Sélectionner une page

Petits poèmes sans queue ni tête

17/08/2022 | Poésie | 2 commentaires

Petits poèmes sans queue ni tête
Francis Denis
Editions La route de la soie (2022)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

Francis Denis : Petits poèmes sans queue ni têteUn artiste polyvalent

Alors qu’il concrétise habituellement la beauté de son univers intérieur dans des oeuvres picturales, Francis Denis la  donne aussi à voir dans des nouvelles (1). En 2022, il la communique dans de courts poèmes lyriques, (courts pour ne pas ennuyer son lecteur : « Un poème ne doit pas être trop long / Pour ne pas ennuyer celui qui le lit / Et qui ne lui a rien demandé »), en vers libres, dépourvus de ponctuation, n’utilisant que des points d’interrogation ou d’exclamation, matérialisation de son émotion. Dans un recueil  humblement intitulé Petits poèmes sans queue ni tête, des mots légers ou sérieux, familiers ou recherchés tissent sa vision du monde.

Une réflexion sur l’existence donnée sous une apparente simplicité

Au crépuscule de sa vie, dans une oeuvre à la chronologie furtive, Francis Denis livre avec ténuité, sous une apparente simplicité, une réflexion sur l’existence et sur son  sens  : « Aléa jacta est ». Partant de sa jeunesse dans « Le Vieux pont », (« Je n’avais pas encore vingt ans / Et par la main ma petite maman je tenais »), il évoque ensuite différents moments de la vie, différents ressentis avant d’aborder la tragédie de l’inéluctable : « J’ai regardé la mer se retirer / Avec l’angoisse d’un vieil homme / Au crépuscule du jour /(….) Je ne voulais pas mourir / Pas encore ». Des moments anodins du quotidien comme une visite chez le dentiste (« Aujourd’hui / Je suis allé chez le dentiste »), ses rêves (« Je voudrais simplement // Retrouver mes rêves d’enfants »), ses inclinations, ses détestations, (« J’aime pas les grandes surfaces ») parcourent ses textes et acquièrent sous sa plume une intensité singulière. Il dit les angoisses hantant les nuits (« Les sentiers la nuit /Ressemblent à des veines battant dans le vent / C’est l’heure où les peurs de l’enfance remontent »), la peur devant le temps qui s’écoule trop vite (« Afin de conjurer le temps qui passe »). Poète plein de retenue, il propose de timides conseils comme cueillir le moment présent (« C’est pourquoi vaut mieux ne pas se poser trop de / questions / Et vivre au jour le jour »), en profiter pendant qu’il en est encore temps. L’art lui permet de conjurer la crainte de l’éphémère et d’oublier momentanément l’absurdité de la mort : « J’ai faim d’éternité ». Il lui faut économiser les mots afin que le temps ne s’échappe pas trop rapidement (« J’économise les mots / Pour ne pas mourir trop vite ») tout en allant cependant vite car l’inéluctable peut arriver n’importe quand : « Mais faut faire vite / Dieu seul sait ce qui peut encore nous arriver ». La vie est une durée qui sera inévitablement brisée, la poésie lutte contre cette absurdité.

Toutefois le poète ne s’appesantit pas sur la noirceur de la réalité (« (…) ne pas tomber dans le puits noir de la réalité »). Il en révèle surtout la beauté avec d’esthétiques et douces métaphores visuelles : «Avec tous ces oiseaux / qui caressent le ciel / Et tressent des tapis de lumière »sans jamais se prendre au sérieux.  Des touches d’humour colorent ses textes lorsqu’il joue malicieusement avec les mots (« Je ne suis qu’un pauvre pécheur / Arrivé sur Terre par mégarde / Ai sorti la tête / Puis ai crié de peur / Mais trop tard . Le mâle était fait ! »), les sonorités (« Ce fut sur le pont vert en verre/ Que je vis le pic vert »)) révélant une âme d’enfant dans des cris de joie, des onomatopées : « Faut marcher tranquille / Prêt à répondre aux / ‘Hou Hou’ / ‘Rou Rou’ / ‘Friiii’ / ‘Bououh’ ». Nostalgique de son enfance, époque de jeux, d’imagination, de rêve, d’innocence, le poète redevient enfant insouciant et malicieux le temps de l’écriture. Il personnifie d’insignifiants animaux devenus sous sa plume de vifs et amusants personnages,  « Le papillon fume son cigare / Et l’escargot s’en va à la gare / Trala la la Trala la la », embarquant le lecteur dans un univers joyeux et insolite.

Un lyrisme sans effusion

L’écriture souvent viscérale de Francis Denis, son langage parfois proche de la langue parlée, avec, en l’occurrence, l’omission du « ne » de négation : « J’aime pas les mots tristes », sa façon ludique de transfigurer le réel, ses pointes d’humour, son amour des enfants rappellent Prévert. Francis Denis, artiste modeste, homme libre, simple, « Je suis un être simple / (simple ne veut pas dire simplet) », retrouve, grâce à l’art, ses rêves d’enfant, les préserve précieusement. Sa présence discrète mais attentive au monde joue de la banalité du quotidien dans des poèmes d’un lyrisme sans effusion livrant cependant la quintessence de son être. Il glisse rapidement dans ses textes de subtiles allusions littéraires, les laissant surgir au détour d’un vers, faisant sans ostentation des clins d’œil à Ronsard (« Toutes les roses à peine écloses / comme dans un vieux poème d’antan ») à La Fontaine (« Ils ont quitté femmes, enfants, / Veaux, vaches et cochons », à Verlaine (« Ah ! Que les jours sont longs / Sans les sanglots des violons »), à des légendes, suggérées de façon énigmatique,   comme celle de Marie Grouette : « Il paraît qu’au fond de l’eau / Se cache une horrible sorcière / Aux doigts crochus et à la langue bien pendue / / Elle guette les imprudents / Tous ceux qui n’écoutent pas leur maman / Heureusement / Je suis orphelin de naissance / Et Jamais Marie / La femme au grouet / Ne me videra de ma quintessence / Et vlan ! », ou à des personnages futuristes : « Je glisse entre les roseaux / Aussi léger qu’R2D2 ».  Francis Denis propose dans une esthétique de l’implicite et du détour des données plus ou moins familières au lecteur, entrant ainsi en connivence avec lui  pour sa plus grande joie.

Le recueil Petits poèmes sans queue ni tête de Francis Denis révèle un poète moderne plein d’humour, de tendresse et de sensibilité, loin de tout élitisme.

(1) Comme un cri de biffure
LES SAISONS DE MAUVE OU LE CHANT DES CACTUS
LES DESEMPARES
LA TRAVERSÉE
LE PASSAGE

2 Commentaires

  1. Denis

    Bonjour Annie

    Merci pour cette magnifique chronique.
    Vous cernez toujours avec autant de perspicacité et de compréhension ma façon de traverser furtivement le monde et le temps.
    C’est toujours un réel plaisir de vous adresser mes écrits.

    Amicalement…

    Francis

    Réponse
  2. Annie Forest-Abou Mansour

    Merci cher Francis Denis pour tout ce que vous offrez aux lecteurs et aux amateurs de peinture.

    Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Commentaires récents