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Terre rare

27/02/2021 | Livres | 0 commentaires

Terre rare
Roger Kantin
Editions Baudelaire (2020)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

Terre Rare (Roger Kantin)Terre rare, un titre interpellateur ! Terre rare, terre exceptionnelle, unique, précieuse, enchâssant les « terres rares », matières minérales éponymes de l’ouvrage de Roger Kantin. Terre rare, un appel au réveil des consciences : notre maison commune extraordinaire est malmenée.

Un scientifique emporté par les événements

Au cœur du quartier latin, à l’institut océanographique, l’éminent professeur Aristide Zacarias, « marié, père d’un enfant de 10 ans », fervent défenseur de la nature, présente un exposé sur les « terres rares » en milieu maritime. Les terres rares, comme «  le gadolinium, le praséodyme, le samarium »…, sont des métaux aux qualités exceptionnelles qu’il s’agit d’exploiter tout en protégeant l’environnement. Or durant le temps de pause précédent les échanges avec le public, le professeur est enlevé. Pendant que monte l’angoisse à Paris, qu’une enquête est menée par la police et « trois représentants d’Interpol arriva(nt) de Lyon », le professeur Zacarias se réveille dans un confortable et luxueux jet privé à destination de Shanghai. Une charmante hôtesse de l’air, Li Weï Fang, prend soin de son confort. Arrivé à destination, il est conduit dans une grande bâtisse où « tout inspir (e) la détente, le bien-être ». Aristide Zacarias, considéré par ses ravisseurs comme « un maillon important pour (…) prendre des décisions », devra effectuer un travail de recherche avec « M. Zhao, géologue spécialisé sur les terres rares » et Li Weï qui est en réalité une brillante doctorante en océanographie biologique. Progressivement une complicité s’instaure entre la jeune, jolie et douée scientifique et le professeur, essentiellement lors de promenades matinales régénératrices dans Shanghai.

Alors que sa mission est terminée et qu’il doit regagner la France, le professeur est à nouveau enlevé ainsi que Li Weï. Mais cette fois, l’enlèvement est le fait d’Interpol qui l’a retrouvé et le rapatrie en France. Le retour, cependant, n’est pas aussi agréable que prévu, Aristide est accusé de « complaisance avec des représentants de la République Populaire de Chine, de transfert d’information à caractère confidentiel et d’absence de contacts avec les autorités locales, en l’occurrence le Consulat de France à Shanghai. ». De surcroît son épouse, « une avocate spécialisée dans le droit international dotée d’un tempérament impétueux », le soupçonne d’avoir eu une liaison avec la jeune Chinoise.

Après de nombreuses péripéties, des rebondissements, de nouveaux enlèvements, les constantes apparitions surprises de Li Weï là où se trouve le professeur, des recherches sur les terres rares, sur l’antigravitation, un voyage dans le futur dans le Pékin des années 2050, auquel personne ne croit en France, Aristide n’est plus en odeur de sainteté dans son pays. La police, les scientifiques, sa hiérarchie, ses collègues, ses amis se méfient de plus en plus du chercheur manipulé par les événements et bien impuissant à prouver sa probité et sa bonne foi. Plus personne ne lui accorde confiance : « On ne lui attribuait plus de doctorants car sa hiérarchie ne lui faisait plus confiance ».

Un roman multiple

A mi-chemin entre l’essai scientifique et la littérature, Terre rare de Roger Kantin, – qui a fait des études dans le domaine de la biochimie et s’est ensuite réorienté vers l’océanographie -, mêle l’érudition et l’invention. Il tricote les genres et les registres : suspense, science-fiction, roman policier, roman d’amour, argumentation directe et indirecte, humour, angoisse… embarquant le lecteur dans le présent et dans un futur pas aussi lointain. Le suspense haletant et bien mené de l’intrigue policière teintée d’espionnage rompt l’aridité des analyses et des explications scientifiques.

