Qu’est-ce que l’amour ?
Christian Perroud.
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
En décembre 2009, Christian Perroud s’est envolé vers une contrée dont on ne revient jamais. Son opuscule Qu’est-ce que l’amour ? est donc resté solitaire, caché au fond d’un tiroir, inconnu. Pourtant il mérite l’admiration de lecteurs.
Dans Qu’est-ce que l’amour ? Christian Perroud tente de donner une définition de l’amour, mot magique et mystérieux : « l’amour, inviolable sanctuaire, un mystère ». Il a mûrement réfléchi à ce thème dont « on n(e) sait rien », « comme Dieu, comme la beauté, comme la vérité, comme la musique » en s’appuyant sur ce qui a déjà été pensé et écrit. De nombreuses idées philosophiques, sociologiques, poétiques affleurent explicitement et implicitement dans son texte sollicitant doublement l’attention et la réflexion du lecteur. Ce texte à la structure originale, fragmenté en courts paragraphes mêle argumentation, récit et discours poétiques. Tricotant habilement ces différents types de textes dans une espèce de long poème en prose, Christian Perroud essaie d’expliquer en quoi consiste l’amour. Le « moi » exprime ses émotions, ses sentiments, ses pensées au style direct, s’adressant au lecteur ou à la femme aimée : « Tu souris au vent d’ouest. Tes lèvres que nul n’a jamais caressées s’ouvrent comme les fleurs enfin regardées », puis il élargit la perspective en appliquant sa définition à l’ensemble des humains. Chez lui, comme chez Platon, l’amour tend vers la Beauté concrétisée par l’esthétique de son écriture, des citations et des documents iconographiques qui sertissent son texte donnant à voir cet amour et cette beauté aux multiples facettes.
Bien que conscient des aléas et des difficultés de l’amour, « Il y a des cailloux sur le chemin. Leur marche n’est-elle pas une succession de chutes évitées, l’essentiel sans cesse menacé par l’insignifiant et l’habitude ; il y a la tiédeur qui est vieillissement de l’amour », sa vision est souvent idéale et idéalisée. Chez lui, l’amour est un état intermédiaire entre l’humain et le divin, la sublimation d’un absolu : « L’amour, l’invention d’une culture, ou une parcelle de divinité ! ». La virgule incongrue après la conjonction de coordination « ou » met en valeur la facette divine de l’amour. L’amour permet l’accès au sacré : « alors le couple connaît dès ici-bas le sacré ». Le champ lexical religieux, les connotations mystiques confèrent à son argumentation une certaine solennité et tout un lyrisme nous emportant vers l’infini (« Merci de m’emmener vers les cieux »). La femme permet à l’homme d’échapper aux pesanteurs du réel : « Ma parfait, tu es mon alouette, cet oiseau qui à lui seul aspire l’homme vers le ciel étoilé ». De nombreuses métaphores et comparaisons cosmiques (« L’amour (…) dessine l’aquarelle du vent ») transforment la femme et l’amour en paysage, en fleurs : « L’ouragan s’arrête au porche des jambes. Tu souris au vent d’ouest (…) » Le désir (« le glaïeul éclatant du désir »), la sensualité, le plaisir sont dits avec pudeur et délicatesse, par le détour de l’hyperbole, de l’union des sensations visuelles, olfactives, tactiles : « l’un contre l’autre jusque là inconnus deviennent des brasiers, une extase les terrasse », « Etrange fête sous la cendre au parfum de pivoine. ». Pour le narrateur, un instant d’amour acquiert l’intensité de l’éternité et permet d’accéder à l’immortalité, «Un instant aigu abolit toute mort », par sa fulgurance et par sa concrétisation en un enfant : « Cet amour s’immortalise dans l’enfant né de l’homme et de la femme ».
Chez Christian Perroud, l’amour est un refuge protecteur, il introduit dans un univers de joie et de magie : « Ils franchissent ensemble le mur du son, en chantant intérieurement à tue-tête ». C’est un amour fidèle, durable : « Ils ne sont pas les hommes et les femmes d’un moment ». Il se perpétue malgré les années qui passent conservant le charme de l’amour naissant : « Ils se disent après tant d’années où je te contemple, c’est la première fois que je te vois, là où il n’y a ni avant ni après. » Don de soi, générosité, il donne un sens à la vie : « L’amour est ce sans quoi rien ne vaut » et permet de fuir la médiocrité du réel : « un lieu inviolé par la médiocrité » .
Christian Perroud propose, dans une société matérialiste où les valeurs tendent à disparaître, où la recherche du seul plaisir s’impose souvent, une définition sublime de l’amour, véritable révélation.
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