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Printemps arabes. Religion et Révolution

8/05/2014 | Livres | 0 commentaires

Printemps arabes      
Religion et révolution
Adonis
(Traduit de l’arabe par Ali Ibrahim)      
Editions de la Différence (2014)

 

(Par Elias Abou-Mansour)

 

    Printemps arabes est un recueil d’articles rédigés dans la presse arabe et libanaise  par Adonis,  nom de plume d’Abi Ahmed Saïd Esber. Adonis est le nom mythologique d’un dieu syrien, symbole de la mort et du renouveau de la nature dans le cycle des saisons. Adonis, l’auteur de Printemps arabes, est le poète de la renaissance, de la maturité politique, de la liberté. Cet exilé politique, ce nomade intellectuel cherche  la vie, la fraternité, la liberté, mais surtout l’altérité. Il invite la société arabe à méditer sur des concepts de modernité comme l’égalité des sexes, la liberté de la femme, la séparation du temporel et du spirituel, en un mot la démocratie.    
   
Adonis  aspire à un changement radical, une révolution rendant illégitime toute inégalité entre l’homme et la femme. A l’instar de la Révolution française, Adonis souhaite  une révolution arabe qui invente la démocratie et reconnaisse les droits de la femme. La Révolution française a accordé aux femmes citoyennes les mêmes fonctions, les mêmes responsabilités qu’aux hommes. Les femmes et les hommes occupent les mêmes espaces.
    Comme Condorcet, Adonis réfute tout ce qui est refusé à la femme arabe. Le philosophe s’attaque donc aux doctrines qui obscurcissent les esprits, aliénant les hommes et les femmes. Il ne consent pas à attribuer le terme « Révolution » à la révolte arabe (« intifada »).
Il a le courage de faire voler en éclat les tabous, de commettre  un sacrilège dans un monde intolérant. Son esprit subversif veut renverser l’archaïsme, le clanisme, le communautarisme, le despotisme.Il aspire à établir un nouvel ordre : la démocratie. Comme au Siècle de Lumières, à l’instar de Montesquieu, il clame la séparation des pouvoirs et réclame l’indépendance de l’éducation et de l’armée : « L’entreprise ne sera parachevée qu’en séparant la magistrature, l’éducation, l’armée et les forces de sécurité de la politique (…) Ainsi, le pouvoir ne sera plus ni parti politique ni juge (…) ». Ayant un  esprit cartésien, épris de culture occidentale, ce philosophe conscient des particularités de la Syrie, veut adapter une démocratie saine, moderne, areligieuse à ce pays. C’est pourquoi Adonis sonde les abîmes de l’inconscient des Arabes. Il scrute leur histoire, leur mémoire, analyse leurs oeuvres. Il interroge leur système éducatif. Il déduit que leur pensée  est pauvre. La réflexion est presque absente. Il reconnaît la torpeur de l’Arabe. « La Révolution demeure un horizon fermé aux sociétés arabes. L’époque où nous vivons appartient au passé. Il semble que la culture de ce passé, notre culture que nous pratiquons chez nous dans la vie quotidienne, dans les écoles, les universités et les institutions nous apprennent à ne pas réfléchir ».        Selon Adonis, l’histoire des Arabes ne révèle que la soumission à des dictatures passées, à un pouvoir sacralisé : « Notre histoire nous a seulement habitués à être malades et à remplacer une maladie par une autre ». La structure intellectuelle passéiste est par définition religieuse ». De surcroît,  Adonis craint la domination des religieux fondamentalistes. Selon lui, les Salafistes (al Salaf : les Anciens) focalisent et monopolisent le pouvoir. Ils font régresser la liberté et le progrès : « Il ne faut pas oublier que leur idéal exalte les valeurs du passé et les impose comme  seul objectif devant lequel doivent s’incliner tout rationalisme, toute diversité, toute liberté individuelle ». Le narrateur refuse que la liberté de penser se soumette à l’inquisition des intégristes. Ainsi il récuse l’instrumentalisation politique de la religion qui est une violence, une tyrannie à la religion et à l’homme. Les Salafistes oppriment l’art, la culture, la philosophie et toutes les idées spéculatives. Pour eux, toute modernisation est donc exclue, prohibée. Comme la société doit être régie par les lois anciennes dans le salafisme, l’homme dans ce cas, selon Adonis,  devient esclave du passé.       
    Adonis démontre que le sectarisme du Salafisme  est une atteinte à l’homme. Les Salafistes, en effet, sombrent dans le fanatisme. Ils expriment une vérité soi-disant souveraine. Ils cherchent donc l’anéantissement de ceux qui ne partagent pas leur doctrine. Ils se considèrent comme les seuls légataires de la volonté divine,  comme les élus de Dieu, de l’absolu. Ils pensent être infaillibles. Ils présentent leur vérité comme unique, universelle. Ils installent le monisme. Par conséquent, ils rejettent la liberté, la démocratie, le pluralisme et l’altérité. Ainsi l’espace de la liberté régresse et la répression s’amplifie : « Suis-je croyant ? Je dois donc tuer celui qui est contre moi, qui ne s’allie pas à moi, je dois faire disparaître tout ce qui lui appartient ».
    Les jihadistes tuent au nom de la religion : « une sacralisation qui prend Dieu pour une machine à tuer ». Adonis refuse la violence qui avilit l’homme, anéantit la population et dévaste la Syrie. Cette violence a détruit le tissu social, a fait émerger le communautarisme et a consolidé le fanatisme religieux. Par conséquent, la Syrie a sombré dans le néant et le chaos. L’homme s’est vidé de sa substance.  Adonis reconnaît que la violence est un échec. Il critique le soutien des Etats-Unis  à la rébellion religieuse armée et prône une opposition pacifique : « Les Etats-Unis ne tiennent toujours pas compte des opposants pacifistes dont le nombre est considérable en Syrie et à l’étranger. Ils écoutent seulement les opposants qui prônent la violence, et ferment les portes devant les pacifiques ». De surcroît, la rébellion focalise exclusivement  sur le pouvoir. Les conflits de pouvoir s’accentuent alors. Ils sont traduits dans la rhétorique du complot, de la traitrise et de la connivence avec le sionisme : « Pourquoi s’accusent-ils les uns, les autres de trahison ? Pourquoi, à l’instar des régimes qu’ils combattent, sont-ils fascinés par le despotisme ? ». Adonis dénonce la violence, la culture de l’assassinat, l’ostracisme. Ce phénomène n’est pas l’apanage  du régime. Il existe dans l’opposition. La révolte, sous la coupe des intégristes,  est déviée des concepts humanistes. Elle s’oppose à celle des jeunes militants qui luttaient pour la liberté et la démocratie. L’opposition militaire jihadiste est incapable d gouverner, d’insuffler l’espoir et de changer la société. Elle ne cherche pas à désaliéner l’homme arabe, à le libérer des jougs de l’obscurantisme. Elle porte en elle la servitude de l’homme. En outre, Adonis critique le monisme politique et intellectuel du régime syrien. C’est pourquoi il renvoie le régime syrien et l’opposition dos à dos.

