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Où naissent les mères

27/08/2023 | Livres | 1 commentaire

Où naissent les mères
Virginia Helbling
Traduit de l’italien (Suisse)
par Lucie Tardin
Editions des femmes Antoinette Fouque (2023)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

Virginia Helbling : Où naissent les mèresUn roman introspectif

Devenir mère : une expérience unique et extraordinaire dans le sens étymologique du terme. Une aventure physique et mentale décrite avec un grand réalisme, des mots d’une intense acuité, sans tabou, imposant le corps dans sa vérité toute puissante,  (« Victoire de la chair. Impossible de manifester de la pudeur en salle d’accouchement », « Mes seins me font mal et mouillent ma chemise »….) dans le roman introspectif à la première personne de Virginia Helbling, Où naissent les mères. Une expérience personnelle, singulière, un pan de vie de quelques mois, où le particulier renvoie aussi au général comme le sous-entend le titre au pluriel.

Le bouleversement total de la maternité

Une jeune femme, professeure de piano, dont le prénom ne sera révélé qu’à la fin du roman, se confie avec sincérité, juste après la naissance d’Helena, sa nouvelle née. Elle raconte ses états d’âme, décrivant, dans un carnet,  avec précision, tous ses ressentis, ses sentiments contradictoires, ses réflexions, ses sensatons,  ses interrogations, explorant avec finesse la complexité de son univers intime. Dans une espèce de journal de sa vie quotidienne, de monologue intérieur, de flux de conscience, concrétisations de sa solitude, de son désormais impossible dialogue avec les autres et même avec Erik, son compagnon, (« Quand il raccroche, je débranche le téléphone et je m’éteins dans mon lit »),   elle dit un moment exceptionnel de sa vie :  être devenue mère, une véritable révolution physique et psychologique, une rupture d’avec le monde d’avant Helena,  un bouleversement total, loin de tous les clichés sur la maternité. Les sentiments et les gestes maternels ne sont en effet  pas innés. Donner la vie est une découverte à tous points de vue : découverte de son nouveau corps désormais vide, flasque (« l’image me surprend, je ne me reconnais pas. Les fesses, le dos, le visage, tout semble fait d’un latex difforme »),  découverte d’un petit être fragile, dépendant, la césure brutale d’avec celle qui a fait partie d’elle pendant neuf mois : « Dans mon ventre, elle faisait partie de moi, intime et complice. Maintenant, ce petit être s’éloigne, lentement, se refuse à ma compréhension et se fait mystère ». C’est une nouvelle vie où tout doit s’apprendre, même le simple  fait de tenir dans ses bras la fillette : « Je ne sais même pas comment la porter, je n’ai jamais tenu d’enfant dans mes bras ».

Naître mère : devenir autre

Dans son journal intime la narratrice révèle qu’après la naissance de son enfant, la femme devient autre.  Elle perçoit alors son environnement différement, avec  davantage d’acuité et d’intensité.  Sa vision du monde se transforme (« Ma mère a une nouvelle lumière (…) Peut-être que jusque là, je ne l’ai jamais vraiment regardée, ou sans la distance nécessaire »).  Désormais toujours aux aguets,  « Mon ouïe s’est aiguisée instinctivement, prête à saisir les besoins de l’enfant aux moindres mouvements impalpables de l’air »,  elle vibre au moindre mouvement de cette nouvelle existence si fragile. Donner la vie, c’est aussi naître soi-même, « Avec ma fille, je suis née un peu moi aussi », tout en tissant une continuité entre soi, ses ascendantes et ses descendantes : « Des générations silencieuses défilent, les visages des grands-mères que j’ai vues sur des photographies. Un fil de l’histoire remonte à la surface du fin fond de ma conscience et je me retrouve soudain au croisement entre celles qui m’ont précédée et celles qui suivront ». Un réseau ténu se noue alors  entre toutes les générations de femmes.  Le ressenti de la narratrice, son rapport au monde et aux autres se métamorphosent. N’étant plus dans la vanité des choses, elle cible l’essentiel. Sa représentation de la vie, des autres est transformée. Son mode de penser, sa manière d’être au monde sont bouleversés. Engluée dans ce nouveau vécu, elle se sent seule, isolée, loin de toute vie sociale désormais considérée comme vaine. La paternité n’a changé ni physiquement ni mentalement son compagnon. La scriptrice met toujours l’accent sur  l’indicible beauté de ce dernier alors qu’elle renvoie une image disgracieuse d’elle-même. Le père ne vit pas les mêmes sensations, les mêmes émois que la mère. Dans le récit, la femme n’existe plus, seule la mère subsiste. Erik se contente de donner, à chacun de ses départs, un chaste baiser sur le front de sa compagne, matérialisation de son absence de désir : »Il m’embrasse sur le front et s’en va ». Accaparé égoïstement par ses propres centres d’intérêts, il n’a pas ressenti la révolution de la naissance, il est demeuré intact : « Lui, avec son talent effronté, il n’a pas perçu l’onde de choc qui m’a percutée, moi ».  Les pronoms personnels toniques, « lui », « moi »,  placés en début et en fin de phrase concrétisent la distance désormais installée entre eux.

