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Soleil orange

7/09/2022 | Livres | 2 commentaires

Soleil orange
Debrair Da Silva
Editions les 3 colonnes (2021)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

Soleil orange - Debrair Da Silva Une plongée dans l’univers bangalais

Membre du Service extérieur brésilien, attaché culturel auprès de l’Unesco à Paris durant six ans, vice-consul chargé de promouvoir la culture en République dominicaine puis au Bangladesh, en Birmanie, aux Emirats arabes unis,  Debrair Da Silva situe l’intrigue de son roman Soleil orange  au Bangladesh dont il connaît de l’intérieur les rouages politiques, administratifs et les affaires d’Etat tenues secrètes, bien énigmatiques pour les Occidentaux. Son roman aux nombreuses péripéties et aux nombreux rebondissements, sans être cependant un roman d’action, plonge le lecteur dans le monde bangalais.

Un univers tout en contrastes

Au sein d’une fiction romanesque, le narrateur au regard aiguisé, emporte son lectorat dans l’univers corrompu des entreprises de textiles montrant, dans des tableaux réalistesle monde du travail et son aliénation, l’exploitation des ouvriers, des enfants, la dangerosité de leur labeur (« … Maxime pénètre au coeur du problème : l’atelier de délavage des jeans. Il voit des enfants de huit à dix ans qui manipulent des produits hautement dangereux. Les odeurs suffocantes des produits chimiques, les résidus des jets de sable sur les pantalons accrochés au bout d’un cône métallique, les évaporations chaudes comme celles d’un sauna de l’enfer, l’aveuglent pratiquement …. »), la précarité de leur vie contrastant cruellement avec celle des  membres des classes aisées et celle de dirigeants mus par la recherche du profit, qui dilapident de surcroît égoïstement et outrageusement  leur immense richesse. Sur le beau bateau de 50 mètres de monsieur Maréchal, « le champagne coule à flots, beaucoup de jolies filles en bikini, de majordomes offrant du caviar et du saumon fumé ». Alors que les uns ne mangent presque rien, les autres se gorgent de denrées onéreuses et superflues. Donnant à voir ces deux mondes opposés, le narrateur dénonce ainsi, sans cependant faire preuve de militantisme,  la corruption, les mensonges éhontés de chefs d’entreprise cyniques, hypocrites, dépourvus de tout humanisme.

Dans cet ouvrage tout en contrastes, l’écrivain immerge aussi le lecteur dans un autre type de société : celui du peuple Mro, « l’une des onze tribus Jumma des Chittagong Hill Tracts », « une minorité  bouddhiste non-pratiquante », une société traditionnelle,  rythmée par le lever et le coucher du magnifique soleil orange, d’où le titre de l’ouvrage,  (« Maintenant, le soleil est au zénith et il est temps de rentrer au village avant la tombée de la nuit »), dépourvue d’artificialité, porteuse de valeurs humaines, respectueuse de l’Autre, de la Vie, « vivant en symbiose avec la nature »Dans cet univers, l’humain est avant tout un être vivant avant d’être une classe sociale, une nationalité, une couleur de peau : »la nationalité d’un individu est une chose et l’habitat naturel de son esprit en est une autre ». C’est une société remplie de sollicitude, de justice, d’équité (« Il attend qu’on dépose la récolte de la journée pour la partager équitablement entre tous »), de paix où toute forme de Vie est sacrée.

Des événements vus à travers le vécu de Maxime

Ces deux univers totalement opposés sont  donnés à voir dans un récit à la troisième personne, soit en focalisation omnisciente,  soit en focalisation interne, à travers les aventures vécues par Maxime Saint-Juste, un jeune bourgeois  d’Aix-en-Provence, « un grand et beau jeune homme aux yeux bleus, à la chevelure blonde ondulée », âgé de vingt et un an.

Après avoir quitté  Aix-en-Provence, où il menait une belle existence avec sa mère financièrement très aisée et leur employée de maison Dolorès, pour vivre quelque temps oisivement des moments festifs à Paris, il décide d’obtenir un travail.  C’est ainsi qu’il se trouve embarqué à Dhaka au Bangladesh pour le compte de monsieur Maréchal, un chef d’entreprise de jeans, désireux de  se  procurer ces derniers au prix le plus bas, « Ton boss veut des jolis jeans pour pas cher, n’est-ce pas ?, » au mépris de toute règle de sécurité, de tout respect de la vie des travailleurs. Un jour, une grève éclate dans l’usine bangladaise  International Textile Factory de Dhaka pour l’obtention d’une maigre  augmentation de salaire. La police charge. Maxime, bien malgré lui, « emporté par le flot d’employés en déroute »,  fuit avec eux et avec la belle et intelligente dirigeante syndicaliste, Samari. Entre temps, l’usine tellement vétuste s’écroule causant de nombreux morts : « L’accident a fait 1135 victimes et blessé 2500 personnes, tous ouvriers du textile ». Zyad, le patron, et Babul, son assistant, quant-à-eux,  ont le temps de fuir avec l’argent. Pour la police et l’armée corrompues, il s’agit d’« un sabotage perpétré par un agent étranger et ses complices bangladais ». Maxime et Samari, coupables désignés, sont recherchés. Une fois arrêtés, ils devraient être immédiatement fusillés.

