Pour en finir avec l’affaire Seznec
Denis Langlois
Les Editions de la Différence (2014)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Dans son dernier ouvrage Pour en finir avec l’affaire Seznec, Denis Langlois, défenseur des droits de l’homme, ancien avocat, écrivain, abandonne la fiction, fondée ou non sur le réel, pour s’emparer d’une énigme qui a longtemps défrayé la chronique. Ce faisant, il veut approcher au plus près la vérité et la Justice.
Afin de rendre compte de la tragique affaire Seznec, Denis Langlois, qui s’y intéressait depuis longtemps, « entre dans l’affaire (…) en tant qu’avocat » de 1976 à 1990, acceptant de défendre la famille « gratuitement, comme (il l’a) toujours fait, en tant que militant dans les différents dossiers dont (il s’est) occupé ». Il entreprend une tâche longue et difficile, lisant alors l’ensemble des procès verbaux rangés dans « un énorme tas de cartons gris de 1,50 mètre de haut », des comptes rendus de presse, des lettres, regardant des films, écoutant des interviews, rencontrant d’anciens témoins, observant des photographies… Il cherche d’abord à comprendre l’homme Seznec, – un Breton, fils de paysans, né le 1er mai 1878, – (condamné en 1923 aux travaux forcés à perpétuité alors qu’il ne cesse de clamer son innocence), sa personnalité, sa vie, surtout il tente d’éclairer toutes les zones encore restées dans l’ombre concernant ce sulfureux événement et s’aventure sur les pistes volontairement négligées.
Afin, malheureusement, d’arriver non pas à innocenter Guillaume Seznec, mais seulement à obtenir la révision du procès « au bénéfice du doute », Denis Langlois travaille avec efficacité malgré les nombreux obstacles auxquels il se heurte. Son ouvrage retrace ce long et lourd travail en suivant dans un premier temps un plan chronologique rigoureux, racontant les différentes étapes de la vie de Guillaume Seznec, de sa famille, de l’affaire. Nous suivons l’accusé, un homme travailleur, ambitieux, soucieux de s’enrichir pour le bien-être de sa famille, par amour pour son épouse, dans les différents lieux où il a vécu, travaillé, agi. Puis le narrateur dans un second temps analyse et confronte les nombreux documents et témoignages. Mais la reconstitution demeure parfois, malgré les multiples précisions, lacunaires. Guillaume Seznec n’a jamais avoué le meurtre de son ami et complice Quémeneur. Le corps de ce dernier n’a jamais été retrouvé. Plusieurs versions des faits sont possibles : Denis Langlois les propose toutes, il cite même des faits jamais révélés comme la confession de Petit-Guillaume, fils de Guillaume Seznec.
Avec une grande honnêteté intellectuelle, avec sérieux et humanité, Denis Langlois présente un homme humilié, bafoué, jalousé, sur qui les habitants de son village font circuler des rumeurs calomnieuses. Un homme qui se défend mal : « je suis innocent, c’est à vous de prouver ma culpabilité ! ». « Accusé malchanceux, il rate tout ce qu’il tente ». Denis Langlois donne à voir une justice sûre d’elle, « un dossier (…) finalement trop bien ‘ficelé’, presque trop parfait pour une affaire aussi compliquée, comme si les policiers et le juge d’instruction avaient voulu démontrer à tout prix que c’était un crime crapuleux et rien d’autre, afin que personne n’ait envie de chercher ailleurs. », une «enquête tronquée », partant avec des a priori, une presse envahissante, trop bavarde, des rebondissements dus à des témoignages contradictoires ou influencés entre autres par la récente affaire Landru. Le procès n’est pas un procès, « c’est une curée, une mise à mort ». La Bretagne qui a énormément souffert de la guerre trouve dans l’affaire Seznec, une compensation à ses souffrances, un exorcisme. Le malchanceux accusé est défendu de surcroît par un tout jeune avocat dont c’est la première affaire : « Maître Marcel Kahn (…) C’est la première affaire d’assises qu’il plaide et il tremble un peu en serrant les mains de ses confrères bretons (…) »
A la faveur de son immense travail sur l’affaire Seznec, les idées de Denis Langlois ont évolué : « Au début du dépouillement de cet énorme échafaudage de 1,50 mètres de haut, j’étais persuadé de la culpabilité de Seznec et près d’abandonner cette tâche, puis ma persévérance et l’expérience acquise à la Ligue des droits de l’homme m’ont fait découvrir un certain nombre d’éléments imprécis, suspects, sur lesquels il était possible techniquement d’appuyer une requête en révision ». Les pensées du lecteur se transforment aussi. Il est convaincu, malgré les doutes qui peuvent subsister, que Guillaume Seznec est « un faussaire de bonne foi, mais pas un assassin ». Denis Langlois permet au lecteur de réfléchir à partir de cette histoire sur la Justice, sa fragilité : « je suis persuadé que, si un jour les êtres humains parviennent à construire une société satisfaisante – ne renonçons surtout pas à l’utopie -, ils seront obligés de se colleter avec la vérité judiciaire (et donc avec les risques d’erreur) ». Le doute doit bénéficier à l’accusé. Il est impératif que l’être humain tende le plus possible vers la Justice, la Vérité, l’empathie. La vie humaine, unique, est précieuse, il ne faut pas que des erreurs l’anéantissent, la gâchent.
L’ouvrage de Denis Langlois écrit avec clarté, sensibilité, parfois avec humour ( la voiture « toussote comme une asthmatique »), se lit comme un roman. L’alternance entre le récit, les dialogues, les descriptions, les citations, les adresses au lecteur, les photographies créent un tempo alerte, ancrent le texte dans la vie, le réel. De surcroît, ouvrage de référence sur l’affaire Seznec, il va bien au-delà de l’histoire de cette famille. C’est un ardent plaidoyer pour la Justice et la Vérité rappelant indirectement l’affaire Calas ou l’affaire Sirven. Denis Langlois ne serait-il pas le nouveau Voltaire du XXIe siècle ?
Du même auteur :
Le Déplacé, éditions de L’Aube (2012)
http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2012/07/19/le-deplace.html
La Maison de Marie Belland, éditions de la Différence (2013) http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2013/06/07/la-maison-de-marie-belland.html
Denis Langlois ne serait-il pas le nouveau Voltaire du XXIe siècle ?
N’exagérons rien, il y aurait dans ce cas de nombreux Voltaire… Denis Langlois n’étant pas le seul quidam à vouer son travail ou son œuvre au service de la liberté de penser, de croire, de la tolérance et de la justice.
N’oublions pas que Voltaire a dû choisir l’exil volontaire en Angleterre – après maints emprisonnements à la Bastille pour ses critiques contre l’establishment de l’époque – où il a entre autres découvert les libertés politiques ; je pense que Denis Langlois n’en est pas encore réduit à s’exiler pour la défense de sa pensée et de ses écrits !