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Se jouer du passé

9/02/2005 | Livres | 0 commentaires

Avenue de France
Colette Fellous
Folio, 2005
(par Annie Forest-Abou Mansour)

pase.JPGDans Avenue de France, Lolly, la narratrice, promène le lecteur à travers les siècles et les pays, essentiellement la Tunisie et la France, lui proposant un univers où se mêlent tout à la fois l’autobiographique, l’Histoire, le réel et le fictif. Dans ce bel ouvrage, les époques et les fragments de vies se croisent et se conjuguent, tissés avec une écriture lumineuse, légère, colorée, musicale et sensuelle.

 Par la magie de cette écriture, Colette Fellous donne vie au passé : « Les années se promènent sur mes épaules nues, je les laisse faire ». Les êtres à jamais disparus palpitent et respirent à nouveau, pleins de chaleur et de sourires. Et Lolly se mêlent à eux : « Je les reconnais pourtant chaque fois, mais eux me prennent pour une étrangère. J’entre dans le groupe, j’interromps la conversation, je souris timidement… ». Lolly n’imagine pas. Elle se souvient de ce qu’elle n’a jamais vécu : « Je cours machinalement rejoindre les années que je n’ai jamais connues, là-bas en Tunisie ». Puis elle vit ce passé, 1860, 1865, février 1901, mai 1910…, passé devenu présent, intensément, passionnément. Le passé et le présent ne constituent alors qu’une seule et même réalité. Lolly assiste au premier rendez-vous de ses parents, à la mort de son oncle, à la rencontre de son grand père, âgé de quatorze ans, avec un étranger…

Elle acquiert plusieurs identités. Elle est à la fois elle-même et sa mère : « Je me suis glissée cette fois dans le corps de ma mère » ; « Je est un autre » a dit Rimbaud : Lolly devient l’Autre l’espace d’un instant. Magicienne, voyante, visionnaire, dotée d’une acuité de tous les sens, elle perçoit l’invisible, l’intangible, le définitivement disparu. Et elle ressuscite le passé perdu.

L’écriture de Colette Fellous fixe l’évanescent, manifestant la puissance du souvenir imaginaire et/ou réel. L’absent est intensément présent. «…je ne connais aucun de ces visages, mais je sais qu’ils sont proches, qu’ils me regardent faire, qu’ils me voient hésiter, qu’ils m’encouragent à avancer. Par moments, ils me semblent plus présents que tous ces passants d’aujourd’hui, sur la place de la Nation. ». Chaque détail devient précieux, émouvant. Les réalités les plus fugitives accèdent à la pérennité de l’œuvre d’art : « C’est ma mère qui joue une valse de Chopin (…) On voit sa longue tresse dans le dos, sa robe d’organdi légèrement décolletée, les doigts qui courent sur le clavier, et ses cousines derrière elle, qui la regardent. Un tableau de Renoir avec les couleurs de l’Orient. »

L’imaginaire de Colette Fellous colore de beauté et de mystère tout ce qu’il effleure. Les photographies en noir et blanc, images du passé, qui ouvrent chaque chapitre (extraits de films, détails raffinés de peintures, cartes postales, documents personnels esthétiques et précieux…) vont dans le même sens, fixant et éternisant l’instant.

Dans ce magnifique roman, Colette Fellous joue avec le temps (« A peine une heure s’est formée entre 1879 et 2001»), avec les mots, bijoux scintillants, et chante un hymne lumineux à une Tunisie multiple (protectorat, colonie, république), parfumée, mélodieuse et sensuelle : «Je reconnais là encore la trace de la citronnelle, l’odeur du jasmin, du chèvrefeuille, du cumin.». Cet ouvrage rayonne d’un bonheur voilé de nostalgie. L’auteur n’oublie pas ce pays, quitté alors qu’elle avait dix-sept ans, et présent à jamais dans son corps, son cœur et son âme.

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