Retourne de là où tu viens.
Annette Lellouche
A5 Editions (2011)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Jeune retraitée dynamique de soixante cinq ans, fougueuse, enthousiaste, ouverte aux autres et à la différence, Francette, surnommée Franki par ses proches, héroïne de l’autofiction Retourne de là où tu viens d’Annette Lellouche, est une amoureuse de la musique, des mots « La chaleur des mots qui l’emberlificote dans une joie sans cesse renouvelée, tel le bien-être du glaçon qu’on promène sur ses joues, par grande chaleur », de la littérature, de l’objet livre : « Son respect des livres est incommensurable ».
Possédée « par une fringale injonctive de l’écriture », nourriture vitale et indispensable pour elle, Francette fréquente un atelier d’écriture, « L’Ecole des Ecrivains », regroupant douze femmes. La rédactrice de la plus belle histoire sera sélectionnée et publiée à compte d’éditeur. Mais très vite l’aventure magique se transforme en cauchemar pour Francette : « La belle aventure qui s’était profilée dans son cœur comme une renaissance, se transforma en traîtrise et malveillance ». Un courriel anonyme à connotation raciste, hostile et violent comme le souligne la métaphore brutale, « elle clique (…) sur ‘gemepoete’, déclenchant imprévisiblement une mine anti personnelle qui la déchiquette » installe en elle le doute et le mal être. Elle se sent agressée intimement. Douloureusement affectée, elle recherche l’auteur du message et effectue en même temps un retour sur son passé, son enfance, sa jeunesse tout en entreprenant une réflexion sur la relation aux autres, le racisme, les avantages des échanges virtuels : « elle absorbe ses mails comme la potion magique qui doit la prévenir de toutes les maladies, surtout celle de la solitude » et leurs inconvénients. Certes cette nouvelle technologie favorise les relations amicales, mais elle peut aussi nuire fortement à la vie réelle.
Le passé de Francette resurgit alors. Le récit mêlant présent et passé oscille entre la linéarité narrative actuelle et les retours dans son enfance, son adolescence, sa jeunesse, mais aussi son passé proche au sein de l’atelier d’écriture. L’ouvrage se construit ainsi sur des réminiscences. De nombreuses rétrospectives donnent à voir la petite fille juive, « la petite fille aux pieds nus », issue d’une modeste famille française, vivant en Tunisie, pays auquel elle est restée attachée. Cet enracinement, sensible aux images lumineuses et parfumées des descriptions des paysages de « ce pays où le sirocco souffle aux heures chaudes des siestes programmées, enivrant les corps du parfum persistant des fleurs d’oranger, exaltant les sens dans des passions exacerbées », au lyrisme émouvant lorsque la narratrice évoque l’amitié entre la fillette juive et la fillette musulmane, (« Nous croyons tous en un Dieu unique ») ancre le roman dans un univers poétique et humaniste.
En même temps, l’autofiction se transforme rapidement en enquête policière – Qui est le corbeau ? Est-ce la jalousie qui guide ses propos ? –à la tonalité humoristique. Les surnoms pittoresques et caricaturaux, « la grande perche », « les petites culottes », « le minimum syndical », attribués aux participantes du concours, suspectées les unes après les autres, instaurent une complicité amusée avec le lecteur.
Même si après la réception des messages sulfureux, Francette perçoit brusquement et momentanément l’atelier d’écriture comme hostile, jamais elle ne sombre dans la dépression et le rejet de l’Autre. Au lieu de l’anéantir, les courriels la stimulent, excitant son caractère combatif : « Au lieu de l’annihiler, les piqûres hebdomadaires la transformaient en une fusée propulsive. Elle était éperonnée à chaque coup de mail et comme Pégase combattant la Chimère, elle allait encore plus vite, plus haut ». Elle franchit allégrement les obstacles, « son livre (est) sa bataille, sa victoire ». Elle accède à la reconnaissance.
Ce roman miroir, « récit autobiographique-témoignage écrit dans le feu du vécu », rempli d’espoir et d’optimisme est une leçon de tolérance qui montre l’aberration du racisme, de l’antisémitisme, du refus de la différence, de la jalousie. La souffrance intime, dépourvue cependant de tout pathos, de la narratrice confrontée à l’antisémitisme fait écho aux martyrs de la Shoah : « L’ombre des six millions de Juifs exterminés s’est imposée entre eux, rythmée par le bruit des bottes des Allemands … ». Mais ce livre à l’écriture limpide gorgée de vitalité condamne l’intolérance sans la moindre animosité. Leçon d’amour et de compréhension, donnée par une femme au regard libre et bienveillant (« il (le jeune homme antisémite) devait être bien malheureux pour s’égarer dans cette voie »), Retourne de là où tu viens d’Annette Lellouche est une ode à la vie, manifeste implicite qui ne dit pas son nom.
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