Sélectionner une page

Secrets d’anges

17/11/2012 | Livres | 2 commentaires

 

Secrets d’ange 
Michèle SébaL   
Trinômes Editions (2012)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

    couverture secrets.jpgDans Secrets d’anges de Michèle Sébal, Céleste,  la narratrice au prénom aérien et angélique, fascinée par l’effroyable,  transforme la laideur et l’horrible en Beauté  faisant jouer allègrement ensemble Eros et Thanatos.

    Après le décès de son père, Céleste,  âgée de vingt six ans,  passionnée de taxidermie et de musique, dirige  le funérarium familial, Kêr Lucrèce, situé à Guérande, cité médiévale protégée de remparts, ville celte, terre des légendes, des sorciers et des druides bretons dont la jeune femme descend : « Moi, Céleste Mervel,  je suis la descendante d’une lignée de croque-morts, ovates, bardes et gens d’église qui tricotent la vie et la mort depuis le temps des druides ». Dans Secrets d’anges   le lecteur évolue donc dans la région « du triste sire  Gilles de Rais », personnage  satanique et maléfique. Enracinée dans le réel mais aussi dans les légendes, l’action crée le suspens, le fantastique et la fantaisie.

     Dépourvue de vie amoureuse  (« Et comme je n’en ai jamais fait un usage personnel »   ‘des attributs masculins’) et sociale (« Le plus souvent, les vivants m’indiffèrent et ne suscitent en moi aucune sorte d’émotion »), Céleste vit avec sa mère âgée, femme pimpante et déconcertante. La description de ses toilettes aux couleurs dysharmoniques fusionnant  avec originalité transforme cette femme en véritable objet d’art moderne, en « une palette colorée » : « Elle venait d’ajuster un petit chapeau vert sur sa tête, très joliment assorti à ses bas mauves et à son manteau fuschsia. Sortir ainsi vêtue, c’était déjà une aventure »,  « Ce soir, elle a opté pour un caleçon vert pomme sur lequel flotte une sorte de djellaba orangée brodée d’or. Au bout de la tresse qu’elle porte sur le côté droit dansent de minuscules boucles d’oreilles de Mickey. A ses pieds, des babouches dorées parachèvent son look oriental Disney ». Angela, ancienne « diva lyrique »,  éperonnée par son prénom, non seulement aime beaucoup les anges, mais mère très compréhensive,  elle  apporte soutien et tendresse à sa fille unique.

     Dans ses nombreux retours en arrière,  Secrets d’anges  raconte  la  vie de Céleste enfant,  au cœur du « cocon Lucrèce », entourée d’une mère et d’un père aimants, tendres, séraphiques. Mais au fur et à mesure de la lecture, ces anges aux nombreux secrets, se révèlent  diaboliques.  Secrets d’anges   exalte toutes les marginalités, l’amour lesbien abordé sans jugement de valeur, l’insensibilité de Céleste (« Moi, je ne pleure jamais. Sauf en ce qui concerne Maman, rien ne me touche, rien ne m’attriste, rien ! »), qui a toujours joué (« Mon père m’autorisait à jouer avec de très vieux crânes, pieds ou mains habilement conservés, et là, j’étais comblée »)  et vécu  dans un univers mortifère aux tissus et aux bois précieux, depuis son plus jeune âge : « j’adorais le satin des capitons, les volants en dentelle, l’odeur du chêne, du noyer, de l’acajou ou des bois exotiques. (…) Les cercueils exposés chez nous étaient somptueux ». Céleste éprouve ses premières émotions sensuelles au contact d’un homme sur le point de s’éteindre. Elle découvre en effet sa beauté, sa féminité, sa sexualité dans la mort du mâle : « C’est très doux. Chaud. (…) J’ai envie de l’explorer, le caresser, le goûter… J’en oublie presque que les minutes sont comptées. ». Elle ressent une intense  détente   en jouant  avec les attributs masculins transformés en instruments de musique, un « ballophone » doté de la capacité   « d’insuffler de l’énergie à ceux qui jouent et qui l’écoutent » et même de procurer du plaisir : « Il m’offrait sa musique, des sonorités à nulle autre pareilles, quelque chose de céleste qui s’insinuait dans toutes mes fibres. Ça m’a fait tout drôle, dans le ventre et dans la poitrine. Une sensation bizarre, inattendue, qui donne envie que ça dure longtemps, longtemps. ». La magie des  sons produits par les phallus  desséchés  est alors  un substitut du plaisir amoureux.

