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Fragments

6/12/2005 | Livres | 0 commentaires

Shrapnels – En marge de Bagdad
Elisabeth Horem

(B. Campiche éditeur, 2005)

(par Annie Forest-Abou Mansour)

Shrapnels est un ouvrage parcellaire (cent quatorze chapitres de huit lignes à cinq pages maximum) à l’image de son titre aux connotations mortifères (« fragments de bombes éclatées»). C’est un texte multiple et original comportant une véritable focalisation interne : le personnage n’est ni perçu de l’extérieur, ni nommé. C’est un récit à la troisième personne, un dégradé subtile du documentaire, du journal intime, de l’autobiographie, retranscrivant le quotidien de l’année d’une femme à Bagdad, ville occupée et meurtrie. L’immédiateté de ce vécu est restituée de façon allusive et médiatisée sans que jamais le nom du dictateur déchu, les substantifs « haine » ou « violence » ne soient prononcés. Pourtant la violence domine le texte et hante les esprits. Perpétuelle toile de fond, elle est intensément présente sans être vécue intimement par l’héroïne principale, protégée, « par des hommes de sécurité » qui « font les cent pas, kalachnikov en main », dans sa prison dorée dotée d’une piscine, « où elle nage, partagée entre le bonheur et la honte ».

Élisabeth Horem a séjourné dans plusieurs pays du Moyen-Orient, ainsi qu’à Moscou et à Prague. Elle vit actuellement à Bagdad. Elle a publié Le Ring (1994), Congo-Océan (1996) et Le Fil espagnol (1998).

 Bagdad, la ville des Mille et Une Nuits , « ville immense, d’un style hybride, à la fois oriental et socialiste », est en réalité un univers cauchemardesque où l’état de violence est habituel : «depuis le matin on entend des tirs dans le voisinage. Comme d’habitude » ; « On n’y fait absolument pas attention ». Cet état conflictuel est banalisé. Pourtant les habitants aspirent à la paix et à une vie « normale » entre amis, au restaurant, au concert… Et dans cet univers de tirs, d’explosion de bombes, « d’enlèvements crapuleux », « d’attentats à la voiture piégée », la vie continue, esthétique et fragile : « les oiseaux chantent à tue-tête », « un envol de colombes tournoie devant le soleil… ». Mais surtout, la narratrice est loin du réel, calfeutrée tout à la fois dans Bagdad et en « marge de Bagdad », puisque protégée par de hauts murs et des gardes du corps armés, sans avoir la possibilité de circuler librement dans la ville en feu.

Shrapnels, texte profondément littéraire, au statut paradoxalement documentaire, est une subtile dénonciation de la guerre, sertie par moment d’un humour léger et bienvenu dans un contexte explosif.

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