Beau à vomir
Julien Burri
Bernard Campiche éditeur (avril 2011)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
La citation extraite de Belle du Seigneur (« Beau à vomir. Visage impassible couronné de ténèbres désordonnées. Hanches étroites, ventre plat, poitrine large (…). Toute cette beauté au cimetière plus tard, un peu verte, ici, un peu jaune là, toute seule dans une boîte disjointe par l’humidité ») que Beau à vomir de Julien Burri porte en épigraphe n’a rien de gratuit. Elle instaure le ton de l’ouvrage. L’ombre d’Albert Cohen plane sur l’univers ambivalent de ce recueil de nouvelles partagé entre la lumière de la beauté et du désir et l’ombre tragique du destin. Une constante dissonance entre le rêve, le désir, la recherche de la Beauté et l’amère réalité mortifère habite les récits et concrétise l’oxymore foudroyant « beau à vomir ». Ces nouvelles à chutes, chutes brutales, inattendues et le plus souvent pessimistes, ces véritables petits poèmes en prose aux mots coruscants génèrent l’esthétique du récit, transfigurent le réel : la chambre de Maman Madalina devient une appétissante et gigantesque pâtisserie baroque («… la pièce est colonisée par des gâteaux en massepain en forme de pavillons chinois, de cathédrales gothiques et d’autres fantaisies, tous recouverts d’un glaçage qui imite un manteau de neige… »). Mais cette beauté n’est qu’apparence et brutalement le lecteur sombre dans l’horreur. Une fois encore la mort l’emporte sournoisement : une mort qui n’est pas décomposition, mais composition architecturale, mets soigneusement préparés, apparemment savoureux qui suscitent après la lecture de la phrase finale : Maintenant, il faut manger Maman, pour lui faire honneur » la répulsion, le dégoût, l’horreur.
La beauté éblouissante de Ralph, être évanescent, inaccessible, qui suscite aussi bien le désir des femmes que des hommes, les chansons rythmées de Madonna, fils conducteurs reliant toutes les nouvelles, n’arrivent pas à effacer un message implicite déceptif : l’incompréhension entre l’homme et la femme, (à son épouse « debout devant lui, nue et parfumée » Pascale jette pour « l’anniversaire de leur vingt ans de vie commune » (…) : « Je ne t’ai jamais désirée ») la médiocrité de l’existence, en l’occurrence de Louise, simple petite coiffeuse désireuse de devenir actrice, et surtout le tragique de la vie faite d’abandon, de solitude et dont l’issue est irrémédiable.
Beau à vomir est un ouvrage magnifiquement écrit, travaillé, structuré, plein de contrastes et d’effets de surprise pour le plus grand plaisir du lecteur qui ne sort pas indemne d’une telle lecture.
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