Sans domicile fixe
Guillaume Le Blanc
Editions du Passant, 2004
(par Annie Forest-Abou Mansour)
Sans domicile fixe de Guillaume Le Blanc est un ouvrage sur les gens simples, à qui rien n’arrive, et sur les démunis, les miséreux. Les gens simples subissent leur vie : une vie médiocre, banale, ennuyeuse, terne. Ils rêvent de s’en extirper afin de voguer vers un ailleurs plein de promesses, de bonheur, de changement, pour transformer ce qui est en eux et hors d’eux. « Partir » est un leitmotiv lancinant, une obsession. Emile et Kashia fuient et se fuient. Mais où qu’ils aillent, ils seront toujours les mêmes. A moins qu’Emile rencontre l’amour dans les beaux yeux verts de Sveva ; l’amour qui est peut-être l’unique note d’espoir véritable.
D’autres comme Taddeus partent par obligation, pour abandonner une vie misérable, trop difficile, tentés par des vendeurs, des voleurs (?), de rêves qui s’enrichissent à leurs dépens en leur prenant le peu qu’ils possèdent.
La chute du mur de Berlin, la création de l’Europe ont pu sembler une ouverture vers la liberté, la paix entre les peuples, l’égalité de leurs droits. Pourtant pour Guillaume Le Blanc, c’est une vision bien utopique et angélique. L ‘expérience, les propos, les rêves des protagonistes de son ouvrage le prouvent.
La France constitue le rêve des malheureux et des pauvres : « ils me disent qu’à Bordeau y a du travail sur les chantiers (…) on peut tout faire en France (…) l’école là-bas c’est beaucoup mieux, il y a des ordinateurs dans les écoles. Ils me disent, pense à tes enfants qui pourront étudier… ». Mais c’est un leurre tragique. Alors que Kashia « pense à la vraie vie, derrière la vie grise et sale », une vie lumineuse à Paris, avec les musées, les beaux quartiers, Paris se révèle aussi misérable, aussi terne que Varsovie.Le bonheur semble impossible à trouver hors de soi.
Une fois à Paris, Kashia comprend que « jamais (elle) ne fu(t) plus heureuse que dans [sa] cuisine… ». Une fois à Sangatte, dans la rue et le froid, «Emile et Nadia nettoy(ent) les pare-brises des voitures aux carrefours (…) Velickha fai(t) la manche ». Kashia et Katrin se prostituent. Et tous sont irrémédiablement seuls, insatisfaits, encore plus malheureux qu’auparavant.
Guillaume le Blanc peint des êtres qui espèrent sortir de la médiocrité, de la misère et qui aiment la vie. Mais malheureusement, la vie ne les aime pas et les maltraite, quand elle ne les rejette pas. Martin Podavski meurt au moment où son rêve se réalise enfin.
Sans domicile fixe est un très beau livre, émouvant et grave. Il stimule le lecteur à la tolérance envers l’Autre. Il incite à réfléchir tout comme le font aussi les photographies à l’ouverture de chacun des chapitres. Elles nous entraînent sur des routes et des lieux désertiques, vers l’infini, la liberté. Le lecteur est alors seul devant ces petites fenêtres ouvertes sur un ailleurs : d’espoir ou de désespoir ?
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