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Trésor

29/09/2016 | Livres | 0 commentaires

 

Trésor
Alecia Mckenzie 
Traduit de l’anglais par Sarah Schler    
Edition Envolume (2016)     

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

     Image trésor.png Dulcinea Evers, jeune peintre jamaïcaine à la mode à  New York,  surnommée Trésor par tante Mavis,  vient de rendre l’âme. Auparavant, elle avait demandé à son amie d’enfance Cheryl de rapporter la moitié de ses cendres aux USA. Peu à peu, dans le roman Trésor d’Alecia Mckenzie,  le lecteur  découvre à travers un flux de souvenirs et de dialogues avec la défunte,  une émouvante histoire  à la narration novatrice,  pleine de fraicheur teintée d’humour.

    En effet, Trésor  est un ouvrage très original s’éloignant de la forme classique du roman. Dès la première ligne, la situation d’énonciation bouscule les conventions romanesques : « Cho, Dulci, tu ne pouvais pas te faire enterrer comme tout le monde ? ».  Dans ce roman  presque entièrement rédigé à la deuxième personne du singulier,  les voix de personnages pittoresques, –  Cheryl, l’amie d’enfance,  Desmond Evers, le père,  Carlton Beckett, l’ancien patron et amant, Josh Scarbinsky, historien d’art et époux … – ,  s’entrecroisent,  tricotant passé et présent, dialoguant avec feue  Dulcinea Evers,  la belle « artiste caribéenne hors pair ».  La narration explosée, dépourvue de linéarité propose le point de vue valorisant de ceux qui ont aimé la sublime et flamboyante jeune femme, mais aussi le regard jaloux de Susie, « la responsable de la rubrique art et culture » qui, cependant, finira  par admettre les qualités et  la valeur de Dulci.

    Absente  intensément présente, Dulci, perçue en creux, se révèle être une personne libre, pleine de fougue, caractérisée par son amour de la vie concrétisé par son rire éclatant : « Quelque part, Dulci, je t’entends rire aux éclats », « Ton rire résonnait dans toute la maison ». La référence constante à son rire lumineux  reflète sa joie de vivre, son bonheur de créer.  Dotée d’une forte personnalité et d’une fascinante beauté (« Tout le quartier s’accordait à dire que si tu avais hérité du tempérament et de l’orgueil de ton père, tu avais également la chance de posséder la beauté de ta mère, sa peau de miel au teint parfait, ses cheveux ondulés et ses grands yeux en amande. », « Tu marchais devant moi et, très vite je me suis trouvé fasciné, hypnotisé par cette démarche que je n’avais jamais vue nulle part ailleurs »), Dulci séduit tous ceux qui la rencontrent.  Ses peintures colorées (« Tes tableaux (…) dégageaient une énergie sauvage et malicieuse, avec leurs lignes audacieuses et leurs couleurs éclatantes. Et les regardant, j’ai pensé à Frida Kahlo, à Moro et à cette artiste indienne, Amrita Sher-Gil ») enthousiasment connaisseurs et néophytes.   

    Au-delà de donner à voir Dulci, de perpétuer sa mémoire, cette série de points de vue révèle aussi ses proches, leur personnalité,  leurs secrets, leurs non-dits qui troublent les relations.  Les personnages découvrent leur passé familial, les liens qui les unissent grâce à leurs dialogues avec la défunte, leurs monologues intérieurs. Ils auscultent leur ascendance, comprennent leurs origines parentales, ethniques, disent la fierté de leur héritage familial : « La mère) descendait des Marrons et aimait  se vanter de la ‘pureté’ de son sang africain ». Les fragments de souvenirs et de passé se collent les uns aux autres  reconstruisant la mémoire d’une famille et d’une communauté. Une île, ses ouragans, la solidarité de ses habitants après leur terrible passage, les crises politiques et leur violence,  le racisme subi par ceux qui s’exilent (« Je ne pensais pas (…) que les gens seraient si désagréables, disait tonton Selwyn. Mes collègues font semblant de me sourire pendant la journée, mais quand je les croise dans la rue le soir ou le week-end, ils passent à côté de moi comme s’ils ne m’avaient jamais vu de leur vie ») jaillissent en toile de fond, donnant à voir et à comprendre la  réalité de la  lointaine JamaÏque.  

    Trésor est un roman  polyphonique d’une grande richesse et d’une grande modernité : comme  dans LE QUATUOR D’ALEXANDRIE de Durrell où  différents personnages  prennent la parole ou  dans La Modification où Butor  utilise la deuxième personne du pluriel, la narration d’Alecia Mckenzie est novatrice.  Alors qu’elle part d’un fait cruel,  Alecia Mckenzie ne tombe jamais dans le pathos. Elle trouve toujours la bonne distance dans sa narration, glissant ça et là des touches d’humour. Dans une langue colorée et poétique, l’auteure emporte le lecteur vers un ailleurs plein de vie et de dynamisme tout en le faisant réfléchir à des problèmes sociétaux.

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