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Une leçon de flûte avant de mourir

18/01/2012 | Livres | 0 commentaires

 

Une Leçon de flûte avant de mourir.

 

Jacques-Etienne Bovard      
Bernard Campiche éditeur, 2011
(CamPoche)

 

 (Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

 

 

 

 

Une_lecon_camPoche_vignette .jpgJacques-Etienne Bouvard  dans Une leçon de flûte avant de mourir sonde les âmes et propose une subtile analyse psychologique d’humbles  locataires d’un petit immeuble vétuste de Lausanne sous la férule d’une gardienne, « vieille concierge acariâtre », «caricature de concierge »,  « autoritaire et revêche pipelette ». Le narrateur  observe les  scènes, souvent médiocres et mesquines de la vie quotidienne de ces  modestes personnes, révélatrices d’une souffrance intérieure cachée sous des dehors agressifs et sournois.  Mais emporté par le maelstrom de la vie, il ne sait voir cette intériorité brisée, ce qu’il regrette  maintes fois  lorsqu’il écrit ses souvenirs : « mais si j’avais daigné la regarder mieux, si j’avais vu sous la caricature le personnage… ».    « Oui, j’aurais dû mieux regarder ce visage creusé, blêmi de colère, mais plus encore d’angoisse… ».   Ces multiples interventions du narrateur sont autant d’indices annonciateurs de la fin, laissant pressentir la tragédie finale.       
Jacques-Etienne Bouvard se sert de toutes les couleurs de la palette du peintre, de toutes les gammes du musicien, de  tous les relents  de la misère (« « L’odeur, dès l’entrée, m’a pris à la gorge, assaut de remugles plutôt, mazout, sueur, huile à frire, tabac froid, vieux pipi mêlés. L’odeur de la saleté, puis  leur aura de miséreuse solitude… »)  pour  donner à voir, à entendre et à sentir la  vie de ce petit monde, rassemblé dans l’univers clos de ce vieil immeuble. Mais il raconte avant tout l’amitié entre deux êtres, l’un au début de sa vie, un jeune étudiant de vingt trois ans, Gilles Vanneau  (« moi j’avais la vie devant moi »),  l’autre à la fin de la sienne :  un vieillard de quatre-vingts ans, Edouard Laroche,  tous deux unis par la même passion,  la musique, esquive mélodieuse et onirique  à la petitesse  du quotidien. Echappatoire sublime,  « sempiternel combat de l’art contre les contingences quotidiennes, de la grandeur contre la mesquinerie »,   lutte « entre un Guadagnini et  un balai de cuisine » qui donnent un sens à la vie du jeune homme: «.. . le violon ne quitterait plus ma vie, il en serait même un des piliers… » et à celle du vieillard : « cette espèce de marotte n’est rien d’autre pour moi qu’une question de vie ou de mort ».

 

En effet, dans Une leçon de flûte avant de mourir,  la solitude des personnes âgées (« le vieil homme si seul. »), le sentiment de  leur inutilité, (« … l’insurmontable, le dernier cercle du désespoir, c’est le sentiment de n’être plus d’aucune utilité, pire encore de n’avoir plus aucun sens pour personne… »), l’angoisse de se retrouver dans un « home », antichambre de la mort, montrent de façon émouvante la vieillesse vouée à une inéluctable et intolérable finitude imminente, à un  temps inexorablement compté opposé à la jeunesse et à tous ses possibles. Une jeunesse capable cependant  d’apporter de la joie, du bonheur, de l’espoir à un être en fin de vie : « Tu me métamorphoses, Gilles ! »

 

L’écriture vivante, rythmée,  musicale  de Jacques-Etienne Bouvard mêle tendresse, pathétique et humour.  Le vocabulaire esthétique de la musique créateur d’un univers harmonieux et intemporel, de « jubilation d’aisance, de plénitude retrouvée »,  se conjugue  à la langue familière et humoristique de la gardienne : « …elle avait bien vu de l’air dans la vie, ses enfants partis au diable vert, sans compter que la santé allait plus trop fort, des trucs au cœur, des extrabristols, il avait dit le docteur… ».  Sous la plume du narrateur les sensations auditives deviennent tactiles  (« sa voix de clarinette glacée »), les couleurs vibrent et les émotions emportent le lecteur.       

 

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