Le Souffle de l’âme sauvage
Libre comme louve
Parme Ceriset
Edition « Le lys bleu » (2021)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Après son émouvante fiction autobiographique Le Serment de l’espoir. Que la vie souffle encore demain (1), Parme Ceriset offre aux lecteurs un sublime recueil de poésie lyrique, Le Souffle de l’âme sauvage. Libre comme louve. Celle dont la maladie coupa le souffle exprime constamment cette présence invisible, métonymie de la vie, comme ici dans ces deux titres, concrétions essentielles de ses textes et à la fin de nombre de ses vers avec un fréquent usage des points de suspension : pause favorisant le souffle, temps de respiration et de réflexion. Parme Ceriset saisit dans le rets des mots le souffle de la Vie !
L’amour de la Vie
Dans ses poèmes, cris et écrits de l’âme et du coeur, la poétesse se dit, attentive à elle-même, au souffle de ses ancêtres coulant dans son sang (« J’ai aussi sous ma peau les souvenirs des morts qui / crient et me transcendent »), aux voix de la nature immémoriale et féconde, éternel recommencement : « La vie se renouvelle sans cesse »,« Entre les couches de neige sédimentées / Depuis des temps immémoriaux, / Accueillir pas à pas la lente respiration du silence, / Sentir palpiter dans son sang les premiers éclats de / l’aube, / Le souffle de l’âme sauvage, / Ce flambeau mystérieux de la vie (…) ». Dans une alternance de vers libres, courts ou longs, la poétesse célèbre l’existence sauvage venue du fond des âges : le sauvage porteur de vie et de vitalité, de liberté tangible et authentique. La vie venue « des temps immémoriaux » circule à l’intérieur des êtres et du monde, chaîne inaltérable des Créatures, infini du temps. Parme Ceriset, qui a côtoyé la mort, plus que tout autre, est sensible à cette mystérieuse et impétueuse circulation vitale, à sa respiration, à la beauté de l’existence sous toutes ses formes : humaine, animale, végétale. Cette amoureuse passionnée, sensuelle, croque la vie à pleine dents (« Tant de joie dans ces fruits… / Je vais croquer le soleil », « savourer la lumière crue à coups de crocs / Mordre dans les ténèbres (…) ») comme elle la croquera encore lors de son dernier voyage, l’âme désormais totalement libre loin des brimades corporelles : « Mon âme rebelle quittera son ultime carcan / Pour dévorer la Voie lactée … ». Un ardent amour de la vie, une avidité de vivre, l’emportent, lui faisant savourer chaque instant de l’existence. Chaque instant, chaque parcelle de vie, chaque coin de nature sont bonheur, allégresse, beauté. La valse des mots, ballet tournoyant porté par le plaisir de l’écriture, isolant les mots clef, cristallisation de ses pensées essentielles (« sang », « vie », « aube », « libre », « espérance »…), ses clins d’oeil malicieux lorsqu’elle jongle avec les substantifs et les sons (les paronymes « mes anges »/ « mésanges », le groupe nominal, « corps sage ») concrétisent sa joie de vivre, sa confiance en la vie transmise depuis « l’aube des temps ».
Une femme totale
La poétesse est Femme absolue : « Je suis femme… ». Femme–fleur, fragile et forte à la fois : « Une fleur parme dont la seule arme est la passion de / vivre ». Elle, qui a forcé le destin, est toujours confiante en la vie malgré les difficultés : « Oui ma fragilité est ma force et ma force est / l’Espérance ». Partie intégrante de la nature, prenant le passé pour racine, pont entre le passé, le présent et l’avenir, elle est en communion avec la nature. Elle-même fille de la nature, incarnation de cette nature enclose en elle : « La nature coule dans mes veines depuis la première / aube verte ». Femme-louve (« L’esprit de la louve libre »), une part d’animalité l’habite, ce côté authentique, sincère, plein de verve de l’animal : âme sensitive empreinte de tout le vivant gravé en elle, sensations acérées transcendées par l’intellect, l’humanisme et l’art : « J’ai appris à maîtriser / Mes dents de louve, / J’ai la poésie gravée au coeur et la liberté dans le / sang (…) ». Femme libre, elle dépasse ainsi le temps, l’espace et la mort.
