Prisonnière
Matilde Bernié
Ediitions Baudelaire (2020)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Deux enlèvements et une enquête
Maxime, un étudiant en Lettres de dix-neuf ans, reçoit, le soir du 5 mai 1899, « une lettre laconique » inquiétante lui apprenant la disparition de Marie, sa chère cousine, son unique amie, une douce et jolie jeune fille de dix-sept ans. Les membres de la famille demandent à Maxime, qui « possède « des qualités de détective (…) pouv(ant) être précieuses », de les rejoindre le plus rapidement possible à Perpignan afin d’enquêter.
La diligence où se trouvaient Marie et sa jeune demoiselle de compagnie, Julia, a été attaquée « par une douzaine d’hommes masqués et armés de tromblons ». Au cours de la violente agression « cinq (voyageurs) ont été abattus sur-le-champ (…) les deux jeunes filles, ont été ligotées et emmenées ». Une rançon est demandée à la famille aisée et connue. L’oncle de Maxime, Jules Baille est, en effet, le « riche propriétaire des usines de papier à cigarette LOV, célèbre avocat et homme politique de renom ». Plusieurs lettres parviennent à la famille indiquant le montant de la rançon et les lieux où la déposer. Les messages énigmatiques, mystérieux laissent perplexes : « Je garde Marie un peu pour moi… L’argent me reviendra mais ta belle sera d’abord un peu à moi. / Quant à Papa, il sera obligé de m’aimer ! ». Pourquoi évoquer un « papa » ? Qui est ce « papa » dont le bandit requiert l’amour ?
Maxime se lance alors à la poursuite des brigands dans les grandioses falaises des gorges de la Fou, dans la vallée du Vallespir : « J’avais l’impression étouffante de m’enfoncer dans les entrailles de la terre, prisonnier de ces gigantesques falaises saignées de rouge qui montaient à l’assaut du ciel et descendaient jusque dans l’effrayante profondeur des abîmes ». L’angoisse monte. Progressivement Maxime comprend que les ravisseurs ne sont pas, comme tout le laissait croire, les dangereux Trabucaïres, les bandits armés de tromblons sévissant dans les Pyrénées-orientales (« Si les bandits avaient jusqu’à présent imité les monstrueux Trabucaïres, dorénavant leur stratégie me devenait terriblement obscure. Un seul homme avait écrit cette nouvelle lettre »). L’’histoire est en fait personnelle. Un mystère s’ajoute au précédent !
Une prose fluide et esthétique
Destinée à la jeunesse, la nouvelle réaliste à l’écriture fluide et claire, de Matilde Bernié, Prisonnière, plonge le lecteur dans une mystérieuse aventure située à la fin du XIXe siècle., au coeur des Pyrénées-orientales. Récit et discours se tricotent au fil des chapitres. Les focalisations internes et omniscientes permettent de participer aux filatures de Maxime, de ressentir ses angoisses, ses émotions, d’embrasser ses pensées. Le suspense tient en haleine le lecteur. Les nombreuses propositions interrogatives et exclamatives, l’alternance de phrases courtes et longues créent toute une tension narrative, donnent un tempo dynamique au texte. Les métaphores, les comparaisons visuelles concrétisent les ressentis : « (…) toute ma nervosité (…) s’évacuait de moi comme s’échapperait la fumée des braises d’un feu sur lesquelles on soufflerait », « On aurait dit un loup affamé prêt à hurler à la mort », les réflexions : « mes idées s’entrechoquant comme les mâts des voiliers à quai un soir de tempêtes », colorant poétiquement le texte.
Une source de savoir
Brossés en quelques mots précis, les portraits campent les personnages de façon pittoresque, opposant la femme rustre du peuple : « Là, assise sur une chaise de paille, se trouvait une femme d’une quarantaine d’années, les cheveux hirsutes et le regard vide », à l’élégante et fragile bourgeoise : « Le grenat rouge (…) qu’elle portait au cou contrastait avec la blancheur de son teint. Elle releva ses cheveux blonds en un chignon désordonné, laissant retomber quelques jolies mèches de soleil autour de son charmant visage de poupée ». Au XIXe siècle, le vêtement et le teint révèlent la classe sociale. Le costume sombre dévoile les messieurs de la haute société, (« Les messieurs, en costumes noirs, chemises blanches et cigarettes à la main (…) », les sabots, les paysans : « un vieil homme en sabots, gourde accrochée au flanc (…) ». Le teint clair, valorisé à l’époque, signe d’appartenance à la bourgeoisie, contraste avec le teint sombre du paysan exposé quotidiennement au soleil durant son labeur : « Un jeune exploitant qui devait avoir à peu près l’âge de Maxime mais dont la peau était déjà noircie par le soleil printanier (….) »
La nouvelle construit des savoirs sur la fin du XIXe siècle, renvoyant à l’époque des « fiacres », des « diligences », du courrier postal, et sur les Pyrénées catalanes. La narratrice dresse un tableau vivant des scènes de la vie quotidienne dans les petites villes de province présentant l’univers artisanal (« Là un tourneur de bois occupé à tailler un fût de chêne destiné à recueillir le vin du pays gorgé de soleil. Ici un tisserand préparant sans doute un trousseau pour une fille d’une maison bourgeoise »), le monde de l’usine avec un vocabulaire technique précis, « Le chef d’atelier nous conduisit à travers la vaste salle dotée de nombreux établis et entièrement mécanisée par un ensemble de presses, de découpoirs et massicots, de machines à satiner le fin papier aromatisé par cette adjonction de réglisse qui expliquait l’odeur agréable qui régnait dans toute la halle », les loisirs traditionnels catalans : « Un groupe de sardane venait de se mettre en place. Des cercles de danseurs chaussés de leurs espadrilles aux longs lacets noués sur les mollets tournaient en rond en sautillant sur la pointe des pieds au son de la cobla, l’orchestre catalan traditionnel (…) ». Elle emporte le lecteur dans un Ailleurs temporel et spatial nourrissant son imaginaire et ses connaissances lexicales et culturelles. Elle révèle le comportement des maîtres avec leurs servantes, proies faciles de séducteurs dépourvus de tout scrupule comme l’oncle Justin dans sa jeunesse : « J’avais tout juste vingt ans. A l’époque j’étais très séducteur. Un soir, après avoir bien rigolé avec mes amis, je me suis amusé à séduire une jolie petite domestique qui était à notre service depuis quelques mois. Il ne me fut pas difficile de la coucher dans mon lit. Mais le lendemain matin, ayant repris mes esprits, je compris que la pauvre enfant était amoureuse de moi et rêvait de mariage. Ne voulant pas m’encombrer de tels sentiments, j’inventai toute une histoire pour que mon père renvoie la petite ». Dans la société hiérarchisée de l’époque, le sort des soubrettes importe peu.
La lecture de Prisonnière permet aux jeunes lecteurs de dégager des aspects caractéristiques de la vie au XIXe siècle dans le sud-ouest de la France. Lire en cours cette nouvelle est susceptible de faire naître d’enrichissantes discussions avec les enseignants.
Facile et agréable à lire, ludique, pleine de rebondissements, apportant de surcroît des connaissances aux pré-adolescents, la nouvelle de Mathilde Bernié ne peut que leur plaire.
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