Ce roman avertit, de façon ludique mais aussi exigeante, les citoyens sur les enjeux et les conséquences du bouleversement climatique en s’appuyant sur des faits politiques, sociologiques, climatiques réels, en proposant des études scientifiques solides, bien documentées, en faisant référence à des personnalités publiques politiques et scientifiques ( Meng Hongwei a présidé Interpol jusqu’en septembre 2018. Kim Jong Yang Sud Coréen, lui a succédé en novembre 2018 »), à des organisations connues comme le CERN à Genève… Cet ouvrage montre la nécessité pour les grands de ce monde de s’unir en faveur de la planète en pleine mutation à cause de l’Homme. Le capital naturel n’est pas immortel. Après avoir été exploité, maltraité, pillé (« surexploitation des ressources, (….) pollution des eaux, des sols, de l’air (….), fabrication de substance biocides (…) ») par des activités humaines souvent irresponsables et égoïstes, il est désormais impératif de le protéger et « de placer l’écologie au coeur des politiques ». En effet, les conséquences de l’activité humaine sont innombrables, catastrophiques et irrémédiables : disparition de la faune, de la flore, des coraux dans les fonds marins, « réveil des volcans, (…) tremblements de terre, (…) tempêtes tropicales, (…) cyclones (…), hivers polaires (…) étés caniculaires / famines (…) pandémies dues à des virus, des bactéries (….) », cancers, maladies auto-immunes…. Le narrateur effectue un bilan tragique de la situation implicitement par le biais de descriptions précises et réalistes et explicitement par l’intermédiaire d’analyses scientifiques évoquant l’épuisement des ressources, l’effondrement de la biodiversité, annonçant, comme le sait le lecteur conscient et informé, les migrations climatiques qui se conjugueront à des crises sociales, humanitaires, créant des conflits (« conflit pour l’eau, conflit pour la nourriture, conflit pour l’habitat ») et de nouvelles inégalités. Mais jamais l’ouvrage ne sombre dans le pathos, l’humour casse le tragique (« on ne peut pas te laisser tout seul dans un avion, à ce que je vois. Tu descends en marche, fit-elle en faisant allusion à son escapade ») et l’espoir demeure.

Porter un regard autre sur le monde

 « Le temps de la science et celui de l’application industrielle (étant) des métiers différents », la bureaucratie étant écrasante en Occident, ce dernier a accumule du retard dans de nombreux domaines. Mais des grandes puissances comme la Chine, la Russie, l’Inde, les deux Corées qui coopèrent désormais, sont plus performantes. Conscientes de la situation catastrophique de la planète, elles agissent efficacement en faveur du devenir collectif. Elles unissent la sagesse orientale, – s’intéressant à « des forces plus surnaturelles, immatérielles », plus empathiques -, au rationnel, et elles mettent en place « une nouvelle manière de penser, plus solidaire ».

Terre rare de Roger Kantin informe le lecteur de façon rigoureuse, documentée et scientifique tout en le divertissant. Ce roman possède la solidité et l’exactitude des publications savantes sans en avoir l’austérité. Il va même au-delà. Il informe non seulement sur la situation catastrophique de notre planète rongée par un cancer au stade désormais métastatique et essaie d’en donner, avec lucidité, une vision globale par l’intermédiaire d’Aristide, le personnage principal, Ulysse des temps modernes, qui parcourt le monde présent, – la France, la Chine, la Russie, le Brésil -, et aussi le monde futur dans lequel émergent les conséquences dramatiques du changement climatique actuel. Mais progressivement ce roman dépasse l’analyse froide du scientifique en montrant que le changement écologique commence par le changement du regard que l’on porte sur soi, sur les autres, sur la nature, sur le monde, que nous devons évaluer la portée de nos actes au-delà de nous-mêmes, en étant tous solidaires : « (…) la manière de changer le monde, qui doit commencer par accepter de se changer soi-même… et ses habitudes de consommation », en menant une vie respectueuse du vivant et en remettant l’Homme à sa place. Toutes les dimensions politiques, structurelles, écologiques mais aussi existentielles, spirituelles sont à prendre en compte. Il faut garder confiance et espoir. Les jeunes générations « qui ont des idées que nous n’avons pas. / (…) construction de villes adaptées pour accueillir (l)es populations, des immeubles avec de la végétation pour piéger le gaz carbonique (…) » sont porteuses de solutions et augurent d’un avenir autre.

Terre rare de Roger Kantin est un intéressant et original ouvrage. Il concilie la fougue de l’imagination, la froideur et la lucidité du raisonnement scientifique et la bienveillance de celui qui croit, malgré le désastre écologique présent et à venir si rien n’est fait, en l’humain susceptible de relever tous les défis. Terre rare est un vibrant appel « au réveil des consciences »

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