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Tout ce temps perdu se cache

16/09/2020 | Livres | 0 commentaires

Tout ce temps perdu se cache
Poésie
Alain Flayac
Edition Atramenta (2020)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

Un lyrisme moderne

Tout ce temps perdu se cacheAlain Flayac vit et dit le monde poétiquement confiant dans ses poèmes les brûlures intenses de son ressenti impétueux (1), dénonçant les atteintes contre la nature, contre les « exclus du temps qui court », révélant sa sensibilité exacerbée, livrant avec verve son amour des mots. Un lyrisme moderne colore ses textes par sa présence constante, sa sensibilité à fleur de peau, son rythme d’écriture très personnel tout à la fois tendre, humoristique et tourmenté.

« Le temps retrouvé »

Dans son recueil, Tout ce temps perdu se cache, caractérisé par l’éclectisme, chacun des poèmes est une histoire, un tableau, un instantané. Les haïkus, les poèmes en vers libres et/ou versifiés, les poèmes en prose, la prose en poème immobilisent le présent, retiennent le temps qui passe, saisissent des moments du quotidien, des émotions, les faisant résonner de façon intense, investissant et pénétrant le lecteur. Alain Flayac donne à voir des successions de moments, des bribes de vécu, – le présent ou des souvenirs – , soumis aux contingences du Temps inexorable. Mais ce temps qui coule, « ce temps perdu » est toujours présent, retrouvé (clin d’oeil à Proust) dans la mémoire, le coeur, les pensées : « Ma vie est suspendue / à un fil à linge / depuis si longtemps, / j’avais à peine vingt ans. / Deux débardeurs, une robe à fleurs, / une jean sans couleur, / trois chaussette taille vingt-deux, / un babygros bleu. / L’image était si parfaite / après ce soir de fête / qu’elle est est restée dans ma tête. / Lorsque j’ai le cafard, /J’ouvre une fenêtre à ma mémoire/ pour qu’elle vienne m’aider / à supporter mon histoire (…) ». Le poème immortalise des lambeaux de vie émouvants et essentiels comme la présence magique d’un enfant dans l’existence d’un homme. Le poète dit l’écoulement temporel trop rapide (« Je n’aurai jamais le temps de planter sérieusement tous mes sentiments dans le coeur des gens »), le temps implacable d’une vie remplie sans qu’on ait toujours conscience de tout ce qui l’a constituée. L’anaphore « J’ai eu le temps » concrétisant la multitude des actes de la vie  : « J’ai eu le temps de regarder la vie en face, de me rendre compte de ma carcasse (…). J’ai eu le temps d’éplucher l’amour et d’éparpiller mon composte, d’accélérer, de ralentir, sans me retourner. J’ai eu le temps de faire et de défaire des nœuds dans mes cheveux. J’ai eu le temps de respirer, de m’étrangler, j’ai eu le temps de ne rien voir venir et de partir ». Le temps, flux impalpable, fuit. Mais le poète par le pouvoir des mots s’en empare : « Encore un jour / où je me débarrasse / du temps qui passe ». Il s’élève même hors du temps pour mieux jouir du moindre instant : « Nous avons fait la même chose que la dernière fois pour nous prouver que le temps n’existe pas ».

Le pouvoir des mots

Les mots, outils du poète, sont des ponts entre son univers intérieur et celui du lecteur. Les mots sont là, messagers d’états de conscience, d’émotions, de sensations, traces de la souffrance et de la joie, consolateurs, (« (…) à l’abri des mots cicatrices (…) »), comme le sont aussi la musique (« Il n’y a que la musique pour sauver des idées noires »), la tendresse, l’amour : « J’ai vu des fleurs dans tes yeux, de celles qu’on ne cueille pas mais qu’on garde au fond de soi. Des fleurs qui donnent la foi et qui ne faneront pas dans le coeur de ceux qui les voient. Ecarquillés par leur majesté, mes yeux finissent par se baisser pour prier de les recroiser » ». Dans ce court poème d’amour, en prose, blason de la femme aimée, construit sur une assonance en « oi », échos joyeux dans la mélancolie, les yeux de l’amante sont un microcosme floral quasi sacré imposant le respect.

Des mots simples, parfois familiers, s’emparent de la banalité quotidienne lui restituant une saveur, une couleur que le voile de l’habitude avait terni. L’apparente simplicité de certains textes cache un immense travail sur la recherche de la précision lexicale, du rythme, des sons, – tricotant assonances et allitérations -, (« Qu’un nœud se noue / qu’un nous se loue / qu’un vœu se voue / qu’un clou surtout / qu’un flou du cou (…) » , des jeux de mots (« Je chante sans arrêt / contre le bruit des vils », « Il n’y a pas de réponse à ce genre de ‘pourquoi’, juste la douceur qui se laisse à voir », « Il fallait que j’écrive / à l’ancre qui retient / tout l’amour qui salive / quand votre vague vient », « Les oiseaux dessinent le grand vide / du vol des amours avides ». Alain Flayac joue sur l’ambiguité du lexique, son sens, son orthographe « Fort Homme », crée des mots (« coquelimots »). Dans une espèce d’inventaire à la Prévert, il jongle avec l’énumération : « Forum social / Forum des pierres tombales. / Forum de l’éducation nationale, / Forum de l’illusion (…) ». Il détourne et renouvelle les clichés : « L’échappée laide ». L’écriture ludique du poète brise la banalité ordinaire, transfigure le réel le faisant accéder à la Beauté : « J’ai vu la dame qui tient / la mercerie cueillir / des boutons d’or / dans une prairie ».

Comme la langue, la structure du recueil d’Alain Flayac est sculptée avec finesse. Des liens se tissent entre ses poèmes. Bien que séparés par les blancs de la mise en page, ils dialoguent entre eux créant une sensation de durée ténue. Le sourire et l’ange, les sourires, les regards se tendent la main d’un texte à l’autre, passage subtile d’un poème à l’autre.

Alain Flayac, poète sensible, libre, plein de fantaisie, fait éclater le caractère conventionnel de la poésie, bouscule le langage, sans se prendre au sérieux. Dans la lignée de Rimbaud et de Prévert, Alain Flayac est un Poète à  connaître et à reconnaître.

(1) Rage de mots

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