Femme unique et universelle honnissant l’hypocrisie, pour qui l’authenticité, la liberté sont fondamentales : « « J’ai la poésie gravée au coeur et la liberté dans le / sang, / J’ai du mal avec les faux-semblants, les griffes de / velours », elle chante la fraternité et la beauté de la différence : « Nous sommes toutes les couleurs de la terre, / L’arc-en-ciel humain qu’enchantent / Des peuplades différentes / D’un même sang dans les artères. / Nos sommes les reflets / D’ébène, d’ambre et d’ivoire, / Les mille nuances nacrées, / La même lueur d’espoir / de l’humanité./ Nous sommes avec nos différences / Unis dans la même chance / De pouvoir exister, respirer, et aimer / Tous les vivants ont au regard / Le même éclat doré, / La même essence rare / Teintée d’éternité ». Humains devenant matériaux et bijoux précieux, parfums suaves, sous sa plume trempée dans le réceptacle de l’amour, de la générosité, de l’empathie. La poétesse est fille et sœur du Vivant en qui elle croit sans toutefois être naïve : « Ma naïveté gît depuis longtemps déjà / Poignardée à mort / Dans une mare de sang… ». Son innocence a été assassinée, happée par un réel souvent monstrueux, révoltant et incompréhensible, – Douleur mise en relief par des images hyperboliques –. Cette âme pure, sensible et belle n’est que trop consciente de l’existence de l’hydre pernicieux. Elle n’ignore pas la férocité animale au service de la survie, « Les proies et les prédateurs / Ne sont que lutte pour la survie », la violence aiguillonnant les humains semeurs de mort et de destruction : « L’humain, lui, s’ennuie à mourir / Alors il joue à massacrer / Ses frères en animalité… ». Elle connaît les morsures et les affres de la souffrance, cuisantes embûches semées sous ses pas depuis sa plus tendre enfance : « Je viens vous remercier / Pour tous ces éclats de galaxie. Je les sens palpiter dans mes artères / Entre les cicatrices brûlantes / Gravées en moi par les ronces des chemins, / Lavées par la pluie. / Elle est sauvage mais elle est belle / La vie ». Sa devise semble être : ne jamais renoncer, toujours lutter. Chez elle, la vie triomphe constamment. Sa beauté s’impose malgré les tourments, « La vie saigne dans ces steppes d’outre-monde / Mais tout renaît à l‘aube / Dans la clarté impassible de l’été », dans un éternel recommencement .
Une écriture esthétique et délicate
Dotée d’une extrême sensibilité, Parme Ceriset capte les plus fugitives sensations savoureuses, lumineuses, parfumées, colorées. Sous sa plume, le réel se métamorphose en objet d’art précieux et délicat : « Sur le manteau d’opale des steppes enneigées, / Le vent balaie la poudre des instants. / Le soleil égrène en perles de lumière / La rosée de l’aurore sur les bras vert des résineux ». Les éléments les plus simples, les plus banals, les réalités les plus fugitives accèdent à la pérennité de l’œuvre d’art. La poétesse ne voit pas simplement le réel. Elle en perçoit une image transfigurée par l’art. Dépassant les apparences, elle accède à l’essence des choses, à l’ineffable. Son art poétique, quête de la plénitude de la vie, accorde la permanence à la réalité évanescente.
Les poèmes du recueil Le Souffle de l’âme sauvage. Libre comme louve, expression d’un moi libre et sensible, offrent au lecteur la quintessence de la pensée de Parme Ceriset et matérialisent la beauté de son âme et de son cœur.
https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1947-v3-n2-ltp0931/1019788ar.pdf
Merci infiniment pour cette magnifique chronique qui rend merveilleusement hommage au message que j’ai voulu faire passer à travers ce recueil, à ma conception de la féminité, de la résilience et de la liberté. Vous avez beaucoup de talent pour percevoir et analyser avec finesse l’essence particulière de chaque livre.
Merci infiniment. J’ai éprouvé beaucoup de plaisir à lire votre recueil poétique à l’écriture délicate et esthétique.
La spiritualité au contact du rationalisme. Heureux de voir que d’autres telle Parme mènent ce combat par le truchement de l’art. Un combat rude qui ne doit pas empêcher le dialogue et la main tendue, quitte à courir le risque de se faire mordre la main. Notre morsure spirituelle n’est jamais indolore non plus le cas échéant. Mille encouragements à vous Parme.