    Formée à « l’art de la thanatopraxie »,  Céleste non seulement reconstitue les corps et   leur donne  une sorte d’aspect immortel à  travers des gestes quasiment alchimiques, mais en même temps elle castre les hommes. Ce rituel  s’explique certainement par la désagréable mésaventure arrivée à la fillette  lors d’une sortie scolaire : « La Roche-Bernard, ou le souvenir horrible des gouttes que j’ai reçues en pleine figure, alors que j’avais pris un peu d’avance sur mon groupe et me trouvais en contrebas de la falaise. Au-dessus de moi, une poignée de petits imbéciles rigolards (…) en train de remonter (leur) short après m’avoir pissé dessus.» Dans le cadre de sa profession, elle se venge  inconsciemment de sa douleur passée en castrant les corps masculins. Cette écriture de la mutilation est une véritable mise en marche de l’inconscient. Céleste ne cache pas la mort, elle l’exhibe au contraire sans angoisse, elle ne cherche pas à la conjurer. La mort, chez elle,  est au principe même de la vie : le phallus, « c’est ce qui crée la vie ». Le ballophone est « une sorte d’Arche d’Alliance, un lien entre la vie et la mort, dédié au sauvetage de la vie à partir de la mort ». Et dans cet ouvrage original et déroutant au premier abord, la vie  l’emporte et triomphe : Céleste, enfin devenue adulte (« Fin de l’enfance ! »)  se libère, se désinhibe : « Je sens en moi comme des petits verrous qui silencieusement coulissent, libérant un je ne sais qui de … différent ». Elle  devient autre, le huis clos de Ker Lucrèce s’ouvre, l’espace éclate avec l’existence d’une ville sous la ville et le franchissement des remparts de Guérande donnant à l’essence du lieu toutes ses virtualités. Céleste découvre le désir et  l’amour. Elle s’ouvre à autrui.  Un enfant, symbole de la vie,  clôt l’ouvrage avec  sa joie  dans la Maison Lucrèce : « Il est le premier enfant à  être accueilli à la Maison Lucrèce – fleurs-couronnes-articles funéraires-musicothérapie-biberonnie -… Un sacré bazar qui me fait sourire tandis que je pose ma main sur la poitrine du bébé ». L’écriture pléthorique de la mort cachait la vie.

   Secrets d’anges n’a donc qu’une façade  mortifère. En réalité, ce roman explose de vie, de joie, d’humour, de rire. Ecrivain de la modernité,  Michèle Sébal manie avec virtuosité l’humour : « son  cerveau très érectile se met en bandaison, à l’unisson du reste », emploie volontiers  un vocabulaire argotique et familier.   Elle joue humoristiquement avec les mots,  les noms des personnages et leurs multiples connotations (« Verneux. Il m’apparaît comme un ver dans le fruit de mon entreprise »), use de l’aphérèse : « la ziq du ziziatique », renouvelle les clichés : « la dame me cherchait des asticots », « s’enfuir à tire suaire », s’amuse avec les sons : « Ils peuvent bien se farcir une crapette, battre leurs carpettes, faire des galipettes ».  Elle dit la beauté du réel « d’où qu’elle vienne » de façon poétique, « la toile d’araignée merveilleusement piquetée de perles d’eau ». L’eau devient bijou sur le tissu arachnéen fragile, aérien et léger. Le réel est arraché à sa matérialité   dans une énumération à la  Prévert : « j’ai mangé : trois moineaux, deux cerises, un rayon de lune, une gigue de raton laveur et au dessert, le mont Blanc… ». Michèle Sébal pratique la réécriture avec son ballophone cousin  de l’orgue à bouche de Huysmans  qui faisait  jouer la musique des saveurs ou du pianocktail de Boris Vian qui jouait de la musique et versait des boissons. Comme ces écrivains et poètes, Michèle Sébal rejette la banalité pour s’évader dans l’imaginaire. Son ouvrage offre une vision moderne et humoristique du  memento mori,  comme en peinture le fameux  Mickey de Jeff Koons. Secrets d’anges, apologue   sur  « la mort (qui) racont(e) si bien la vie » sécrète l’euphorie tout en invitant le lecteur à une lecture active selon le souhait de Proust.

 

2 Commentaires

  1. Nicole Giroud

    Quelle belle analyse, pleine de poésie et d’humour; cet hymne à la vie par des détours si inattendus ne manque pas de saveur!
    Merci Annie pour cette découverte.

  2. Forest-Abou Mansour

    Merci Nicole pour ce beau et sympathique commentaire. SECRETS D’ANGES est un livre magnifique, étonnant et surtout plein d’humour. Il mérite vraiment d’être lu.

Commentaires récents