Nostalgies
Eric Mériau
Editions Elzévir (2012)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Le recueil poétique d’Eric Mériau, Nostalgies, s’ouvre sur le très bel hymne à la vie de Mère Térésa et sur un extrait du Horla de Maupassant, chant à la gloire de l’œil, organe capable d’embrasser l’univers entier, la beauté et la fragilité de la vie. Ces deux textes donnent d’emblée la clef et le ton de l’ouvrage qui résonne de tout l’épicurisme mystique de son auteur et de ses réflexions sur le du temps qui passe : « Demain, ô comme c’est loin ! / Non, mon petit, c’est déjà hier !!! », le charme intense, précieux et éphémère de l’existence.
Ses poèmes, pour la plupart libérés de la métrique, donnent au vers une grande liberté. Sa mise en page avec ses blancs, ses strophes d’un seul mot ou au contraire constituées de versets, les derniers vers mis en valeur en caractères gras, accordent une grande importance à la matérialité du texte qui devient objet esthétique à admirer avant d’être lu, comme la dernière strophe du poème « Houcher » et son calligramme suggérant un sapin. D’autres poèmes se coulent dans le moule normé du sonnet mais s’écartent toutefois du strict respect des rimes du sonnet italien ou marotique. Les acrostiches « Lux », « Victorien », « Lucie » lancent deux messages lisibles horizontalement et verticalement tout comme dans la célébration de la « venue dans des langes doux et soyeux » d’une petite Lucie. Amoureux des mots, jouant avec eux et avec les figures de style, épris du rythme des phrases et de la musique, le poète emporte le lecteur vers des ailleurs exotiques, étranges et étrangers avec ses titres en arménien, « Doudouk » « Chenoragal yem » ou en patois lozérien « Lamberkat ».
Observateur du quotidien, tricotant récits, descriptions et argumentation, Eric Mériau lie ses poèmes à sa vie privée (« Je ne sais qu’écrire ma vie ») et à l’Histoire passée (dans « Circonstance » : « J’en oublie entièrement l’image historique/ Des bus parisiens vert et crème d’hier, / Bondés de visages serrés, inquiets, las, éteints / Roulant vers l’ultime destination, silences funestes / Parquant ainsi les voyageurs d’un jour, du petit matin/ Sur le quai à bestiaux du dernier départ/ Ou sur l’esplanade de l’incompréhensible attente !… ») ou contemporaine comme dans « Trains bariolés »où il évoque les tags. Situant de façon précise ses textes dans le temps et dans l’espace, il les transforme par moment en feuillets d’un journal intime poétique : « en cet automne deux mille dix », « en cette veille de Noël de l’an deux mille sept », « en ce vingt-quatre/ Janvier/ De l’an/ deux mille huit ». A la faveur de sa lecture, le liseur visite Lyon, comme l’indique la périphrase « sous les teintes du couchant peignant la cité des Gaules », la Savoie, terre de « ses ancêtre », le Vercors, « O Vercors contrasté ! / Comme tes gris, blanc, vert foncé te vont bien ! », l’Ain, Langogne et « l’immense lac de Naussac » en Lozère, l’Arménie, l’Afrique… Maints poèmes d’Eric Mériau ont en commun de présenter un certain nombre d’images empruntées à la nature qu’il fait exister en la nommant et en retrouvant des émotions provoquées par une résurgence du passé (« Aujourd’hui, encore, je ne puis t’oublier ;/Chère ampoule jaune du passé/, Lampe accueillante, veillant/ Sur les arrivants d’un soir !/ »), par des sensations communes au présent et au passé, éprouvant des sentiments de plénitudes de moments arrachés au temps à travers la marche : « Dès le premier jour, / Je sais que l’existence me réserve / Encore un beau voyage pédestre, / Composé des fleurs de la contemplation, / Du bouquet des silences essentiels, / Des racines de l’effort et des rameaux d’une pensée unifiée » ou le souvenir gardé d’une rencontre amoureuse marquée par une sorte d’idéalisation : « Te souviens-tu aussi, ma grâce, de la braise de nos cœurs, / Tiédie et attisée par l’impétueux ruisseau de ta fontaine/ En partance pour un voyage d’allégresse gémissante ? ». Un « Je » s’exprime et analyse le monde environnant, donnant à voir sa beauté mais aussi ses défauts, la ruine des valeurs : « Bonnes volontés de notre pauvre Occident, / bouffi de suffisance,/ Obèse de tant d’égarements égoïstes, infirme par trop / de paresse, Engourdi d‘une mollesse pernicieuse, fardé par les strates. Cumulés/ D’un fond de teint d’une grossièreté inédite ! ». Du singulier débouche très souvent des généralités universelles sur la société, l’existence inexorable de la mort qui donne tout son sens et toute sa valeur à la vie, cette vie éphémère pleine de saveurs dont il faut jouir pleinement dans ses moindres éléments : que ce soit une pomme séduisante par sa rondeur, son croquant, sa fermeté, sa sensualité : « Craquante, tu me montre ta rondeur, /Dès que je t’entame, je croque à pleines dents/Le monde, et ta chair, alors, me l’embellit ! » ou la fraîcheur délicieuse et désaltérante d’une goutte d’eau perlant d’un « rameau enneigé ».
Les poèmes d’Eric Mériau, pour la plupart heureux, disent la joie, l’amour de la vie, de la femme, de la liberté. Véritable exaltation des pouvoirs du langage, expression lucide du caractère précaire de l’être humain, ils constituent une revanche sur la mort.
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