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ANSELME

7/07/2015 | Livres | 4 commentaires

Anselme
Mathilde Arrigoni
Editions Rafaël de Surtis (2015)   
Collection : pour une Fontaine de Feu

 (Par Annie Forest-Abou Mansour)

     image anselme.jpegAnselme   de Mathilde Arrigoni : une miniature délicate  singulière, émouvante  à l’écriture poétique, enchanteresse  et flamboyante.   Apparemment  structuré  et classique avec un prologue et  un épilogue, Anselme  est un ouvrage moderne, original,   doté d’une grande liberté  de forme et d’écriture avec des  récits, des lettres, des lambeaux de poèmes  et surtout  des discours dépourvus de ponctuation. Cette absence de signes typographiques entraîne une certaine ambiguïté du sens et par conséquent  une richesse d’interprétation, concrétisant la perte de repères, le flux d’idées, de sensations, d’émotions, une introspection sans fin.  Elle concrétise l’angoisse du personnage  en rompant les règles sécurisantes de la grammaire, en supprimant les balises accompagnatrices de la lecture.  Le lecteur suit les vagabondages  de la voix d’Anselme,  ses phrases inachevées  (« je suis resté enfermé dans ma chambre ne descendant plus jamais m’attabler face à la fenêtre d’où »),  sa vision personnelle du réel. Il  erre dans les pensées, les ressentis, les émotions, les obsessions souvent mortifères  d’Anselme,  peintre schizophrène, amoureux déçu, interné pendant un  temps dans un asile psychiatrique, puis isolé dans une masure à la campagne. Les questions assaillent le lecteur : les propos d’Anselme sont-ils conformes à la réalité ? S’agit-il d’hallucinations ? Contrairement aux  romans  traditionnels, aucun narrateur ne guide le lecteur, ne commente les événements. Le narrateur du prologue ne peut que dire : « D’Anselme je ne sais rien que la douceur étrange de son dernier tableau ».

    Le livre introduit le lecteur dans une conscience déchirée, dans un être tourmenté par  les affres de la création.  L’artiste,  doté d’une intelligence et d’un univers intérieur supérieur à ceux du reste des humains,  (« je suis très supérieur à l’humanité en général et en particulier »), incompris du commun des mortels,  « voi(t) des choses que les autres ne voient pas ». Comme le « prince des nuées » de Baudelaire,  il est irrémédiablement seul, en proie à une intolérable souffrance soulignée par  l’image hyperbolique : « m’abandonner à cette émotion sentir que le cœur se dilate et qu’un jour on le trouvera en mille morceaux sur le canapé de la salle commune éparpillé dans le café renversé ». Comme Séraphine Louis ou Augustin Lesage,  le peintre dont les esprits guidaient le pinceau, auquel le texte fait référence, Anselme est dépourvu de toute formation artistique. Il observe, (« J’avais décidé d’étudier chaque portrait avant de l’exécuter et de m’imaginer quelle vie avait pu façonner chaque regard »),  travaille avec acharnement,  ferveur.  Le divin, le religieux  hantent les propos de ce mystique, de ce médium en  communion avec l’invisible, en communication avec Dieu. Anselme, « passeur de lumière ».    est celui qui fait sortir les êtres de l’ombre en tentant de  dire  l’ineffable,  de montrer l’invisible, l’essence même des êtres et des choses : « Ce que je veux mettre en pleine lumière, éclairer d’un jour crû, c’est la face cachée des choses ». Anselme porte en lui un idéal, la Beauté. Il veut accéder à la perfection : « Je veux l’œuvre parfaite ». Mais donner à voir l’essence des êtres est malaisé, délicat : « Peindre, ce n’est pas difficile. / Saisir les âmes, autrement périlleux ». Pourtant il arrivera à concrétiser la Beauté et la Lumière qui sont en lui dans ses œuvres picturales. Et à la faveur de ses créations, il accédera à l’immortalité : « J’étais seul enfin seul éloigné et parti déjà / c’était la fin / juste / Juste le temps / d’écrire mon nom / clore la boucle, / achever le cercle / vaincre l’éphémère / ne pas disparaître ».

    Anselme, – un homme et un créateur inconnus de tous  dont le lecteur suit pas à pas le voyage intérieur vers la création -, symbolise  la sensibilité artistique et  la solitude inhérente à tout artiste.

4 Commentaires

  1. Ursus

    Excellent commentaire d’un superbe ouvrage. L’écriture d’Anselme est en effet d’une poésie poignante. Un récit proprement in-oubliable par qui a pris le risque d’une lecture intérieure et intime.

  2. Nemours

    L’ouvrage de Mathilde Arrigoni est effectivement un texte très fort. Exceptionnel même, d’un point de vue littéraire aussi bien que psychologique. Il met en abimes, avec une remarquable qualité de forme, l’expérience inouïe d’un effondrement intérieur qui donne le vertige au lecteur. Le personnage d’Anselme me semble moins un « amoureux déçu » (Annie Forest) qu’un être ravagé par l’abandon (ou/et le sentiment de l’abandon) ; une expérience intime dont l’intensité, superbement mise en mots dans les « Lettres à Rachel », plonge néanmoins ses racines ailleurs que dans un simple échec relationnel. Pour Anselme, l’enjeu est existentiel. Il est celui de sa réconciliation avec le monde, comme le montrent, au-delà des affres de la création, les souffrances inouïes qui accompagnent ses tentatives d’un retour à la communion humaine.
    Un mot encore. Je ne suis pas sûr que le terme de roman soit le plus approprié pour situer le genre littéraire de ce si beau texte. Sauf à le rabattre sur l’adjectif « romancé » pour dire la part de fiction qui s’inscrit dans la narration d’une expérience vraie. Je préfèrerais le terme de récit. (J’aime le timbre et la sobriété de ce mot…). Si, ce que je souhaite à l’auteur, elle persiste dans une activité de romancière, elle doit affronter le redoutable défi de la « seconde oeuvre ». Pour son prochain ouvrage, un zeste de scénarisation, la création de plusieurs personnages crédibles, me paraissent des pistes utiles à envisager. Mais j’ai conscience ce de n’avoir vraiment aucun titre à donner des conseils à un écrivain de cette qualité. Et d’avance, je m’en excuse auprès d’elle.

  3. ursus

    En lisant Faulkner (le Bruit et la fureur) je découvre une forte parenté d’écriture entre certains chapitres de son livre et l’ouvrage de Mathilde : phrases demeurées en suspens, pages sans ponctuation, incertitudes sur le narrateur réel à certains moments cruciaux. Tout cela ne suggère pas du tout une imitation servile mais une filiation stylistique aux effets poétiques intacts.

  4. Annie Forest-Abou Mansour

    Bonjour,
    Avec beaucoup de retard, je vous remercie pour vos analyses intéressantes, pertinentes et riches.

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