D’abondantes péripéties initiatiques

Après de nombreux périls et incidents, Maxime et Samari réussissent finalement à atteindre le village Mro où réside la famille de la jeune femme. De nouveaux horizons s’ouvrent alors pour Maxime qui aspirait, plus ou moins consciemment, à une autre façon de vivre, symbolisée par un Vieillard mystérieux  surgissant devant lui de temps à autre : « Tout à coup, son ami le Vieillard arrive dans une éblouissante lumière blanche ». Une fois le village atteint, amoureux depuis le jour où il l’a vue, Maxime  demande  Samari en mariage.

Le récit adopte alors le schéma anthropologique défini par Mircea Eliade.  Après avoir laissé  son univers familial protecteur, Maxime  est confronté à la solitude, puis à la maladie, à la mort.  Il subit un certain nombre d’épreuves, vainc des obstacles qui le font mûrir et évoluer. Il  s’intègre rapidement et aisément à cet univers autre qui devient le sien. Sa mère constate sa totale transformation lorsqu’il lui rend visite  en France : « Madame Saint-Juste a finalement compris que son fils a fait le bon choix, il est devenu un Sage, il a atteint une profondeur spirituelle qu’elle n’aurait jamais pu imaginer ». Soleil orange n’est pas qu’un roman exotique, comme pourrait l’imaginer certains,  c’est un roman multiple : un roman initiatique, un roman sociologique, un roman réaliste teinté de fantastique.

Un roman multiple

En effet, Soleil orange, roman multiple,  est un roman réaliste coloré par moment de fantastique avec l’irruption de l’étrange Vieillard, la métamorphose momentanée du Sage du village en jeune homme  et de celle de Maxime en vieillard (« Soudain, Maxime commence à tourner sur lui-même, prend l’attitude d’un vieillard…. »). Cet ouvrage  possède aussi tout un aspect poétique procuré par des comparaisons et des métaphores concrètes, « une merveilleuse chute d’eau d’une dizaine de mètres de haut. L’eau  (…) forme une traîne semblable au voile immaculé d’une mariée »,  « aussi grande qu’un baobab montant vers le ciel », souvent tissées au contexte local  : « Zyad (…) se tortillant comme un serpent venimeux qui essaie d’endormir sa proie » . L’imagination et la culture de l’écrivain, avec ses nombreuses références littéraires (référence à Molière), picturales (référence à Claude Monet, Théodore Géricault, Vincent van Gogh…),  accordent une profondeur supplémentaire au récit.

Tissant l’intime et le sociologique  par l’intermédiaire des  expériences enrichissantes  de Maxime, Soleil orange  véhicule de nombreuses connaissances et informations sur le Bangladesh,  offrant un dépaysement géographique, culturel, social, proposant une réflexion de type sociologique, économique, politique, ethnographique, écologique destinée à faire avancer les mentalités. En donnant à voir la réalité, il dénonce les nombreux maux de la société bangladaise : l’odieux  trafic d’êtres humains (« …le trafic d’êtres humains rapporte beaucoup plus que le trafic de drogue ou d’autre chose »), la pollution, résultat du non respect des émissions de produits toxiques, («  Ces usines, qui brûlent des résidus de pétrole, constituent l’un des plus gros pollueurs du Bangladesh et contribuent à quatre-vingts pour cent au classement de Dhaka à la déshonorable deuxième place de la ville la plus polluée au monde »), le mépris pour le travail des paysans (« Le véhicule de tête dans lequel se trouve le général, trace un chemin hors-piste écrasant les plantations de riz et autres espèces ; même les épouvantails qui sont plantés là, les bras ouverts pour effrayer les oiseaux tremblent de peur », / « ils repartent comme il sont venus en écrasant tout sur leur passage »), l’absence de considération envers tous les travailleurs dans une société hiérarchisée et cloisonnée,  l’irrespect pour leur vie et celle de leurs enfants présents et  à venir comme le prouve l’odieux geste de l’employé, soumis aux ordres de ses supérieurs,   jetant aux toilettes le foetus  de la malheureuse jeune femme qui a fait une fausse-couche sur son lieu de travail. Le narrateur avec justesse et sensibilité révèle les dessous d’une société, montrant avec acuité  l’hypocrisie des soi-disant grands de ce monde.

Un hymne à la vie simple et naturelle

Soleil orange  est aussi un hymne à la vie naturelle, à la vie simple, où les êtres se soignent efficacement par les plantes (« Cette médecine ancestrale est le résultat de milliers d’années d’harmonie entre les forces de la nature et la sagesse des hommes qui ont su apprivoiser les énergies cosmiques »),  dans un milieu où règnent  la non-violence, la solidarité,  la fraternité, l’amour du prochain. 

Ce roman apparemment sans prétention lors d’une lecture naïve, riche en péripéties, doté d’une écriture limpide,  ancré dans des lieux que Debrair Da Silva connaît bien, où les  extrêmes se côtoient, l’extrême richesse et l’extrême misère,  la débauche et la sagesse, est d’une grande richesse humaine et documentaire.

2 Commentaires

  1. Otto Fernandes

    Un roman fantastique, original et plein de vérité. On doit lire ce livre avec le coeur. L’écrivain connaît la réalité de Bangladesh e de sa population. C’est un hymne à l’espoir e l’amour.

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    • Annie Forest-Abou Mansour

      C’est vrai. Il s’agit d’un hymne à l’espoir et à l’amour.

      Réponse

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