L’écriture et la nature libératrices

Dpuis son accouchement, la vie de la jeune professeure de piano est monotone, rythmée par les tétées, le travail de la maison. Elle n’est plus qu’une mère, tenant le « rôle de petite ménagère ». La réalité a perdu sa stabilité : « Tout me semble chaotique et nouveau ». Des sentiments opposés, ambivalents s’emparent d’elle. L’amour fusionnel ressenti pour sa fille (« sans elle, je me sens démunie ») se tricote au sentiment de perte de liberté : « Helena est un frein à tous mes possibles« . Les fondements de la vie de celle qui souhaite au fond d’elle-même vivre, jouer du piano, redevenir une femme,  sont à repenser.  Elle se libère alors par l’écriture,  « Je gratte frénétiquement mon stylo sur le papier pour décharger mon aigreur et ma frustration »,  thérapie régénératrice  : « Non, mon journal intime n’est pas un album de souvenirs, mais une thérapie ».  La présence de son voisin,  « l’homme à la barbe noire »,  lui ouvre aussi une nouvelle voie. De même, la nature et la musique, toiles de fond du récit, constituent des échappées vers la liberté, des pauses dans son rôle de mère. Elle entre en osmose avec la forêt.  Des correspondances s’établissent entre elle et la nature qui réfléchit ses sentiments :« Je prends la route qui monte dans la montagne. Mon âme ici prend des reflets dorés, comme les feuillages traversés par de longs rayons de soleil », « Moi noire et noire la forêt », « A l’intérieur de ma tête, je suis aussi furieuse et erratique que le vent »… Les comparaisons et le chiasme multiplient les effets de miroir mettant l’accent sur les points communs entre la jeune femme et la nature. Cette dernière  et la musique sont  souvent personnifiées, (« La forêt a commencé à me faire confiance », « Le piano fermé me regarde »), emportant le lecteur dans un univers poétique.

Une oeuvre littéraire poétique

Où naissent les mères est un témoignage sincère intime et percutant, lesté de tout le poids du vécu sur le devenir mère et le redevenir femme concrétisé par cinq chapitres suggérant ce parcours : « A l’hôpital », « A la maison », « Dehors », « Plus loin », « Au-delà », allant d’une espèce d’enfermement à l’ouverture vers un ailleurs. Mais ce n’est pas qu’un ouvrage réaliste, c’est aussi et avant tout une oeuvre littéraire avec des histoires mises en abyme, comme celle évoquant l’amour maternel terrassé par la tragique mort d’un enfant (« On ne peut pas concevoir la perte d’un enfant. La perte d’un enfant ne peut tout simplement pas être ») et une oeuvre poétique et esthétique jouant avec le rythme du vécu monotone  de la jeune mère matérialisé par des répétitions psalmodiques, (« Puis je remplis le seau d’eau et je rince. Je remplis de nouveau et je rince encore, je remplis et je rince, je remplis et je rince, je remplis et je rince »),  puis des échos, des anaphores insistantes donnant à voir la jeune femme entraînée par la  danse,  échappant à la monotonie par l’intensité des sensations, se réconciliant avec son corps,  redevenant vivante et  femme (« je veux danser jusqu’à l’épuisement, je veux que la musique me secoue comme un vieil oreiller, je veux qu’elle me vide et m’emporte comme une plume légère dans le vent…. »). L’écriture empreinte de poésie de Virginia Helbling, merveilleusement délivrée pour le lecteur francophone par la traductrice Lucie Tardin, tisse les différentes lumières des saisons, la valse des couleurs et des sons, le ruissellement des sensations et des émotions. Elle emporte le lecteur, comme la jeune mère, dans une  aventure magique et unique.

1 Commentaire

  1. Elias Abou-Mansour

    Ce livre est un témoignage sensible, sincère, d’une grande vérité. Le regard introspectif de la narratrice nous révèle la complexité de la maternité. Comme elle le montre, l’amour maternel n’est pas inné. Ce livre pourra aider les hommes à comprendre le bouleversement de la naissance pour une femme, son sentiment de solitude, la dépression qui suit souvent l’accouchement.
    L’homme ne voit pas la beauté de la naissance. Il ne comprend pas toujours la nouvelle maman. Le ressenti du père reste souvent froid. Car le père ne subit aucun bouleversement physique et psychique. La narratrice le montre très bien. L’homme est souvent distant, spectateur, accaparé par d’autres sollicitations.
    En tant qu’homme, j’invite les hommes à lire attentivement ce livre car souvent l’homme est narcissique.

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