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Nous colonisons l’avenir

20/03/2023 | Non classé | 0 commentaires

Nous colonisons l’avenir
David Van Reybrouck
Traduit du neerlandais (Belgique)
par Benoît-Thaddée Standaert
Actes Sud (1er mars 2023)

 (Par Annie Forest-Abou Mansour)

David Van Reybrouck : Nous colonisons l’avenir  Un plaidoyer en faveur de la justice climatique

Le 12 décembre 2021, l’essayiste, historien, romancier et dramaturge David Van Reybrouck prononce  une conférence à Pieterskerk, aux Pays-Bas, où ont aussi été invités à différentes occasions « Noam Chomsky, George Steiner, Susan Sontag, Joseph Brodsky, Carlos Fuentes ou Jorge Semprun ». David Van Reybrouck traite de  la situation climatique mondiale catastrophique et tragique. Le 1er mars 2023, son exposé « légèrement actualisé et annoté » paraît aux Editions Actes Sud sous la forme d’un plaidoyer en faveur de la justice climatique,  afin d’oeuvrer pour un monde plus honnête, plus solidaire, intitulé Nous colonisons l’avenir. En effet, le changement climatique actuel, sans précédent, dû à l’homme, entraîne des inondations, des canicules, des incendies, la sécheresse, la famine … dans le monde entier, sur notre unique planète.

Un sombre constat : des modes de vie irresponsables

 Dans son court mais dense plaidoyer, David Van Reybrouck dénonce l’égoïsme inqualifiable, insolent, arrogant des pays les plus riches dépourvus de tout sentiment de culpabilité,  qui ne pensent qu’à la jouissance et au profit immédiats polluant impunément la planète.  Il  compare l’Occident aux pays colonisateurs des siècles précédents. Mais, « le colonialisme s’inscrit désormais dans le temps, et non plus dans l’espace ; le pire n’est peut-être pas derrière nous, mais devant nous. Nous nous comportons en effet en colonisateurs des générations futures. Nous les privons de leur liberté, de leur santé, peut-être même de leur vie – tout comme les colonisateurs l’ont fait par le passé ».  A cause du mode de vie irresponsable des pays riches,  dans peu de temps, l’existence sur terre risque d’être impossible : « Nous sommes à la veille de beaucoup de douleur, de morts et de misère. Du reste en dehors de l’Europe, cette  trilogie funeste se manifeste déjà». Les pays les plus fortunés ne pensant qu’à leur bien-être présent, sans le moindre état d’âme, contribuent à l’anéantissement des pays du sud et  hypothèquent la vie des futures générations : « L’humanité aborde le prochain siècle sans pitié aucune, avec la même avidité et la même myopie qui lui ont permis autrefois de s’approprier des continents entiers ». Avec des mots très forts, il dresse un constat clair et impitoyable : « Nous spolions nos petits-enfants, nous dévalisons nos enfants, nous empoisonnons notre progéniture ». L’être humain, désireux de satisfaire ses besoins immédiats, sombre dans l’égoïsme le plus primaire. Il y a déjà eu cinq grandes vagues d’extinction massive,  toutefois l’immense différence est que la sixième au milieu de laquelle nous sommes est due aux activités humaines. Mais « nous ne sommes pas tous également responsables. Le réchauffement climatique a été et est toujours principalement causé par les pays les plus riches des régions tempérées de la planète, et il affecte principalement les pays les plus pauvres des tropiques ». Chiffres à l’appui, David Van Reybrouck multiplie les exemples : le Mozambique qui émet très peu de gaz à effet de serre a été touché en 2019 par des cyclones affectant « plus de 3 millions de personnes, faisant souvent d’elles des sans-abri », Madagascar a été atteint par de sinistres famines, les vallées du Pakistan, les bidonvilles de Djakarta, ont été noyés par les inondations… Le narrateur dit la terrible et criante disparité entre la vie des enfants des pays du Sud et celle des jeunes des pays nantis dans des exemples tragiquement alarmants et tellement exacts : « Un jeune berger de quinze ans au Tchad a une empreinte carbone de trois fois rien, mais il va voir son pays continuer à se désertifier en raison du mode de vie des garçons et des filles de son âge à Washington, Tokyo ou Amsterdam. Et si une fois que ses chèvres seront mortes de faim et de soif, ce même berger veut se déplacer vers des régions plus tempérées où la chaleur est encore à peu près tolérable la plupart des mois de l’année, c’est un long calvaire de migration, de discrimination et de désintégration qui l’attend. Quoiqu’il fasse, c’est l’enfer qui le guette ». Ce jeune berger tchadien sans avenir à cause de l’Occident s’embarquera peut-être pour une traversée désespérée sur une fragile embarcation et, si la mer ne devient pas son tombeau, il  sera rejeté, méprisé par les responsables de son malheur effarés par une présence « étrangère » sur leur terre.

Des solutions existent

Malgré son très sombre constat,  David Van Reybrouck conserve l’espoir et présente des solutions, des stratégies,  pour contrecarrer la tragédie à venir. Il propose de « réinventer la solidarité mondiale » . Selon lui, un dialogue doit s’instaurer, ce qui évidemment  « suppose une bonne dose d’humilité, de générosité et de tolérance ». Il suggère, entre autres, le « préférendum » (« Un préférendum est un référendum enrichi. Au lieu de répondre par ou par non à une question posée par l’autorité politique, les citoyens sont invités à évaluer les propositions faites par leurs concitoyens (…) chaque votant ayant alors la possibilité de cocher une case pour faire savoir s’il est ‘tout à fait d’accord’, ‘d’accord’, ‘pas d’accord’ ou ‘pas du tout d’accord’ avec chacune d’elles. In fine, il pourrait même indiquer les cinq thématiques qu’il juge prioritaires ») et dans le pire des cas la désobéissance civile. Il montre que cette crise climatique n’est pas une fatalité, qu’elle peut être traitée avant qu’il ne soit trop tard.

L’art de la rhétorique

 Le petit essai de  David Van Reybrouck est  très clair, dense,  richement documenté et son argumentation est rigoureusement structurée.  De nombreux connecteurs logiques marquent la progression de sa pensée, de ses arguments, permettant de les suivre aisément et facilitant ainsi la compréhension du lecteur. Il fait appel tout à la fois à la raison et aux émotions de ce dernier pour le convaincre et le persuader, cherchant à frapper son esprit et son coeur. Son discours repose sur des études et des arguments  scientifiques, s’appuient sur des chiffres vérifiables, sur des exemples précis et concrets. L’essayiste s’implique fortement en utilisant la pronom de la première personne du singulier (« je pense »), mais aussi de la première personne du pluriel s’incluant dans une conscience commune, (« Nous colonisons  l’avenir ») donnant encore plus de poids à ses propos. Il montre que ce qu’il évoque n’est pas une simple vue de l’esprit mais la réalité en s’appuyant sur des faits précis. Il capte l’attention de ses lecteurs en usant de questions rhétoriques, de subordonnées hypothétiques, de répétitions pour marteler ses arguments dans les esprits (« Si nos Etats continuent (…) s’ils continuent à (…) si une agro-industrie (…) si l’offre….. »), de rythmes ternaires lyriques pour émouvoir.

Espérons que l’art oratoire de  David Van Reybrouck, dépourvu de tout esprit polémique, se fondant simplement sur la réalité, fasse réagir et agir, pas seulement les citoyens mais surtout les Etats qui sont les plus responsables, comme certains qui s’imaginent être les protecteurs du monde mais qui, en encourageant les guerres géo-politiques, en sont les fossoyeurs.

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