    Adonis, le poète  et le philosophe, donne une résonance nouvelle au logos. L’œuvre, Printemps arabes. Religions et Révolutions souffle un vent de liberté qui devrait guider les jeunes révoltés. Le narrateur, militant pour la modernité, la laïcité, la tolérance et l’altérité, est fidèle à lui-même, à ses doctrines. Il dénonce l’archaïsme et l’immobilisme des sociétés arabes. Il porte ainsi des jugements audacieux. Il  est le Voltaire des Arabes. Il s’investit totalement pour la liberté de l’homme. Il voit loin. Adonis catalyse alors les consciences, frappe d’anathème le régime et l’opposition. Il  les récuse parce qu’ils sont contraires à l’humanisme.
    Selon le narrateur, la dictature, le militarisme ne sont pas un rempart contre l’intégrisme religieux. Cette violence, soutenue par des puissances occidentales et locales,  a des relents  de guerre froide et de xénophobie. Elle fait sombrer la Syrie dans un obscurantisme total : « Une marée humaine qui sait que ces politiques occidentales n’élèvent ni ne couvent, dans le monde arabe, que les ‘œufs ‘ de la violence et de l’agression. Ces œufs qui, une fois cassés, transforment les peuples en troupeaux, et immobilisent les sociétés arabes sur des positions tirant leur énergie de luttes d’érosion,  d’effritement et de repli ». Adonis veut que l’action politique soit animée par l’Esprit et l’altruisme. Il porte un regard lumineux de philosophe sur la société arabe. Printemps arabes  est un ouvrage à lire et à méditer.

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