seuls l’apparence, l’argent, la réussite sociale comptent. Le mariage se réduit à une transaction. Les jeunes filles de « bonne famille » doivent, dès qu’elles « font leurs débuts » dans les bals, séduire un mari nanti.
Dans ce roman à la première personne, le lecteur perçoit le ressenti, la révolte mais aussi l’évolution psychologique, intellectuelle, sociale de Maude. Il discerne le regard réducteur que Durandeau, le fondateur de « l’agence de location de femmes laides » et les bourgeois assignent aux femmes soi disant disgracieuses et à la jeune provinciale, regard que progressivement cette dernière va refuser comprenant que les critères de beauté sont subjectifs, que la beauté intérieure est beaucoup plus importante mais qu’il faut être capable de l’appréhender : « J’ai compris une chose qui restera gravée dans ma mémoire : ce qui m’intéresse, c’est immortaliser une certaine forme de beauté (…) une beauté éphémère, la beauté d’une âme, d’une vie intérieure qui se révèle par instants, fugitive, fugace, à ceux qui savent regarder ».
Ce roman, comme la nouvelle de Zola, est une critique de la bourgeoisie de la fin du XIXe siècle, mais aussi de notre société fondée sur les apparences, pour laquelle l’avoir compte davantage que l’être. Bonne lectrice de Zola, Zabeth Ross emprunte aussi à l’écrivain naturaliste quelques procédés. Comme chacun le sait, l’homme est animalisé chez Zola. Philippe Bonnefils n’écrit-il pas dans « Le Bestiaire d’Emile Zola » ( Lecture de Zola), « (…) la fonction sociale perd ses qualités distinctives si on la soumet à l’épreuve du bestiaire. De bas en haut, la société offre le spectacle d’une désolante uniformité » ? Avec humour, Zabeth Ross animalise les différents personnages. Elle transforme M. Durandeau en chien : « M. Durandeau trottine de l’une à l’autre sur ses petites pattes, à la façon d’un épagneul qui aimerait attirer l’attention de sa maîtresse », le regard de Maude est qualifié de « bovin », Agnès, Brigitte et Clémence « font penser à (des) poules ». Les exemples pourraient être multipliés. Le lecteur ne peut que regretter de lire une traduction aussi aboutie soit-elle. Rien ne vaut l’analyse d’une écriture dans sa langue d’origine.
L’influencezolienne agrémentée d’une pincée d’optimisme à la fin de Belle époque a contribué à la naissance d’un ouvrage plaisant et émouvant, bonne critique d’une société valorisant l’argent et les apparences, excellente réflexion sur le regard que les êtres portent sur le monde et sur l’Autre.
0 commentaires